Avant-hier, le Président du Sénat, Gérard Larcher, s’est fendu d’un communiqué sur X pour expliquer qu’il avait accepté l’invitation du Président de la République à le rencontrer, “comme Président du Sénat, non comme responsable politique”. Quelle étrange formule ! et quelle étrange précision pour un événement soudain devenu solennel. Bien entendu, le cartel de la presse subventionnée n’a pas cherché à gratter le sens de ce message insolite, et a expliqué qu’il voulait simplement dire que Larcher n’allait négocier aucun plat de lentilles à l’Elysée (rappelons que le Président du Sénat était présenté comme un possible Premier Ministre de coalition). Mais tout de même, ceci nous rappelle que le Président du Sénat est aussi le deuxième personnage de l’Etat par ordre d’importance, et qu’il devient Président par interim en cas de démission du Président élu…
Il y a deux hypothèses, qui ne sont pas forcément exclusives l’une de l’autre, et qui peuvent même être cumulatives.
La première est que Gérard Larcher a été reçu à l’Elysée mardi soir, en plein marchandage sur les désistements pour le second tour, par un Président désoeuvré qui voulait donner au Président du Sénat l’occasion de lui dire gratuitement tout le mal qu’il pensait de la dissolution (et de la quasi-absence notoire de consultation du Président du Sénat avant celle-ci, en violation de la Constitution). Donc, si Gérard Larcher a traversé Paris en limousine et aggravé le bilan carbone du Sénat, c’est pour la beauté du geste, pour une discussion mondaine sur “le fonctionnement des institutions pour l’avenir”.
Une autre hypothèse est de nature un peu différente. Elle part du principe que si Gérard Larcher s’est senti obligé de préciser la nature de son entretien avec le Président, soudain si pressant, c’est pour lui donner une forme de gravité et d’officialité. Mentionner que le Président du Sénat rencontre le Président de la République entre deux tours d’élections législatives pour évoquer “le fonctionnement des institutions pour l’avenir”, cela sonne bizarre. Cela peut être anodin, mais cela peut être aussi le fait d’un homme qui, tenu par l’obligation de discrétion qui entoure tous les actes de gouvernement, ne peut parler clairement, mais souhaite soulager sa conscience d’un fardeau un peu trop lourd. Un signal faible, au fond, pour attirer l’attention sur un phénomène fort.
Et, forcément, les amateurs de droit constitutionnel entendent résonner les mots de l’article 7 de la Constitution dans ce message :
En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les fonctions du Président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d’exercer ces fonctions, par le Gouvernement.
En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement.
Constitution de la Vè République, article 7
On peut imaginer qu’un Président qui envisagerait de présenter sa démission demanderait discrètement au Président du Sénat de passer prendre le thé (ou un whisky !) avec lui, pour le préparer aux lourds événements qui arrivent. Et, dans la période qui nous occupe, ce geste ne serait pas du superflu : il faut gérer les Jeux Olympiques, bien sûr (cet événement commercial abusivement transformé en prétendue fête populaire et nationale), mais surtout la crise institutionnelle ouverte par la dissolution, qui se superpose dangereusement à une crise des finances publiques dont nous persistons à dire qu’elle pourrait déboucher sur un défaut de l’Etat, et spécialement de la sécurité sociale.
Si, toujours sous l’effet de la dengue qui le frappe depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron décidait d’annoncer sa démission le 8 juillet, par exemple, le rôle du président du Sénat ne serait pas particulièrement confortable. Il n’aurait face à lui aucun gouvernement si ce n’est le gouvernement Attal, chargé des affaires courantes, et il devrait s’occuper de la mise en ordre de l’Assemblée Nationale, qui doit élire son Président le 18 juillet. Autant dire que Gérard Larcher serait une sorte de dernier des élus, d’ulitme représentant des corps constitués encore légitime démocratiquement. Bref, le chaînon manquant entre le bourgeois de province et le dictateur.
Pourquoi une démission de Macron le 8 juillet est logiquement intelligente
Certains me diront qu’il n’y aurait aucune cohérence, pour Emmanuel Macron, à démissionner lundi prochain. Politiquement, on peut être d’accord avec cette idée. Un Président de la République responsable, soucieux de la démocratie, ne pourrait démissionner en laissant derrière lui le champ de ruines en lequel il aura achevé de transformer la France ce jour-là : une Chambre où son “courant” est fortement minoritaire, un gouvernement croupion, une insoluble crise des finances publiques. Sans parler de notre engagement suicidaire en Ukraine, une crise européenne à venir dont nous reparlerons demain, et quelques autres événements mondiaux à venir, où la France devrait prendre sa part.
Démissionner le 8 juillet serait le pire moment pour toutes ces raisons, et c’est précisément pour cela que Macron pourrait choisir ce jour.
Le 8 juillet, Macron pourra en effet montrer au pays combien il est (ou pense être) indispensable au fonctionnement ordinairement du pays. Sans lui, pas de gouvernement à l’issue des élections, pas de présence internationale, pas de gestion possible des finances publiques. Quel sentiment de toute-puissance en ombre chinoise ?
J’entends d’ici les arguments donnés pour justifier son nouveau coup d’éclat d’un adolescent préoccupé par son narcissisme et qui se construit dans la négation perverse de l’autre. “En ce 8 juillet, je n’ai pas voulu faillir à ma mission en nommant un gouvernement d’extrême droite, bla bla. J’ai toujours combattu l’obscurantisme et la haine, blabla. Donc je quitte mes fonctions sans avoir à prendre des décisions incompatibles avec ma conscience. Je prends acte du désaveu que vous m’infligez, et je m’en vais.”
Bref, un truc de ce genre, qui pourrait (dans l’esprit stendhalien de Macron) le remettre miraculeusement en selle. Ou lui garantir du panache.
Deux hypothèses cumulatives
Il s’agit ici d’une analyse à partir du profil psychologique de Macron, telle qu’elle se dégage progressivement de ses agissements, et telle qu’elle semble plausible au vu des hypothèses contexutelles.
Mais on peut penser que l’entrevue avec Gérard Larcher a cumulé les deux hypothèses que nous avons exposées.
Dans un premier temps, Emmanuel Macron a probablement fait le point de la dissolution avec Gérard Larcher, et a donné à celui-ci l’occasion de faire la liste de ses griefs. “Vous ratatinez la démocratie, Monsieur le Président !”. Grand prince, un sourire narquois aux lèvres, Macron a dû plaider le malentendu, l’urgence, les difficultés du temps, et il a peut-être même bredouillé quelques excuses d’autant plus simples à formuler que Macron s’apprêtait à lui jouer un autre vilain tour.
Dans un deuxième temps, les deux hommes ont probablement évoqué les derniers sondages “remontée de terrain” des renseignements territoriaux indiquant une possible majorité absolue du RN, les risques de cete configuration, l’urgence d’éviter le pire. On papote désistements, “ni-ni”, on passe en revue les scénarios possibles. Et que Macron donne du : “Monsieur le Président, comment imaginez-vous un gouvernement d’union nationale”, et autres fadaises pour amuser la galerie.
Et, dans cet ensemble d’hypothèses, j’entends d’ici, madré, Macron demander : “Pensez-vous que je doive démissionner ?”. Et Larcher de répondre, incrédule : “Ce n’est pas sérieux, vous n’y pensez pas !”
Et hop, le Président du Sénat vient d’être consulté à son insu.
Cette élection aura au moins le mérite de dégriser le président et sa caste arrogante.
intéressante réflexion sur quelques mots d’un gros gourmand … perso, j’attendrai dimanche d’abord et lundi ensuite, pour savoir ce qui va se passer 🙂 la période est tellement insolite au niveau politique et les politiques ont des réactions tellement mercantiles que je suis capable d’imaginer n’importe quoi, y compris l’inimaginable ! mais ça ne m’empêche pas d’apprécier votre article, Eric 🙂
Article 16 tout à fait crédible, voire probable en fonction de la claque électorale du 7/7.
Démission puis article 7 probable en fonction de la claque électorale du 7/7 dans la nuit. Merci.