L’affaire Didier Raoult est-elle une nouvelle affaire Black Rock ?

L’affaire Didier Raoult est-elle une nouvelle affaire Black Rock ?


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Didier Raoult est-il victime de l'influence de fonds américains qui tiennent absolument à promouvoir les solutions qu'ils financent au détriment d'une concurrence plus ou moins locale ? Au fond, les obstacles que l'administration française met sur le chemin du savant marseillais sont-ils liés à une influence souterraine de ces fonds d'investissement qui ont besoin de promouvoir le Remdesivir, produit par Gilead, actuellement testé dans le cadre de l'essai clinique Discovery ? La question mérite d'être posée. Voici le premier article d'une série à venir...

Didier Raoult a beau être une sommité mondiale en matière de virus, il ne pèse pas très lourd face au concurrent qui pousse ses pions depuis plusieurs semaines : Gilead Sciences, qui détient le brevet (entre autres) du Remdesivir, l’antiviral à large spectre mis en avant dans l’essai clinique Discovery.

Didier Raoult face au Remdesivir… ou David et Goliath

Le Remdesivir est un peu passé sous les radars en France. Pourtant, il fait l’objet d’une véritable offensive diplomatique de la part des États-Unis, pays où les capitalistes savent un peu mieux chasser en meute qu’en France.

Ainsi, lors d’une conférence de presse tenue par l’équivalent chinois du ministre de la Santé, un journaliste de CNN s’était attiré le courroux officiel en remettant en cause les solutions chinoises au coronavirus, et en faisant ouvertement la promotion du Remdesivir. C’est une technique bien connue des grands acteurs capitalistiques que de faire porter la promotion de leurs intérêts par des intervenants en apparence neutres ou objectifs comme des journalistes de médias mainstream.

La France n’échappe d’ailleurs pas à cette règle.

Et le fabricant du Remdesivir, Gilead Sciences, est tout sauf un nain capitalistique. Avec près de 100 milliards $ de capitalisation boursière, 22 milliards $ de chiffre d’affaires et 5 milliards $ de résultat net, le laboratoire américain ne chasse pas dans la même cour que l’IHU Méditerranée, dont le budget annuel est d’à peine 75 millions €.

Disons même qu’il faut être un « fou furieux », pour reprendre les termes des conseillers de la startup Nation, pour oser se frotter à un géant américain de la pharmacie quand on est un nain du jardin méditerranéen.

Gilead, très douée pour les opérations de communication

Au passage, l’une des grandes forces de Gilead tient à sa capacité à répandre son influence dans les esprits… et dans les décisions publiques (nous reviendrons demain sur les étranges avantages que Gilead a obtenu ces dernières années de la part des pouvoirs publics français…). On notera juste que selon la base Eurofordocs, Gilead a dépensé sur les 7 dernières années près de 65 millions $ pour asseoir son influence en France, tant auprès des praticiens que des institutions.

Certaines agences de communication ont perçu, de la poche du groupe, plus de 300.000 $ sur cette période. Gilead est par ailleurs inscrit officiellement comme lobbyiste à l’Assemblée Nationale.

C’est sans doute cette capacité à communiquer urbi et orbi qui explique que, dès la fin février, le groupe annonçait qu’il testait le Remdesivir contre le coronavirus. Selon le site américain The Intercept, l’enjeu portait sur un revenu immédiat de 2,5 milliards $.

Avec sa minable chloroquine inventée il y a plusieurs décennies, Raoult ne fait évidemment pas le poids.

Gilead, un pion des fonds d’investissement américains

On comprend à travers ces informations que Gilead est une affaire qui tourne. Ses propriétaires détiennent une pépite qui doit cracher du cash. En découvrant la liste des 10 premiers actionnaires du groupe, on mesure de quoi il s’agit au juste :

Les premiers actionnaires de Gilead sont tous des fonds d’investissement !

Vanguard Group, le rival de Black Rock

Vanguard Group est le premier actionnaire de Gilead. C’est le concurrent direct de Black Rock, qui a défrayé la chronique sur la réforme des retraites en France. On l’ignore trop souvent en France, mais Vanguard est par ailleurs le premier actionnaire d’Apple, et possède 5% d’Amazon. Ce fonds constitue donc un maillon essentiel de l’hyper-capitalisme des GAFAM. La société gère plus de 5.000 milliards $ d’actifs.

Faut-il préciser que Vanguard a investi en France en achetant des parts de Michelin et de Pernod ?

Capital Research and Management

Cet autre fonds (créé au début des années 30) gère environ 1.300 milliards $ d’actifs. C’est un fonds bien connu en France, puisqu’il est le premier actionnaire du groupe Accor, mais est « accessoirement » présent au capital de la Caisse des Dépôts et Consignations, de Veolia, de Bouygues, de Schneider, de la Société Générale, de Pernod, d’Air France.

Autrement dit, les grandes entreprises françaises sont dépendants des interventions (et des liquidités) de ce fonds. Et sans le savoir, beaucoup de salariés français travaillent déjà pour rémunérer ce discret mais entreprenant actionnaire.

Les fonds américains interviennent-ils dans les choix sanitaires français ?

À la lecture de ces chiffres, on mesure tout de suite  quel désordre l’encombrant Didier Raoult a semé dans les plans d’investissement de Gilead. Avec un revenu estimé de 2,5 milliards $, il est compliqué pour le laboratoire américain d’être concurrencé par des produits déjà brevetés, déjà prêts à l’emploi, et peu coûteux (nous reviendrons demain sur le coût des médicaments de Gilead).

Ces éléments ne signifient pas qu’il faille accorder un blanc-seing par avance à Didier Raoult, ni diaboliser les médicaments de Gilead. En revanche, on a du mal à penser que ces éléments de grandeur économiques ne pèsent pas, à un échelon ou à un autre, sur les choix français. Entre suivre un savant fou qui pèse peu et ne s’entend pas avec l’aristocratie parisienne, et se montrer perméable aux influences d’investisseurs qui détiennent déjà des parts substantielles dans de grandes entreprises françaises, on peut imaginer que le jeu n’est pas égal.

Sur tous ces points, il serait utile et intéressant que le gouvernement fasse preuve de transparence pour rassurer le public. Compte tenu des éléments que nous livrerons demain, on peut en effet penser, ou en tout cas soupçonner de façon sérieuse, qu’il existe des biais dans les décisions publiques françaises dès lors qu’elles touchent aux intérêts de Gilead.

Dans tous les cas, il serait dommageable que les pouvoirs publics, et singulièrement la technostructure de la santé française, effectuent des choix sans tenir compte des objectifs de souveraineté sanitaire dont l’importance est apparue comme cruciale à l’occasion de cette crise. Les Chinois l’ont très bien compris pour leur part…

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