François Bayrou n’est pas encore nommĂ© commissaire au Plan que dĂ©jĂ les rumeurs vont bon train sur le retour de la justice aux ordres. C’est que, quoique Ă la tĂŞte d’un parti centriste, l’Ă©phĂ©mère ministre de la Justice d’Emmanuel Macron ne donne pas toujours dans l’eau tiède ni dans la dentelle. L’Ă©viction brutale d’une conseillère de Dupont-Moretti soulève la question de la possible indĂ©pendance du Parquet dans les mois Ă venir.Â
Selon la Lettre A et le Canard EnchaĂ®nĂ©, citĂ©s par Le Monde, la juge d’instruction qui avait mis en examen François Bayrou, et qui devait ĂŞtre conseillère spĂ©ciale du garde des Sceaux, Charlotte Bilger, ne sera finalement pas confirmĂ©e au cabinet du ministre. L’intĂ©ressĂ©e, qui aurait renoncĂ© Ă prĂ©sider la cour d’assises de Paris pour occuper ce poste, se trouve dĂ©sormais en perdition professionnelle… Mais pourquoi donc, après trois jours passĂ©s auprès du ministre, cette magistrate a-t-elle dĂ» plier bagage sans autre forme de procès ?
Le Monde suggère la main de François Bayrou
Pour le Monde, qui commente abondamment cette Ă©viction, plusieurs Ă©lĂ©ments ont jouĂ© en dĂ©faveur de Charlotte Bilger. Ă€ commencer par son rattachement direct au ministre, dont la directrice de cabinet en titre aurait pu prendre ombrage.Â
Dans la pratique, cette affaire dissimule mal un enjeu de taille : Dupont-Moretti, rĂ©putĂ© “Ă©lectron libre”, n’a pu choisir aucun des membres de son cabinet. L’Ă©viction de Charlotte Bilger l’isole dĂ©finitivement, puisqu’elle Ă©tait la seule dont il avait pu dĂ©cider le recrutement. VoilĂ donc un ministre de la Justice complètement tenu par son administration et par le rĂ©seau des directeurs de cabinet directement pilotĂ© Ă Matignon.Â
Mais le Monde va plus loin, et n’hĂ©site pas Ă rappeler que, lors de son bref passage place VendĂ´me, François Bayrou avait fait pression sur la magistrate qui Ă©tait alors en charge de l’instruction de son dossier.
Plus gênant encore, même si aucun élément formel ne permet aujourd’hui de l’étayer, ce renvoi vient nourrir la question d’une possible intervention politique. Charlotte Bilger est en effet la juge qui a mis en examen, le 6 décembre 2019, le président du MoDem, François Bayrou, et plus d’une dizaine d’élus ou de cadres du parti pour « complicité de détournement de fonds publics ». Un des membres du parti, Rémi Decout-Paolini, occupe d’ailleurs le poste de directeur adjoint du cabinet du ministre de la justice.
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Le Monde pense Ă une intervention politique
Si l’on en croit le Monde, il serait donc plausible que l’entourage de François Bayrou, voire François Bayrou lui-mĂŞme, ait influencĂ© le gouvernement, probablement Emmanuel Macron en personne, pour que la louve de l’instruction n’entre pas dans la bergerie de la chancellerie. Il n’existe aucun Ă©lĂ©ment de preuve sur ce sujet, mais cette lecture des faits est plausible.Â
Si elle se rĂ©vĂ©lait vraie (une rivalitĂ© avec la directrice de cabinet n’excluant pas une intervention au plus haut niveau “en plus”), l’affaire serait fâcheuse. Elle confirmerait que, dĂ©sormais, le Parquet ne dispose pas de la moindre marge de manoeuvre, et que les juges rĂ©calcitrants font l’objet d’une chasse aux sorcières.Â
Macron prisonnier de l’ancien monde
Vraie ou fausse, cette interprĂ©tation laisse planer un soupçon d’apparente partialitĂ© du Parquet, qui est le point faible le plus Ă©vident de la justice française. Au lieu de dissiper toute forme d’ambiguĂŻtĂ© sur ce point, qui aurait rajeuni son image, Macron perpĂ©tue les doutes et l’ambiguĂŻtĂ©.Â
En l’espèce, il s’agit peut-ĂŞtre de se mĂ©nager une amitiĂ© politique en sacrifiant l’indĂ©pendance de la justice. Mais on n’est pas sĂ»r que ce calcul-lĂ soit gagnant Ă long terme. Bien au contraire. Bayrou est le parangon de l’ancien monde, et ses excès nuiront Ă Emmanuel Macron tout entier.Â