Et si la réaction virulente au projet de réforme des retraites s’expliquait d’abord et avant tout (outre l’aversion au monopole jacobin et à la préférence très française pour l’émiettement girondin que nous avons beaucoup commenté) par une détresse profonde du pays réel vis-à-vis de la dégradation de ses conditions de vie ? L’INSEE vient en tout cas de publier une note de conjoncture qui en dit long sur le malaise qui étreint les Français, au jour le jour, sur la peur du lendemain qui est probablement devenue une donnée première de l’opinion, que la caste n’a pas identifié, malgré la pléthore d’études d’opinion qu’elle commande chaque jour à des officines grassement rétribuées.
Les Français n’ont jamais été aussi déprimés ! jamais ils n’ont autant douté. Comme le montre le graphique produit par l’INSEE, et publié aujourd’hui dans une note de conjoncture, l’indice de confiance des ménages a atteint un creux tout à fait historique, jamais atteint depuis 2009, sauf durant la crise grecque en 2013 (ce qui montre que les Français ont du flair et ont bien saisi les enjeux qui entourent la chute de l’euro ou son implosion). Sur le fond, ce graphique mérite deux commentaires supplémentaires.
D’une part, le marché de l’emploi ne s’est jamais aussi bien porté depuis 2008, époque où le chômage de masse avait pratiquement disparu. Il ne faut évidemment pas confondre cet indicateur sur le climat de l’emploi avec la réalité de l’emploi. Ce sont deux notions très différentes. Il n’en reste pas moins que l’optimisme règne sur les recrutements (ce qui n’est pas forcément bon signe, si l’on se fie au précédent de l’été 2007 et à celui de 2019, qui a préfacé le grand vide covidien.
D’autre part, le moral des chefs d’entreprise est en plein décrochage depuis l’été 2022, ce qui, là encore, soulève pas mal de difficultés. Ce moral avait lui aussi atteint un pic en 2021, et l’on assiste depuis à un sévère retournement. Là encore, le même phénomène s’est produit durant l’été 2007, puis au début de 2011, préfigurant la crise de l’euro, puis tout au long de 2009.
Il serait simpliste d’en tirer des conclusions schématiques. Mais une certitude se dégage : les ménages comme les entrepreneurs sont inquiets. Les uns ont déjà le moral dans les chaussettes, les autres commencent à l’avoir…
Vers une crise de l’offre ?
Un autre graphique mérite d’être regardé attentivement : celui des difficultés d’offre et de demande dans l’industrie française, qui permet d’anticiper une éventuelle crise structurelle.
Là encore, le graphique publié par l’INSEE éclaire particulièrement l’originalité profonde de la situation que nous connaissons : autant, en 2009, les entreprises craignaient majoritairement de ne pas pouvoir écouler leur production, autant, en 2023, elles craignent majoritairement de ne pas pouvoir produire. On y verra la trace de la crise énergétique, et de la guerre en Ukraine qui fait peser de fortes craintes sur l’approvisionnement.
Une situation économique dangereuse
Dans la pratique, cette conjonction d’angoisses autant de la part des ménages que des entreprises décrit assez bien la réalité française actuelle. D’un côté, beaucoup de Français ont peur du lendemain mais n’ont fondamentalement pas de problème d’emploi. D’autre part, les entreprises craignent l’avenir, à commencer parce qu’elles trouvent trop peu de candidats pour travailler en leur sein, mais aussi parce que l’approvisionnement en matières premières est fragilisé par la guerre en Europe orientale.
Sur le fond, on sent bien que le tissu économique français n’est pas au mieux de sa forme. C’est dans ce contexte particulièrement tendu, comme il ne l’a jamais été depuis la grande crise de 2008, qu’Emmanuel Macron a décidé d’éprouver la résistance populaire en lançant une improbable réforme des retraites. L’INSEE permet d’anticiper de très plausibles sur-réactions indésirables pour le pouvoir que nous annonçons depuis plusieurs jours.
Nul ne peut prédire que l’issue sera radicale pour le pouvoir macroniste, mais, au vu des éléments objectifs dont dispose le pouvoir, on peut penser que la prise de risque dans ce dossier est maximale.
Cher Monsieur,
Je pense que vous devriez réviser votre appréciation du marché de l’emploi. Les chiffres du chômage utilisés et publiés par le gouvernement sont issus d’un sondage de l’INSEE, qui diverge totalement des statistiques de Pôle Emploi.
Si on additionne les catégories ABCD de P.E., on y rajoute une fraction des auto-entrepreneurs qui, rappelons-le, gagnent en moyenne 900 € par mois, donc qui sont forcés de travailler ainsi faute d’un emploi rémunéré correctement, ainsi que les bénéficiaires du RSA parmi lesquels figurent des chômeurs rayés des listes de P.E., on est plus proche des 25% de la population active sans emploi.
C’est une situation dramatique qui ne peut qu’empirer au vu de la vague de licenciements qui se profile.
Je précise la dernière phrase: 25% de la population active sans emploi ou à temps partiel, sans possibilité de vivre avec un minimum de décence.