La période est décidément mouvementée pour les acteurs du monde de la protection sociale : alors que l’examen parlementaire du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 est pour le moins délicat pour le gouvernement, et que les perspectives, notamment financières, des couvertures sociales de la population apparaissent complexes, une nouvelle difficulté se profile à l’horizon pour ces mutualisations.
La multiplication des plans sociaux d’ampleur constitue un défi de taille pour des régimes de protection sociale déjà soumis à de fortes contraintes.
Le grand retour des plans sociaux
Dans le domaine social, la semaine dernière a notamment été marquée par deux annonces d’importants plans sociaux d’entreprises : l’une par le groupe industriel Michelin, qui a décidé de fermer deux usines, à Cholet et Vannes, qui emploient plus de 1 250 salariés, et l’autre par le groupe de la grande distribution Auchan, qui a fait savoir qu’il entend supprimer près de 2 400 salariés dans son réseau – y compris par la fermeture pure et simple de plusieurs magasins. Largement commentées dans le débat public, ces annonces l’ont notamment été sous l’angle de ce qu’elles révèlent des fragilités structurelles du tissu économique français. Elles procèderaient largement de l’exposition du pays à la forte hausse des coûts de l’énergie, qui renchérit les coûts production tout en pesant sur le pouvoir d’achat des Français.
Dans cette configuration générale, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci, interrogé samedi dernier sur France Inter, a affirmé qu’il fallait s’attendre à la survenue de bien d’autres plans sociaux. Il a, plus précisément, cité les branches industrielles de la chimie, de la métallurgie et de l’automobile. “Des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement dans les semaines et les mois qui viennent”, notamment dans “les secteurs de l’automobile, de la chimie ou de la métallurgie”, a-t-il anticipé, affirmant que leur solde “va se compter en milliers d’emplois”. Il y quelques semaines, France Chimie avait ainsi alerté sur la “crise inédite” qui frappe le secteur et sur les risques sociaux auxquels il fait face : “sans action résolue des pouvoirs publics, environ 15 000 emplois directs seraient menacés en France”. Dans la chimie comme ailleurs, des suppressions d’emplois directs emportent par ailleurs des suppressions dites indirectes, non seulement dans l’industrie mais également bien au-delà.
Une contrainte financière forte pour la protection sociale
Pour les régimes de protection sociale, la survenue de nombreux plans sociaux et, avec elle, la dégradation du marché de l’emploi, est une mauvaise nouvelle. D’une part, c’est leur effet le plus immédiat, parce qu’elles impliquent une diminution des recettes qui viennent abonder les régimes. Problématique pour ceux d’entre eux qui organisent une mutualisation générale, comme la Sécurité sociale ou l’AGIRC-ARRCO, la situation l’est plus encore pour ceux – et leurs assureurs – qui ont un ancrage professionnel plus ou moins affirmé dans les secteurs directement ou indirectement en difficulté. Les financeurs privés des dépenses de protection sociale que sont les assureurs peuvent légitimement craindre, dans les prochains mois, des tensions sur le financement des mutualisations qu’ils gèrent. Pour les assurés sociaux, et bien qu’elle soit le résultat d’une mauvaise conjoncture économique, la dégradation du marché de l’emploi devrait se se traduire par de nouvelles hausses des cotisations de protection sociale.
Une telle évolution apparaît d’autant plus probable que, s’agissant des dépenses de ces mutualisations, la dynamique devrait plutôt être l’inverse de celle de leurs recettes. Certes, comme en a témoigné l’attitude adoptée par l’AG2R La Mondiale à l’endroit des salariés de Camaïeu, le principe de portabilité peut souffrir certains problèmes dans sa mise en œuvre. Il n’en demeure pas moins qu’il fait partie des obligations légales qui s’imposent aux assureurs santé et prévoyance, et qu’il vient alourdir leurs charges sans contreparties de financement véritablement proportionnées. Outre ceci, il y a tout lieu de penser que les assurés sociaux des sociétés et secteurs en difficulté font davantage l’objet d’une fragilisation de leur santé mentale et physique que les autres assurés sociaux – fragilisation susceptible d’accroître la sinistralité des contrats qui les couvrent. Les régimes de protection sociale font ainsi doublement les frais des vagues de plans sociaux et de la dégradation du marché de l’emploi.
Une transition écologique toujours improbable
Pour les financeurs privés des dépenses de protection sociale : assureurs et assurés sociaux, cet effet de ciseau devrait intervenir dans un contexte déjà difficile, notamment marqué par un accroissement des tensions financières pesant sur les régimes. Si le gouvernement du Premier ministre Michel Barnier n’est pas revenu sur sa volonté de réaliser une quinzaine de milliards d’euros d’économie sur les dépenses sociales, l’assouplissement de sa position sur la revalorisation des pensions de retraite – qui devraient, comme l’a annoncé le président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée Nationale, Laurent Wauquiez, être revalorisées à hauteur de la moitié de l’inflation – devrait le conduire à chercher d’autres sources d’économies dans d’autres domaines de dépenses sociales. L’horizon à court terme des financeurs privés de la protection sociale est clairement à l’alourdissement des charges pesant sur eux.
A plus long terme, leur partie n’apparaît guère plus engageante. La création puis la structuration, à compter du début du XXème siècle, de vastes mutualisations de protection sociale n’a pas seulement été motivée par la recherche d’une amélioration de la situation des travailleurs et des citoyens. Elle a aussi permis d’accompagner les épisodes successifs de la modernisation de l’appareil productif, en rendant relativement indolore, pour les travailleurs concernés, le remplacement de certaines activités économiques par d’autres. S’agissant de la période actuelle, rien n’indique, hélas, que la multiplication annoncée des plans sociaux s’inscrit dans une dynamique plus générale de renouvellement en cours du tissu économique national – qui irait dans le sens, par exemple, de sa transition écologique qui nous est tant vantée. Dans l’état actuel des choses, on peine, autrement dit, à identifier l’infrastructure économique qui, tendanciellement, va contribue à l’assainissement des comptes des régimes de protection sociale.
Le Courrier des Stratèges
Pensez par vous-même