Ceux qui ont découvert l’existence du Donbass en février 2022 – que ce soit à travers la fable horrifique de la propagande de type BFM/LCI, ou dans la version légèrement moins fantaisiste de la chapelle poutinolâtre – ont tendance à s’imaginer que la guerre civile ukrainienne a commencé en même temps que l’Opération Spéciale de V. Poutine. Or elle durait alors déjà depuis 8 ans. Pendant les 8 premières années, côté russe, la figure la plus marquante de ce combat – aussi bien sur le terrain que sur le front des polémiques médiatiques à Moscou – a été Igor Strelkov. C’est, du moins, le seul des combattants historiques du soulèvement russe qui soit… encore parmi nous pour en parler.
Ecarté des « opérations » (dans lesquelles la Russie, officiellement, n’était encore qu’un observateur non-belligérant) après la première séquence « chaude » du conflit, Strelkov revient aujourd’hui sur le devant de la scène, à la tête d’un Club des Patriotes [russes] en Colère, qui publie une sorte de manifeste, sous la forme de 39 questions embarrassantes – adressées de facto au Kremlin. L’excellent Eduard Slavsquat a pris la peine de les traduire en anglais. En voici quelques-unes en français, extraites de la première section, consacrée aux « questions historiques » :
1.« En 2014, le pouvoir de la junte de Kiev ne tenait qu’à un fil, et la Nouvelle Russie tout entière, les yeux braqués sur la Crimée, plaçait ses espoirs dans la Russie. Mais le Kremlin a d’abord refusé d’envoyer une force de maintien de la paix au Donbass, pour ensuite devenir le premier gouvernement du monde à reconnaître la légitimité de l’élection de Petro Porochenko. Grâce à la pause de huit ans qu’ont imposée les accords de Minsk, les Ukrainiens ont pu mettre sur pieds une armée en état de combattre, supprimer la résistance, laver le cerveau d’une partie importante de la population, de telle sorte qu’en 2022, ils ont pu résister aux forces armées russes sur le champ de bataille. QUI est responsable de l’échec tragique de ces décisions, suite auxquelles la Russie paie à présent le prix fort de milliers de morts et de dizaines de milliers d’estropiés ? Qui a été puni, ou devrait à l’avenir souffrir pour prix de ce crétinisme et/ou de ce sabotage prémédité ?
2.Pourquoi a-t-on installé à la tête des républiques séparatistes du Donbass des mafieux notoires (toujours au pouvoir aujourd’hui), qui, par leur simple présence au pouvoir, ont discrédité les idéaux du Printemps Russe ? Comment se fait-il que les plus célèbres des héros de 2014, des chefs des milices, aient été physiquement éliminés ? Qui porte ou portera la responsabilité du fait qu’au lieu de servir de « vitrine du Monde russe », ces républiques sont, pendant 8 ans, devenues un cloaque, où les gens menaient une vie non seulement moins bonne qu’en Fédération de Russie, mais même pire qu’en Ukraine ? »
(…)
4.Quel a été le rôle d’un certain nombre de dignitaires russes de haut rang (et notamment de Vladislav Sourkov, ancien vice-Premier ministre et adjoint du Président) quand, en 2014, les milices des républiques séparatistes n’ont pas pu repousser les troupes de Kiev jusqu’aux frontières du Donbass, alors même qu’elles poursuivaient la retraite désordonnée des forces armées ukrainiennes ? Pourquoi le front a-t-il été « fixé » aux abords de Donetsk ? Pourquoi Marioupol, au lieu d’être libérée, a-t-elle été abandonnée aux forces de Kiev ? Quel rôle ont, dans ces événements, joué les négociations menées en coulisse entre Sourkov (et d’autres représentants des VIP du Kremlin) et les oligarques ukrainiens – à commencer par Rinat Akhmetov ? Pourquoi, après la libération de Debaltsevo au printemps 2015, les hostilités ont-elles à nouveau été « gelées », donnant ainsi aux forces de Kiev la possibilité de restaurer les capacités de combat qu’elles venaient de perdre une fois de plus ?
Ambiance « cotillons » à Moscou
Bien malins ceux qui sauront, dans leur contexte historique bien spécifique, démêler l’écheveau de ces accusations plus ou moins voilées.
Mais, quoi qu’on en pense sur le fond, ce document d’époque aide très certainement à comprendre pourquoi, alors même que l’Occident (qui n’envoie que des ukrainiens se faire tuer) semble s’habituer à l’ambiance orwellienne de cette drôle de guerre des blocs, la Russie – quoique économiquement plus stable, et probablement imprenable d’un point de vue militaire – n’a peut-être, pour des raisons politiques, pas le temps de jouer la montre.
Car, s’il est vrai que la popularité de l’Opération Spéciale – dans au moins une grande partie de l’opinion russe – dépasse et gonfle celle de V. Poutine, on ne peut pas non plus balayer d’un revers de la main le risque que, aux yeux de ce secteur de l’opinion au moins, en cas d’enlisement, le davosien Poutine, de chef de guerre incontestable qu’il est pour l’instant, finisse par apparaître comme une entrave à la réussite des luttes historiques de la nation russe.
Et, comme dans le cas de Macron contesté plus durement « sur les retraites » qu’Hollande ne l’avait été « sur le Mariage pour tous », on ne peut pas exclure non plus que les « retards à l’allumage » du Donbass ne servent de détonateur à l’explosion de rancœurs découlant d’autres motifs (notamment covidiens).
En 2014, probablement, Poutine ne sentait pas la Russie assez forte pour affronter les sanctions (colossales) occidentales.
Il avait surtout les oligarques russes et ukrainiens dans les pattes, qui voyaient d’un très mauvais œil ce printemps russe qui menaçait leurs biens et intérêts financiers.
Depuis la sécession de l’Ukraine, le kremlin a entretenu des relations douteuses avec ces mêmes oligarques .
Tout à fait. Parer de futures sanctions ne se réalise pas d’un claquement de doigts. Augmenter les réserves d’or, non plus, en prévision du soutien de la monnaie nationale. Et adapter l’agriculture et les industries prend du temps. La principale faiblesse persistante concerne les semi-conducteurs, sachant que les USA sont dans le même cas.
“les réserves d’or, non plus, en prévision du soutien de la monnaie nationale”
Argument que j’entends souvent chez les poutinolâtres. Le fameux projet du rouble-or, qui n’apparaît dans aucun document officiel russe des 20 dernières années (y compris la dernière). C’est une “botte secrète” tellement bien cachée que même les autorités russes ne sont pas au courant – uniquement quelques sites conspi en Occident.
Le rouble NUMERIQUE, en revanche, ça, oui, c’est une réalité. Parfaitement davosienne, et dont vous ne voulez surtout pas entendre parler.
La chute de V. Poutine en fait rêver beaucoup. Mais c’est avant tout l’affaire des Russes. Concentrons-nous sur nos propres difficultés. On peut par exemple parier que M. Macron disparaître du paysage avant M. Poutine. Si paysage français il reste!
En voila des questions… instructives!
Poutine a peut-être été plus malin qu’on imagine pour l’Ukraine.
Car si l’occident a voulu gagner du temps avec les accords de Minsk, la Russie aussi !
Par exemple au plan militaire : pendant que l’OTAN entrait en Ukraine, les russes sont entrés en Syrie et se sont confrontés discrètement à l’OTAN
A chapelle poutinolâtre d’un côté, du votre c’est l’inversion. Regardez les faits historiques depuis l’effondrement de l’URSS pour comprendre la psychologie politique de Poutine. Et puis on ne fait pas une omelette sans casser des oeufs. Cordialement.
Excellent article, enfin on respire de l’oxygène, et posant les bonnes questions. Questions censurées sur ER qui est complètement sous influence de la triade Rey-cossette-Moreau…