Il semble bien que, sous l’administration Biden, le mot « paix » devienne définitivement absent du corpus diplomatique des Etats-Unis. Ce qui n’était qu’une hypothèse de « travail », la « troisième guerre mondiale », devient une option réelle à laquelle le Pentagone se prépare de plus en plus si l’on en juge certains signaux, comme la récente simulation de bombes nucléaires sur des villes russes. Il y a bien sûr l’instant présent, avec la possible confrontation entre la force navale américaine en Méditerranée et l’Iran, ou encore l’instrumentalisation de l’Ukraine pour faire exploser des « bombes sales » en Russie. Mais l’« équilibre de la terreur » semble jouer pour le moment et c’est tant mieux. Côté Taïwan, les choses semblent se calmer avec la Chine. Difficile, il est vrai pour les Etats-Unis, de se battre sur plusieurs fronts. Sauf, si la domination de l’espace peut conduire les Américains à disposer d’un avantage crucial. Et c’est l’analyse, certes technique, mais fondamentale pour les années à venir, qu’en fait l’expert Andreï Mitrofanov. A bon entendeur …
Cet article initialement publié sur le site Topwar.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
Bien que des guerres soient encore menées sur Terre, l’espace a longtemps été l’élément le plus important du champ de bataille, sans lequel il devient souvent impossible de remporter la victoire ici-bas. Et cette situation ne fera qu’empirer avec le temps. La plupart des gens, même ceux qui se sont familiarisés avec les sujets militaires, sont peu intéressés par cette donnée. Ils préfèrent l’utilisation des « chars ». Certaines « boîtes » avec des panneaux solaires en orbite leur semblent ennuyeuses. Or, ils se trompent : ce sont ces « boîtes » qui détermineront qui remportera la victoire ici, sur Terre.
Les Etats-Unis ont le leadership de la militarisation de l’espace
Aussi triste que cela puisse paraître, le leader incontesté, tant dans la conquête de l’espace extra-atmosphérique dans son ensemble que dans sa militarisation, sont les États-Unis. Il faut souligner que ce leadership américain n’est pas assuré uniquement par des agences gouvernementales comme la NASA ou par de grandes entreprises « pratiquement publiques ».
En réalité, ce sont de petites entreprises et des start-ups, souvent nouvellement créées, qui sont à la pointe de cette avancée. Par exemple, SpaceX a créé le système le plus rentable pour fournir des services en orbite de type « cargo », ce qui pourrait, dans un avenir proche, révolutionner cette activité. Space X a également mis en œuvre le concept de production de satellites de communication par « convoyeur ». La société Capella Space produit des satellites de télédétection de la Terre dans la gamme radar, de la taille d’un réfrigérateur et avec une résolution de moins d’un demi-mètre carré … La société True Anomaly prévoit de créer des milliers de satellites inspecteurs « Jackal », et pour dire les choses franchement, la production de satellites kamikaze conçus pour mener des opérations de combat en orbite.
Le projet « Silent Barker » démontre que les Etats-Unis préparent une guerre à partir de l’espace
Néanmoins, dès lors que l’on aborde un projet systémique, dont le concept a été développé directement par le département américain de la Défense (DoD), il est impossible de se passer de «grands » de l’industrie spatiale américaine. C’est le cas en particulier du programme « Silent Barker » dont la mise en œuvre par le ministère américain de la Défense suggère largement que les Etats-Unis se préparent à une grande guerre.
Selon les données disponibles sur le Web, ce programme « Silent Barker » vise à accroître la connaissance de la situation de ce qui se passe dans l’espace, sur l’orbite terrestre, mais il faut admettre que les informations détaillées sur ce projet sont extrêmement limitées.
L’on peut néanmoins considérer que les engins spatiaux (SV), lancés dans le cadre du programme « Silent Barker » sont conçus pour surveiller l’espace extra-atmosphérique, en suivant les satellites artificiels terrestres (AES) existants et nouvellement lancés. Autrement dit, les satellites « Silent Barker » devraient compléter, et éventuellement remplacer, les systèmes de contrôle spatial, qui sont actuellement représentés par de volumineuses stations optiques et radar situés en surface, et parfois sur des navires de surface et des plates-formes offshore.
Ces satellites « Silent Barker » devraient être placés en orbite à une altitude d’environ 36.000 kilomètres au-dessus de la Terre. Ce programme est mis en œuvre par la « United States Space Force » (USSF), en collaboration avec le « National Reconnaissance Office » (NRO) des États-Unis. Les satellites devraient être lancés à par un lanceur Atlas V, et l’opération serait effectuée par « United Launch Alliance » (ULA), une coentreprise entre Boeing et Lockheed Martin.
Après plusieurs retards, le 10 septembre 2023, le lanceur Atlas V a finalement mis en orbite le satellite NROL-107, lancé dans le cadre du programme « Silent Barker ». À la demande de l’ « US Space Force » et du « National Reconnaissance Office », les représentants de l’ULA ont mis fin à la diffusion en direct du lancement quelques minutes après le décollage.
La pleine préparation au combat des équipements déployés dans le cadre du programme Silent Barker doit être assurée d’ici 2026.
Quels avantages militaires va procurer le programme « Silent Barker » ?
Pour comprendre l’importance du programme Silent Barker, il est nécessaire d’expliquer quels sont les avantages en termes d’opérations de combat que procure la présence d’une constellation de satellites diversifiée en orbite terrestre. Peut-être faut-il rappeler tout d’abord l’intérêt militaire que présente l’espace extra-atmosphérique : c’est en premier lieu la navigation, la reconnaissance et les communications. Illustrons cela par le conflit en Ukraine.
Pour les frappes menées par les Forces armées ukrainiennes (AFU) au plus profond du territoire de la Russie, il faut avant tout « saluer », non pas l’AFU, mais le renseignement spatial des États-Unis et de leurs alliés. Ce sont eux qui désignent les cibles, assurent l’établissement des itinéraires de vol pour les véhicules aériens Kamikaze sans pilote (UAV) et les missiles de croisière (CR) contournant nos systèmes de défense aérienne. Ce sont eux également qui évaluent l’efficacité de la frappe. En fait, la composante spatiale est essentielle pour permettre des frappes de précision à longue portée.
Par ailleurs, il convient de mentionner qu’une augmentation du nombre de satellites de reconnaissance et de la capacité des canaux de communication, combinée à une augmentation de l’efficacité des centres de traitement des données informatiques, garantira, dans un avenir proche, la détection et le suivi des navires de surface, ainsi que le suivi en temps réel des systèmes de missiles mobiles au sol (GGRK) transportant des missiles balistiques intercontinentaux stratégiques (ICBM) à tête nucléaire.
Tout cela n’est qu’un début. Dans un avenir proche, surtout si le Starship entièrement réutilisable d’Elon Musk commence des vols réguliers, le coût de mise en orbite d’une charge utile commencera à diminuer régulièrement. Après quoi les États-Unis pourraient s’occuper du segment orbital des missiles stratégiques de défense (BMD) et commencer à créer un échelon orbital de reconnaissance et de frappe. Les tâches comprendraient non seulement la navigation, la reconnaissance et les communications, mais également les frappes depuis l’espace contre tous les types de cibles à la surface, au-dessus et sous la surface. Ainsi, le lanceur super-lourd réutilisable Starship, s’il est achevé avec succès, changera le monde pour toujours. Bien entendu, les opposants américains – y compris les Russes – n’aiment pas cette perspective. C’est pourquoi divers moyens sont recherchés pour « éclaircir » les groupes orbitaux ennemis.
Soyons clairs : il n’y a pas d’« espace pacifique »
Malgré de nombreuses années de discours sur « l’espace pacifique », toutes les grandes puissances militaires se préparent à mener des opérations de combat dans l’espace. On peut supposer que les premiers concepts d’armes antisatellites ont commencé à prendre forme au moment même où le premier satellite artificiel, celui soviétique, était en orbite. Peu à peu, les principaux prétendants au leadership mondial sont passés des paroles aux actes : c’est-à-dire des concepts aux armes réelles.
Tout d’abord, l’on s’est efforcé d’ « atteindre le ciel » à l’aide de missiles lancés depuis des avions, des navires de surface ou des lanceurs au sol . A l’heure actuelle, il a été confirmé que les États-Unis, la Chine et la Russie ont procédé à la destruction de satellites en orbite terrestre basse.
Cependant, les satellites situés sur des orbites élevées ne sont pas accessibles aux missiles d’interception directe. Pour résoudre ce problème, des « nettoyeurs orbitaux » ont été créés. Ils sont positionnés sur l’orbite requise par des lanceurs et sont capables de manœuvrer activement dans l’espace . Les compétences dans ce domaine sont désormais accessibles non seulement aux États-Unis, à la Chine et à la Russie, mais également à d’autres pays. Car les engins spatiaux manœuvrant peuvent être utilisés non seulement pour chasser des satellites, mais aussi pour la recherche, par exemple, d’astéroïdes et de comètes, ainsi que pour la collecte de débris spatiaux. Des projets dans ce domaine sont mis en œuvre à la fois par des Etats individuels, des entreprises privées et des startups. Cependant, c’est apparemment à des fins militaires que ces engins spatiaux sont principalement développés par les trois pays mentionnés précédemment : les États-Unis, la Chine et la Russie.
Il est également potentiellement possible de détruire des satellites en orbite basse à l’aide d’armes laser. En Russie, le complexe laser de combat « Peresvet » (BLK) a été développé à cet effet, mais ses caractéristiques sont classifiées et ses capacités potentielles ne sont toujours pas clairement connues. On s’interroge notamment pour savoir si le Peresvet BLK peut désactiver complètement les satellites ou n’éclairer que temporairement leurs instruments optiques.
Il est prévu de parer à la menace de destruction de satellites en orbite, en s’éloignant du concept de mise en orbite d’un nombre limité de gros satellites complexes et coûteux, au profit du déploiement de grappes de satellites compacts. C’est l’exemple du système de communications commerciales « Starlink » de SpaceX. Cependant, les groupes de satellites peuvent également être détruits efficacement, par exemple en développant et en lançant en orbite des satellites chasseurs de type « Reaper », qui pourraient abattre les satellites Starlink plus rapidement qu’Elon Musk ne peut les lancer.
En outre, la capacité de survie des satellites peut être améliorée en leur fournissant la possibilité de manœuvrer, afin qu’ils puissent échapper aux attaques des missiles antisatellites et des Reapers. Mais c’est là que se pose le problème. Pour que les satellites puissent échapper aux attaques, ils doivent en être informés. Actuellement, les informations sur une approche potentiellement menaçante d’un satellite ennemi proviennent de systèmes de contrôle spatial situés à la surface et de navires de surface ou de plates-formes offshore.
En cas de conflit à grande échelle, tous les objets stationnaires, à l’exception de ceux hautement protégés situés sous la surface de la Terre, seront très probablement détruits. Qui plus est, les navires de surface, capables de surveiller l’espace extra-atmosphérique à l’aide de leurs stations radar, d’une part seront évidemment moins efficaces et, d’autre part, ils passeront la plupart de leur temps dans le silence radio afin d’éviter d’être détectés par des moyens de reconnaissance électroniques (RTR) de l’ennemi et d’être attaqués par une frappe massive de missiles antinavires (ASM). Par conséquent, les satellites ne recevront pas en temps opportun d’informations sur la menace imminente et ils pourraient être donc détruits. En résumé, les moyens de contrôle spatial situés en surface ou sur des « plateformes offshores » sont vulnérables aux attaques.
Théoriquement, les satellites eux-mêmes pourraient être équipés de moyens de surveillance de l’environnement, leur permettant d’échapper à une attaque. Mais cela entraînerait très probablement une augmentation de leur complexité et de leur coût, ce qui est peu compatible avec le concept de déploiement de grands clusters de satellites peu coûteux en orbite basse.
A partir des éléments que nous venons d’analyser, que pouvons-nous conclure sur le programme américain « Silent Barker » ?
D’abord, ces satellites « Silent Barker » sont censés compléter, et, si nécessaire, remplacer les installations de contrôle spatial situées en surface. De fait, en cas de conflit mondial, incluant l’utilisation d’armes nucléaires, les États-Unis bénéficieront d’un avantage unilatéral sous la forme du contrôle restant sur l’espace extra-atmosphérique, ce que perdront la Russie et la Chine, sans parler des autres pays. C’est la première conclusion.
Les complexes de contrôle spatial au sol situés sur le territoire des États-Unis et de leurs alliés sont assez bien protégés. La même chose peut être dite à propos des radars situés sur les plates-formes et les navires offshore. La puissance de l’US Navy est plus que suffisante pour assurer leur sécurité. Cependant, en cas de conflit mondial avec des pays comme la Russie et/ou la Chine, les menaces pesant sur les capacités de contrôle spatial existantes augmenteront considérablement, surtout si les parties utilisent des armes nucléaires.
La seconde conclusion est encore plus importante : le déploiement américain de satellites dans le cadre du programme « Silent Barker » suggère que les États-Unis envisagent sérieusement la possibilité de détruire la composante terrestre des capacités de contrôle spatial et qu’ainsi, ils se préparent à l’avance à une telle situation conflictuelle.
Mais le programme Silent Barker n’est pas le seul signe que les États-Unis prennent très au sérieux la nécessité d’assurer leur domination dans l’espace, même en cas de conflit mondial, y compris avec l’utilisation d’armes nucléaires. Nous le verrons dans le cadre d’un prochain article.
J’ai entendu sur France Culture il y a quelques années de la part d’un spécialiste de l’ESA que les starlink seraient vulnérables aux hacking depuis le sol et que ce serait un moyen assez simple pour qui voudrait les faire retomber dans l’athmosphère.
Le onze novembre n’est plus depuis longtemps qu’une célébration de la guerre perpétuelle quelque part sur terre . . .