Depuis plusieurs semaines, la fiscalité est au coeur du débat public… et des couacs gouvernementaux. Ce week-end n’a pas échappé à la règle: la ministre Gourault a fait une sortie médiatique sur le sujet qui s’est immédiatement transformé en tempête dans un verre d’eau. Pour affronter les quelques jours qui restent au gouvernement Philippe, une séance de travail entre ministres sur la fiscalité serait bienvenue.
Dans une interview à la presse (en l’espèce au Journal du Dimanche), la très discrète Jacqueline Gourault (Modem) a formulé une proposition bien connue à droite: soumettre tous les citoyens à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. En l’état, cet impôt frappe à peine la moitié des ménages. Immédiatement, le Premier Ministre a expliqué que le sujet n’était pas dans les pistes du gouvernement. Sacré cacophonie!
La fracture fiscale du gouvernement
Au fil des semaines, on comprend qu’il existe une fracture fiscale au sein du gouvernement, et à peu près autant d’idées sur les impôts qu’il n’existe de ministres. Entre ceux qui expriment la voix de Bercy, et ceux qui expriment leurs propres idées et propres convictions, on peine à s’y retrouver et on se dit qu’Édouard Philippe gagnerait, même partant, à rassembler tout ce petit monde pendant une bonne journée de travail pour réaccorder les violons et semer les bons grains qui feront la moisson après lui.
La voix de Bercy
Au premier rang de cette cacophonie, on se souvient des idées qualifiées de ballons d’essai régulièrement émises par Bruno Le Maire et Gérald Darmanin. Ceux-ci ont répercuté sans trop réfléchir les notes dont leur technostructure les abreuve: on se souvient tout particulièrement de la proposition, en début d’année, de réduire les niches fiscales lancée par Darmanin, et tout spécialement de les plafonner pour les plus riches. L’expérience montrant que les plus riches sont ceux qui gagnent plus de 4.000€ par mois, on a du souci à se faire.
De son côté, Bruno Le Maire avance l’idée d’imposer les GAFA sur leur chiffre d’affaires. Cette proposition dans l’air du temps, redisons-le, risque de se retourner le moment venu contre les entreprises françaises qui exportent aux États-Unis. On voit mal pourquoi, en contrepartie, Trump en effet ne déciderait pas de taxer les producteurs de Cognac sur leurs ventes outre-Atlantique.
Les amateurs d’ISF
Face à corpus technique de Bercy, on trouve de tout au sein du gouvernement, y compris des nostalgiques de l’impôt sur la fortune, pourtant banni par Emmanuel Macron. C’est par exemple le cas de Marlène Schiappa, qui s’était exprimée début décembre sur le sujet, et qui fut rapidement recadrée par le Président.
L’anecdote n’est pas anodine. La fraction gauche de la majorité, et singulièrement du gouvernement, ne dédaigne pas les totems sociaux-démocrates, et prendrait sans doute plaisir à y revenir. Ce facteur n’est pas à négliger dans l’influence qui jouera prochainement pour orienter les pistes de sortie de crise.
L’obstination dans la fiscalité écologique
Mais le gros du morceau tient évidemment aux défenseurs de la fiscalité écologique, qui répètent régulièrement leur petite musique, même après le traumatisme des Gilets Jaunes. La secrétaire d’État Brune Poirson s’est par exemple prononcée en faveur du retour d’une taxe carbone, mais payée cette fois par d’autres que les pollueurs… Elle visait en particulier les banques.
Elle n’est pas la seule. Les députés de la majorité abordent régulièrement le sujet, et certains se sont même fendus d’une tribune en ce sens sous la houlette du député démissionnaire Matthieu Orphelin. À n’en pas douter, la question de la fiscalité écologique et de la forme qu’elle peut ou doit prendre constitue le “gros morceau” de la synthèse gouvernementale à venir. Au-delà, c’est le gros morceau de la synthèse majoritaire face à une opinion assez (voire très) hostile à la créativité fiscale des marcheurs.
Les partisans de l’impôt républicain
Face à ces dynamiques, la position de Jacqueline Gourault est un bon indicateur sur la persistance d’un courant beaucoup plus républicain dans les instances gouvernementales. Sans surprise, ce courant est plus marqué à droite. Il repose sur l’idée, vieille comme la Révolution Française, d’un impôt universel simplement chargé de financer les dépenses publiques.
C’est cette aile qui, selon nos pronostics, sera prochainement évincée du gouvernement au profit de l’aile sociale-démocrate.
Ceux ou celles qui n’ont pas d’idée
Enfin, le gouvernement compte aussi sa majorité silencieuse, qui n’a pas beaucoup d’idée sur le sujet de la fiscalité, et qui fera ce qu’on lui dira de faire. C’est par exemple le cas d’Agnès Buzyn qui confiait récemment ne pas trop savoir s’il fallait ou non préserver l’universalité des allocations familiales. Cette absence de vision d’une ministre en charge de la sécurité sociale sur le financement de son domaine de compétence en dit long sur l’appauvrissement de l’équipe Macron, présentée comme une équipe de techniciens compétents à défaut d’être politiques.
Macron a intérêt à préparer une synthèse fiscale
Face à ces enjeux et aux divergences de positions qui traversent non seulement le gouvernement, mais aussi la majorité, Emmanuel Macron aurait tout intérêt à entamer ce fameux travail de “pédagogie”, c’est-à-dire de préparation des esprits, qu’il élude depuis le début de son mandat, pour son plus grand malheur. S’il veut éviter d’avoir à rendre une décision verticale et autoritaire, le bon sens lui recommande d’entamer rapidement un travail de calage avec sa majorité, en posant les questions qui fâchent. Selon nous, elles sont au nombre de deux.
La redistribution des richesses au coeur du débat
Première problématique essentielle à laquelle la majorité doit donner une visibilité claire: veut-on ou non redistribuer les richesses par l’impôt? et si oui, dans quelle proportion? Sur ce point, il existe une attente forte de la population. Le caractère emblématique de l’ISF, qui n’enrichit guère, comme le souligne Macron, ceux qui ne le paient pas, montre bien que, pour beaucoup de Français, l’impôt doit frapper les plus riches et profiter aux plus pauvres. Sur ce point, la ligne de la majorité n’est pas claire et a besoin d’être précisée.
L’impôt pigouvien et l’incitation fiscale
Deuxième problématique qui affleure à la surface de l’expression majoritaire: la mise en place d’un impôt écologique qui ferait peu ou prou payer les pollueurs. Cet impôt pigouvien n’est là non plus pas clairement expliqué. Pas plus que l’avenir des incitations fiscales à la croissance – ces fameuses niches comme le CICE ou les exonérations de ceci ou de cela dont one ne sait plus trop si le gouvernement souhaite les conserver ou non.
Compte tenu de la sensibilité du sujet, il serait bon de commencer la synthèse maintenant, ne serait-ce que pour dresser un diagnostic des divergences au sein de la majorité.
Un séminaire gouvernemental s’il vous plaît
De notre point de vue, une première approche pourrait consister à dresser un état des lieux des divergences ou des différences d’appréciation au sein de l’équipe au pouvoir. Cette étape permettrait au Président de sentir les difficultés à venir pour faire passer des réformes cruciales pour l’avenir.
Mais peut-être cette recherche de sens ou d’idées appartient-elle trop à l’ancien monde.