Sébastien Laye, entrepreneur et porte-parole de Réconciliations ! propose d'imaginer ce que sera le jour d'après le coronavirus. Cet important article s'inscrit dans la réflexion que nous lançons sur "que faire après le coronavirus?".
« Demain sera un autre jour » dit l’Ecclésiaste dans la sagesse biblique, nous rappelant que toute krisis (étymologiquement jugement porté par ce qui est en train de naitre sur ce qui est en train de mourir) est à la fois douloureuse, transitoire et lourde de sens par ce qu’elle porte en germe sur la destruction du monde d’avant : la fin d’un monde n’étant jamais la fin du monde, l’Homme étant capable, comme le montre toutes les tradition spirituelles, d’infinies résurrections (métamorphose ou métanoia dans le texte), c’est toujours un nouveau monde qui nait sur les décombres de l’ancien (même si les monstres gramsciens sont toujours tapis dans le clair-obscur entre les deux).
On regardera d’abord avec circonspection les Cassandre qui nous annoncent un changement radical juste après cette crise, car ces prophètes (notamment ceux de la décroissance) ont déjà sévi après la crise financière de 2008 et ont bien du admettre la tendance naturelle de l’Homme à se délecter des vertus du doux commerce et de l’insouciance après une période de crise…on abandonnera ici les thuriféraires permanents d’un autre monde ou d’une alternative au capitalisme – eux-mêmes aussi grossiers ou marxistes que les pires spéculateurs puisque leur vision, l’économicisme, qui veut envers et contre tout, tout expliquer par l’économie (mon expertise, mais je ne la connais que trop bien pour savoir ses limites…et les miennes malheureusement) échoue à capturer le zeitgeist de notre époque. Non, il nous faut plutôt revenir à ce qui était en germe avant et qui va essaimer après cette crise qui agit comme un catalyseur.
La mondialisation, première victime du jour d’après
La première victime de cette crise est la mondialisation bureaucratique : affaiblie par les coups de butoir du réveil des peuples, des populismes et du gilettisme en France, la mondialisation extreme et effrénée, le capitalisme purement financier, voulus par les élites bureaucratiques françaises ( et non la mondialisation naturelle au sens braudélien, c’est-à-dire la multiplication des échanges commerciaux, qui elle se poursuivra comme par le passé par vagues successives) sont désormais marginalisés : la Chine inspire la crainte, le tourisme de masse-promesse consumériste pour un Homme réduit- ne séduit plus, la réindustrialisation est une priorité. L’Etat Nation et la Souveraineté sortiront renforcés de cette séquence. Un Etat Nation par le truchement duquel un peuple reprend le contrôle de sa destinée, face aux grandes organisations internationales qui l’ont réduit à un Peuple-Consommateur.
à travers cette crise qui nous fait prendre conscience à nouveau que nous sommes mortels, en tant qu’humains mais aussi en tant que civilisations, la matrice d’un vouloir vivre différent se sera mise en place
Puisqu’il s’agit ici de reconnaitre les pleines dimensions de l’Humain et du Citoyen, du zoon politicon, au-delà du consumérisme et de l’utilitarisme, face à la peur du virus, les modes de vies et de consommation, justement, vont continuer leur adaptation : refus du triomphe de la Valeur Argent, frugalité et simplicité, fuite des excès même parmi les plus aisés. La mystique citoyenne romaine sera plus notre guide dans les années à venir que le clinquant du bling bling ou de la start up nation (le personnel politique devra s’ajuster, ou être renouvelé) : courage, simplicité, authenticité seront les valeurs cardinales. Sans exclure la réussite individuelle, mais en la replaçant à sa juste place : on admirera des primus inter pares parmi nos sœurs et nos frères mais en vouant aux gémonies les hubris jupitériens. On se souviendra qu’à Rome un esclave accompagnait les Césars sur leurs chars lors des triomphes pour leur chuchoter qu’ils étaient eux aussi mortels…Chacun doit rester à sa place dans sa sphère d’influence comme le rappelle le philosophe Michael Walzer. Une élite uniforme n’a plus aucun sens.
La métropolisation en procès
La seconde victime de cette crise est le mouvement de métropolisation. Agglutinés dans nos villes tentaculaires, nous avons rapidement propagé l’épidémie. Le retour en force des Territoires, évident pour qui avait suivi la campagne des municipales, devient réel après cette crise : sans compter l’importance de l’approvisionnement agricole, seul pan de notre économie à être resté solide durant la crise. Ingérer une nourriture venant de loin, ne respectant pas l’environnement, ne sera même plus une option mais une interdiction pratique, une fois acquise la conscience du danger de telles pratiques. Exode rural inverse et désinisation des chaines de production offriront de nouvelles opportunités aux productions locales et à la réindustrialisation des territoires.
Et le rationalisme moderne ?
La troisième victime de cette crise – mais il était bien chancelant- sera le rationalisme moderne, la foi irrationnelle dans le progrès. Tout le malheur de l’homme contemporain, comme l’avait montré Carl Jung, vient de ce que l’esprit des Lumières, après l’avoir délivré (imparfaitement) du dogmatisme religieux, l’avait également scindé de sa matrice animique et spirituelle. Coupé de ses racines, livré sans garde fous à son délire prométhéen, il a pu dévaster son environnement et s’imaginer transhumain. Cette crise épidémique lui rappelle le sens de sa Limite ; tandis que le confinement est propice à la réflexion, la méditation, et la reconnexion avec le Soi transcendant son Ego. On peut en espérer, par étapes, plus d’altruisme et de solidarité organique.
Vers la fin des élites…
La quatrième victime, dans le contexte français, sera ce groupe qui s’autodéfinit comme l’Elite : politiques, haut fonctionnaires, journalistes de médias de connivence et zélotes intellectuels du pouvoir, tous n’ont cessé de sombrer jour après jour, révélant leur incompétence mais – plus grave- leur manque de courage et leur cynisme arboré comme une marque d’intelligence. En échec, cette élite aura répliqué en désignant la supposée faiblesse des français et en se repaissant de ses totems : l’Etat, la guerre, etc…Substantifs galvaudés, vidés de sens par cette même élite, s’accrochant au mythe de son contrôle de la population et à son Etat providence : incapable d’avoir un système sanitaire digne de nom malgré une dépense publique incontrôlable (évidemment puisqu’elle ne finance pas l’Etat régalien dont l’urgence sanitaire fait partie.). Certes cette Elite s’accrochera au pouvoir formel : mais la vraie puissance qui lui échappe et la fait de plus en plus vaciller. Il ne faut point tergiverser car il n’y a que deux choix : l’effondrement ou la destruction de cette élite d’optimares (du nom de ceux qui à la fin de la République romaine voulait une démocratie faite pour les patriciens sans se soucier des plébéiens) par les populares (ceux des classes dirigeantes souhaitant une politique du bien commun plus équilibrée pour tous).
Alors oui en apparence pendant quelque temps le théâtre d’ombres de la comedia dell arte à la française, dans les entreprises ou les allées du pouvoir, se poursuivra : mais indubitablement, à travers cette crise qui nous fait prendre conscience à nouveau que nous sommes mortels, en tant qu’humains mais aussi en tant que civilisations, la matrice d’un vouloir vivre différent se sera mise en place….
Très intéressant article, dommage qu’il ne fasse pas une seule fois référence à Michel Maffesoli dont il reprend largement nombre d’assertions.