Le rapport que Jean-Marc Aubert, directeur de la DREES, vient de rendre notamment sur la tarification de la médecine de ville, mais plus généralement sur le financement de la santé publique en France, propose des pistes de réformes qui devraient modifier en profondeur le paysage médical. Ce rapport illustre la tendance inévitable à la fonctionnarisation des médecins de ville dans le cadre du monopole de l’assurance-maladie.
Jean-Marc Aubert s’est illustré en novembre 2018 par un premier rapport sur le financement de la santé largement consacré à la tarification de l’activité. Ce rapport a servi de base au curieux dispositif adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale, qui prévoit une prime pour les hôpitaux à chaque patient réorienté des urgences vers un médecin de ville. C’est dire l’influence réelle du directeur de la DREES sur la décision publique, et le poids que ses préconisations devraient avoir sur l’avenir de l’assurance maladie.
La tarification à l’activité
Le rapport du 29 janvier 2019 s’intéresse évidemment à la question des ressources des hôpitaux, et à la tarification à l’activité, dont tout le monde sait qu’elle a poussé à une forte inflation d’actes inutiles dans des structures hospitalières qui proclament par ailleurs leur épuisement. On notera que cette invention date du plan hôpital de 2007! Il n’aura fallu que dix ans à la technostructure pour proposer de corriger les aberrations qu’elle a elle-même produites.
Jean-Marc Aubert propose à l’avenir de rémunérer les hôpitaux selon le principe des modes de financement combinés. Une phrase emblématique résume assez bien la démarche: « Tous les systèmes de santé des pays développés s’orientent dans la voie de modes de financement combinés afin de satisfaire les besoins de santé publique, de faire progresser le niveau de qualité, pour inciter à la coopération tout en préservant la soutenabilité économique du système dans son ensemble. » (page 6).
Dans la pratique, le système de financement inclurait à l’avenir des « paiements à la qualité et à la pertinence ». Dans la pratique, la démarche consistera surtout à adapter à la France une méthode déjà mise en place à l’étranger, comme l’indique le rapport lui-même: « Il en effet essentiel de s’assurer que les prises en charge s’adaptent bien aux conditions médicales et sociales du patient. Ces indicateurs, appelés Prom’s (Patient-reported outcomes measures) et Prem’s (Patient-reported experience measures), se développent à l’étranger et méritent une place centrale dans le système de santé français. »
Ceux qui espéraient la fin de la bureaucratie dans les hôpitaux risquent donc d’être très déçus.
La tarification de la médecine de ville en plein bouleversement
Mais c’est surtout la médecine de ville qui risque de subir l’impact le plus important des préconisations issues du rapport final de Jean-Marc Aubert. L’équipe qui a entouré l’auteur s’est montré particulièrement imaginative sur le sujet.
On retiendra en particulier deux idées phares, résumées dans le schéma abscons ci-dessous:
Comme on le devine, plusieurs innovations risquent de remuer fortement les médecins de ville.
Le forfait pour le suivi des pathologies chroniques constituerait un premier pas vers la fin du paiement à l’acte. Dans la pratique, il s’agirait d’une superbe usine à gaz avec un tarif global adapté à la pathologie de chaque patient. En l’espèce, « le professionnel de santé, au lieu d’être payé à chaque rencontre avec son patient atteint d’une pathologie chronique, recevra un paiement global pour sa prise en charge. Ce paiement pourra être annuel ou mensuel en fonction des pathologies et des professionnels. Afin d’éviter les stratégies de sélection des patients, le montant du forfait devra différer en fonction de l’état clinique du patient et de son histoire personnelle (pathologies associées, sévérité de la pathologie, conditions de vie). De nouvelles informations cliniques et sociodémographiques résumant le parcours et les conditions de vie du patient, serviront à moduler le forfait. » (page 13).
Le professionnel de santé en question appréciera la simplicité du dispositif.
Le paiement à l’épisode de soins promet de plus belles empoignades encore. Cette formule existant aux États-Unis sous l’appellation de « bundled payment » consiste, pour faire simple, à financer un traitement mis en place par plusieurs praticiens. L’assurance maladie laisse ces praticiens se répartir entre eux l’indemnisation de l’assureur. Cette formule révolutionnaire se heurte évidemment au principe de la réalité française: « La mise en œuvre de tels forfaits nécessite une contractualisation entre les acteurs concourant aux soins, ce qui peut se révéler complexe au vu de la multiplicité des intervenants encore très peu structurés, notamment en ville. » Comme l’indemnisation concerne la « séquence de soins » (par exemple après une fracture d’un membre) qui englobe à la fois les soins prodigués à l’hôpital et en ville, on se divertit par avance de la contractualisation entre médecins de ville et hôpitaux publics!
Là encore, la phase opérationnelle risque d’être particulièrement calme et apaisée.
Révision de la nomenclature de la sécurité sociale et réforme du paiement à l’acte
S’agissant du paiement à l’acte, le rapport Aubert préconise une révision complète de la nomenclature de la sécurité sociale, et plusieurs réformes dans la tarification « ordinaire » de la médecine de ville.
Comme l’indique le rapport (page 20): « Le maintien d’une part significative de rémunération à l’acte ou l’activité ne peut s’envisager sans un investissement majeur sur la révision des nomenclatures afin d’en assurer la cohérence et la pertinence avec l’état de l’art médical. Dans de nombreux domaines, il existe des dizaines voire des centaines d’actes (en biologie) qui sont classés hors nomenclature. Les rythmes de mise à jour sont souvent trop lents conduisant à une durée de révision générale des nomenclatures qui pourrait durer plus d’une centaine d’années. »
Cette révision des nomenclatures devrait s’accompagner de quelques innovations qui ne réjouiront pas les médecins de ville non plus. Le rapport propose notamment de mettre en place des paiements à la séquence lorsqu’un praticien se consacre à un seul épisode de soins. « Par exemple, il serait souhaitable de créer un paiement “à l’activité” regroupant une séquence complète de rééducation chez un masseur kinésithérapeute (généralement, une dizaine de séances pour la pose d’une prothèse de genou), plutôt que de payer à la séance de rééducation. Un tel paiement à l’activité permettrait de mieux suivre la finalité de ces séances, mais aussi d’envisager un recueil des résultats de la rééducation. »
Là encore, la réforme risque de réserver quelques surprises aux praticiens.
Structuration des soins de ville
Sous cette appellation opaque, le rapport prévoit d’accélérer la constitution des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). L’ambition de la technostructure est ici de transformer progressivement la pratique de la médecine de ville pour l’allotir, en quelque sorte, en une série de mini-entreprises médicales à responsabilité limitée.
Calendrier proposé de mise en place
On retiendra enfin le calendrier de mise en place proposé par le rapport. Il est suffisamment complet pour retenir l’attention et laisser présumer que les arbitrages politiques sont déjà rendus.
On le voit, le calendrier est calé sur 2022! un terrible aveu…
Tout ceci ne sert qu’à une seule chose, non avouée, bien sûr : continuer, car ce n’est pas nouveau, à persécuter les libéraux pour les détruire et ne plus leur laisser qu’un seul choix de survie : le salariat, c’est à dire une médecine d’État dans laquelle le serment d’Hippocrate partira aux oubliettes, comme on l’a vu pendant la « crise » du Covid 19. Dans le mot libéral il y a liberté, un mot que nos « élites » ne supportent pas (sauf pour eux), ce mot les rend carrément malades.