Une tribune de Jean-Frédéric POISSON, Président de VIA | la voie du peuple - La funeste affaire du contrat australien sur l’achat de douze sous-marins, rompu avec la France au profit des États-Unis, a relancé la question de la légitimité de l’OTAN. En effet, pourquoi faire partie d’une alliance militaire dont les membres se nuisent mutuellement à la première occasion ?
L’utilité de cette organisation est un sujet qui anime les débats politiques depuis que Nicolas Sarkozy a estimé que nous devions réintégrer son commandement intégré en 2007. Initialement conçue pour lutter contre le bloc de l’Est dans le contexte de la guerre froide, cette association de circonstances était pensée pour rassembler les nations occidentales au sein d’une même organisation. Aujourd’hui, le mur de Berlin est tombé, mais l’OTAN est encore là. Donald Trump la disait « obsolète[1] » avant le début de son mandat, et même Emmanuel Macron dont la complaisance à l’égard des États-Unis est connue, expliquait en 2019 qu’elle était « en état de mort cérébrale[2] ». En réalité, beaucoup s’interrogent sur la pertinence d’une telle structure au sein d’un monde où la donne géopolitique a changé, où l’Europe doit s’imposer de nouveau face aux appétits des autres puissances internationales « alliées », en particulier ceux des États-Unis qui souhaitent coûte que coûte maintenir leur position dominante dans le monde.
Ces derniers contribuent au budget de l’OTAN à une hauteur de 70% et ce n’est pas pour rien : cette organisation constitue pour les États-Unis un moyen de domination particulièrement opportun en Europe, et en particulier en Europe de l’Est où ils déploient leurs troupes, leur matériel militaire et leurs boucliers antimissiles. Ils favorisent par la même occasion leur propre industrie de défense, au détriment de l’industrie européenne. De fait, leurs intérêts économiques, géostratégiques et idéologiques divergent parfois des nôtres. En matière économique, ils l’ont évidemment illustré récemment avec la France pour l’histoire des sous-marins vendus à l’Australie, mais également avec l’Allemagne pour le gazoduc Nord Stream 2 dont la construction a été pendant longtemps entravée par Washington[3]. D’un point de vue plus géopolitique, l’une des stratégies pratiquées par les Américains depuis plusieurs années consiste à empêcher un possible rapprochement de l’Europe de l’Ouest avec la Russie, selon la théorie du célèbre universitaire américain Nicholas John Spykman[4]. Les États-Unis en position hégémonique depuis la fin de la guerre froide n’ont aucun intérêt à laisser se construire un monde multipolaire dans lequel ils seraient en concurrence avec des nations non alignées, pratiquant une géopolitique adaptée à leurs ères régionales respectives. Ce monde multipolaire permettrait pourtant à la France, de nouveau souveraine, de retrouver la place qui lui revient au sein du concert des nations. Le commandement intégré de l’OTAN est, dans ce contexte, un outil qui permet aux États-Unis de cristalliser les tensions entre de potentiels alliés eurasiatiques et empêcher leur rapprochement. La crise ukrainienne qui connaît une recrudescence en est le parfait exemple.
Au-delà des aspirations américaines tournées vers le maintien de leur puissance hégémonique, il faut également mettre en lumière le peu d’intérêt que représente aujourd’hui cette alliance pour la France et pour l’Europe. Ainsi, si l’OTAN n’est pas inutile du point de vue militaire pour le côté opérationnel (renseignement et logistique), on ne peut obérer son absence de réaction face à une Turquie impérialiste qui menace sans cesse les îles et les zones maritimes grecques, ou s’oppose à toute tentative légitime de forage dans la zone économique exclusive de la République de Chypre[5]. L’absence de réaction de l’OTAN s’explique notamment par la volonté des États-Unis de ménager la Turquie, pays partenaire en matière économique et militaire, et de maintenir des bases américaines dans ce pays pivot entre l’Eurasie et le Moyen-Orient. L’Allemagne non plus, abritant une forte communauté turque sur son territoire, ne souhaite pas entrer en confrontation avec le « néo-sultan » Erdoğan.
In fine, si la branche militaire de l’OTAN nous est d’aussi peu d’utilité face aux menaces ou opérations d’influence de nos ennemis, pourquoi nous y maintenir ? Il est temps que la France adopte une démarche volontariste. Elle doit sortir du giron américain et quitter le commandement intégré, malgré les défis qui se présenteront à la suite de cette décision. Ainsi seulement nous referons de la géopolitique française un outil de puissance au service de notre souveraineté nationale.
[1] Le Figaro, « Trump s’en prend à Merkel et à l’Otan », le 15/01/2017.
[2] Le Figaro, « Pour Emmanuel Macron, l’Otan est en état de ‘mort cérébrale’ », le 07/11/2019.
[3] Le Monde, « En Allemagne, la peur d’un abandon du gazoduc Nord Stream 2 », le 15/12/2021.
[4] Geolinks, « L’engagement américain en Ukraine : le contrôle de l’heartland au centre de l’intérêt américain », le 26/11/2014.
[5] France Info, « La République de Chypre en quête d’oxygène », le 15/12/2021.
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