Sans surprise-party à Notre-Dame, dans l’entre-soi de la caste, par Lucien Persignac

Sans surprise-party à Notre-Dame, dans l’entre-soi de la caste, par Lucien Persignac

Qu’ils sont beaux sur la photo, pardon sur la gravure, ces puissants, ces rois et ces reines, ces princes et ces princesses, venus de toutes parts, pour entourer Napoléon le Petit, lors de l’Exposition Universelle de 1867. De la terre entière, ils ont accouru pour respirer un peu de cet air magique de Paris, se réchauffer à la gloire de son souverain, se vautrer joyeusement, un peu, dans la débauche et la corruption de la fête impériale. Trois ans plus tard, ce fut Sedan et la défaite face aux Prussiens, la guerre civile et le Mur des Fédérés. Quel magnifique résultat !


Les souverains, les plus grands, comme les roitelets, aiment l’entre-soi. Ce n’est pas nouveau. Sous l’Ancien Régime, ils l’aimaient tellement qu’ils se mariaient entre eux, encore et encore, pour préserver leur sang si précieux et mieux se distinguer de leurs simples sujets, au point qu’ils en devenaient parfois consanguins, contrefaits, à moitié débiles et stériles, comme le pauvre Charles II d’Espagne (1661-1700), et que leur dynastie finissait par s’éteindre, quand elle n’était pas renversée par des populations qui s’étaient lassées.

L’entre-soi des puissants et leur bulle dorée

L’entre-soi rassure les princes. Ils comparent leurs gourmettes, se font des blagues et se donnent l’accolade, s’embrassent et se congratulent. Ils jouissent ensemble de leur puissance, de leurs succès comme de leurs mauvais coups, de leur éclat comme de leur bassesse, de leur grandeur aussi bien que de leurs misères. Ils sont heureux, insouciants et légers, parce qu’ils sont loin de ces peuples, qui les agacent par leurs revendications, qui ne les comprennent pas tant ils sont supérieurs, qui, comble du scandale, se permettent parfois de les critiquer et qui, finalement, ne les méritent pas.

Gageons qu’ils seront beaux sur la gravure, pardon sur la photo, réunis sur le parvis de Notre-Dame. Distillant savamment les confidences, l’Elysée en promettait trente-cinq jeudi soir, tout en susurrant que la liste s’allongerait encore d’ici samedi. Quelle merveille ! Quel bonheur ! J’en ai le cœur qui palpite et la salive aux lèvres. Pensez donc ! Donald Trump, lui-même, pour son premier voyage international depuis sa réélection ! Le roi des Belges et Albert II de Monaco ! Je défaille. Les présidents de la République du Congo et de la République démocratique du Congo. Je monte aux nues. Qui donc ? Qui donc ? murmure le petit peuple, fébrile et impatient, devant tant de majesté… On nous dit Zelensky… J’en frémis. Poutine aussi ? Ah non, celui-là, après avoir été longtemps invité, est désormais rejeté : c’est un prince félon, qui n’en fait qu’à sa tête. Le pape ? non plus, mais il a fait dire par son nonce qu’il adorait la France… Nous voici rassurés. King Charles himself ? Si seulement…

2024, une année de faste …et d’oubli populaire

Bien sûr, les habituels mauvais coucheurs, nous dirons que, faisant sienne la parole de l’Evangile, « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Mc 14,7), le clergé parisien aurait pu insister pour que, sur la photo de la réouverture de Notre-Dame, figurent plutôt les éclopés, les indigents et les lépreux, les manchots et les boiteux, les miséreux et les malades, pour qui la cathédrale a été faite si belle par ceux qui mirent deux cents ans à la construire. On aurait pu souhaiter, parce qu’elle est d’abord leur maison, leur asile, leur réconfort, qu’ils y entrent avant tous les autres, avec leurs difformités et leurs malheurs, leurs peines et leurs fardeaux.

Impossible ! Vous n’y pensez pas !Gâcher la fête de notre bon prince. En 2024, il est partout chez lui, vous le savez bien. A Notre-Dame aussi et il a tenu à y organiser une sauterie pour ses amis. Le peuple pourra se contenter de la télé, c’est aussi bien pour lui. De toute façon, il ne comprend rien. En 2024, oui, mais d’ici trois ans ?