Depuis plusieurs jours, nous nous interrogeons sur le rôle de Ludovic Chaker, conseiller de l’ombre à l’Élysée, premier salarié d’En Marche devenu chargé de mission à l’état-major particulier de l’Élysée, sans toutefois apparaître sur l’organigramme. Accessoirement, tout le monde sait aujourd’hui que c’est Chaker qui a introduit Benalla auprès de Macron.
Si l’on doit résumer l’enjeu du “dossier” Chaker, soulevé à plusieurs reprises par différentes sources mais utilement mis en lumière par Juan Branco, il tient à la part de l’ombre dans les décisions élyséennes: pourquoi cet homme recruté par Richard Descoings à Sciences Po est-il passé du statut de premier salarié d’En Marche à chargé de mission secret de l’Élysée? Quel rôle joue-t-il au juste?
Ce que l’on sait de Ludovic Chaker
Ludovic Chaker cultive un certaine forme de discrétion. Son parcours sur Linkedin, par exemple, ne mentionne rien avant sa reconversion professionnelle à Sciences Po, à partir de 2009. Pourtant, il a alors plus de 35 ans, et a déjà vécu une première expérience professionnelle.
Sur celle-ci, tout ne se sait pas encore! Mais il apparaît, sans que l’intéressé ne l’ait contesté, qu’il appartenait au 44è régiment d’infanterie, où sont souvent classés les personnels militaires de la DGSE. Le Monde rappelle que c’est à ce titre que, selon les Macronleaks, l’intéressé participait aux groupes d’experts d’En Marche.
Cette circonstance, si elle se vérifiait, en dirait long sur l’influence que les services ont pu avoir dans la campagne d’Emmanuel Macron. En effet, Chaker deviendra vite si indispensable qu’il sera le premier permanent d’En Marche recruté à temps plein, et aussi l’intermédiaire entre Emmanuel Macron et l’indispensable Alexandre Benalla.
Rétrospectivement, les relations d’Alexandre Benalla avec une faune d’intermédiaires ouverts sur les marchés internationaux (avec la Russie, l’Afrique ou le Proche-Orient) amènent à soulever des questions sur les coulisses de ces recrutements.
Ludovic Chaker et Ismaël Émélien
Toujours est-il que Ludovic Chaker continue encore aujourd’hui une carrière militaire dans la réserve opérationnelle de l’armée de terre, à laquelle il appartient depuis 2005. Il y a décroché le grade de commandant en décembre 2017.
Le Monde a la bonne idée d’éclairer le “chaînon manquant” entre Chaker et Macron. Il s’appelle Ismaël Émélien, éminence grise d’Emmanuel Macron. Émélien et Chaker se seraient rencontré en Égypte en 2007: “profitant de l’année à l’étranger prévue dans le cursus de Sciences Po, le jeune Émélien a choisi d’apprendre l’arabe dans ce pays.” En même temps que Chaker.
Si cette circonstance est vraie, elle ne manque pas de piquant. À cette époque en effet, Chaker avait terminé son passage aux Langues O, où il a appris le chinois. Cette formation lui permettra ensuite de prendre un poste à Shangaï, pour le compte de Sciences-Po. Certains suggèrent qu’il s’agissait d’une couverture pour les services.
Selon Le Monde: “Il débute son parcours professionnel à l’âge de 28 ans, en 2007, avec un contrat au consulat général de France à Shanghaï, chargé de la coopération universitaire. « Il connaissait bien la Chine et occupait un de ces postes qui servent parfois de couverture », se souvient Franck Renaud, auteur du livre Les Diplomates, derrière la façade des ambassades de France (Nouveau monde, 2011), alors chargé de mission pour l’école de journalisme de Lille (ESJ) en Asie.”
Un “agent” affecté en Chine, qui a appris le chinois, et qui se retrouve à apprendre l’arabe au Caire? Toujours est-il que, dans ces circonstances curieuses, Chaker et Émélien restent en contact pour les années à venir.
Chaker, la politique et le rugby
Dès 2007, Chaker semble avoir créé une petite société de conseil, Ooda, qu’il liquide en 2017. Le conseil sera son refuge à son retour en France, après ses pérégrinations en Chine pour le compte de Sciences-Po. Le Monde nous indique qu’à cette époque il travaille même avec son oncle Claude Atcher, éminence de la Fédération Française de Rugby.
Entretemps, il a multipliée les expériences malheureuses en politique. Il est un temps directeur de cabinet du maire de Joué-les-Tours (en 2009). Il se présente aux élections législatives sous une étiquette socialiste en 2012, dans la circonscription Asie-Russie… Sa candidature aurait été très peu active. Elle le conduit à faire un score groupusculaire (1,99%) et à subir une peine d’inéligibilité d’un an (pour défaut de certification de ses comptes par un expert-comptable).
Quel est le métier de Chaker à l’Élysée?
Avec la victoire d’Emmanuel Macron, Chaker intègre l’Élysée, mais ne figure pas sur l’organigramme des services de la Présidence. C’est une circonstance étrange, qui soulève aujourd’hui bien des questions, car elle invite à se demander si Chaker y joue juste le rôle de porte-serviettes que Macron aurait voulu remercier, ou s’il y exerce des missions qui relèvent plus du renseignement pour le compte direct du Président.
Sur ce point, Chaker reste discret: il a plusieurs fois refusé de répondre à la question posée par Le Monde sur ses véritables fonctions. D’où cette interrogation d’Ariane Chemin et de François Krug: “c’est lui qui, après avoir organisé des meetings et mobilisé une armée de bénévoles pendant la campagne du candidat Macron, s’occuperait de renseignement et de terrorisme auprès du chef de l’Etat.” Toute la question est là.
Les indices sur le rôle de Chaker
À mesure que la pelote se déroule, on découvre en tout cas à quoi peut bien servir un Ludovic Chaker.
Le Monde révèle par exemple qu’Alexandre Benalla, qui fut présenté à Macron par Chaker, aurait servi d’intermédiaire entre Pascale Jeannin-Perez, femme d’affaires installée en Suisse, et Ludovic Chaker. Cette femme intervient sur pas mal de dossiers, et s’intéresserait en particulier à la Libye. Elle soutient ne pas connaître les fonctions de Chaker.
Benalla aurait également présenté Philippe Hababou-Solomon à Ludovic Chaker. Cet homme d’affaires israélien a emmené avec lui Alexandre Benalla lors du fameux voyage au Tchad qui a soulevé une nouvelle tempête médiatique fin décembre.
Pourquoi ces amis de Benalla s’intéressent-ils à celui qui avait présenté leur protégé à Macron? Il existe deux réponses possibles à cette question. Soit Chaker n’a pas de rôle important à l’Élysée mais Benalla se fait “mousser” en présentant à ses relations les seconds couteaux qu’il connaît pour donner l’illusion d’une vraie influence. Soit Chaker a un rôle effectif et Benalla le présente à ses relations parce que c’est bon pour elle.
Chaker apparaît pour la première fois dans des révélations
On rappellera ici que Mediapart a évoqué pour la première fois dans des révélations directes le rôle particulier de Chaker dans les affaires élyséennes et benallesques. Jusqu’ici, Chaker n’a été questionné ni par la commission parlementaire ad hoc, ni par la justice. Pourtant, il semble avoir entretenu d’importantes relations avec Benalla après son éviction.
On s’interrogera quand même sur ce manque d’intérêt des parlementaires et des juges pour un homme qui est à la source du recrutement de Benalla à l’Élysée.
Le verbe bordéliser prend tout à coup son sens propre. Bravo Micron. “Plus y a de fous, mieux je m’amuse” peut-on imaginer entendre