????Comment le gouvernement prépare son impunité d’après-confinement

????Comment le gouvernement prépare son impunité d’après-confinement

Au gouvernement, la peur de poursuites pénales après le confinement est telle que la majorité parlementaire LREM devrait porter rapidement, dans le cadre du projet de loi prorogeant l’état d’urgence, une disposition garantissant l’impunité au gouvernement et aux hauts fonctionnaires qui ont patiemment exécuté ce fiasco appelé la gestion de la pandémie en France. C’est en tout cas ce qu’ont annoncé une horde de parlementaires LREM (138 députés et 19 sénateurs) dans une tribune publiée par le Journal du Dimanche ce week-end.

L’argumentaire du texte vaut son pesant de cacahuètes. Alors qu’une proposition de loi déposée par le sénateur Hervé Maurey limitait cette impunité aux maires, les parlementaires macronistes souhaitent élargir cette disposition à toutes les « personnes dépositaires d’une mission de service public dans le cadre des opérations de déconfinement et ce, pour une période limitée ». Cet élargissement permettrait donc de protéger non seulement les maires, mais tous les élus et les fonctionnaires chargés du déconfinement.

On mesure tout de suite l’intention du texte…

L’exécutif tétanisé par les poursuites judiciaires

Nous l’avons évoqué plusieurs fois ces derniers jours, la perspective de poursuites pénales contre Édouard Philippe (et probablement contre plusieurs ministres, mais aussi contre des hauts fonctionnaires) ne semble pas réjouir le Premier Ministre. Au contraire même l’intéressé paraît tétanisé à l’idée de se retrouver à la barre des accusés. Peut-être son instinct lui fait-il penser qu’il aura sans doute mal à convaincre les Français sur sa capacité à mener de front la gestion de la crise des retraites, celle de la pandémie et une campagne électorale au Havre. Parmi ces trois occupations qui se sont ajoutées dans son agenda de janvier et de février à l’expédition des affaires courantes, l’un d’entre elle est probablement passée à l’as. On vous laisse deviner laquelle…

Il est très probable que les incriminations plausibles, voire probables, sur les défaillances du Premier Ministre et de son équipe (administration comprise) dans la mortelle pandémie qui sévit ne soient qu’un début. Le déconfinement semble devoir annoncer de nouvelles réjouissances : pénuries de masques et de tests à gogo, instructions mal bouclées, contradictoires, changements de pied. Et peut-être d’autres surprises à venir encore.

Tout porte à croire qu’Édouard Philippe doute de la suite des événements, alors même qu’Emmanuel Macron a probablement déjà choisi son successeur. La sortie politique qui se prépare pour lui est celle de tous les dangers : un renvoi par le Président pour cause de mise en examen pour une Cour de Justice le condamnerait à renoncer à toute ambition pour 2022, ce qui ne déplairait sans doute pas à Emmanuel Macron, au passage.

Donc, une limitation intense des dégâts est une solution tentante à l’approche de ce renouvellement de l’état d’urgence sanitaire.

La constitutionnalité des dispositions est toutefois douteuse

J’entends déjà de nombreuses protestations excédées par cette énième façon de se défausser de ses responsabilités. Décidément, la pensée macroniste repose sur l’idée que tout ce qui fonctionne, c’est grâce au Président, et tout ce qui échoue, c’est la faute des autres. En aucun cas, le soupçon que la gestion actuelle puisse présenter des défaillances ne semble effleurer les détenteurs du pouvoir.

Mais il est loin d’être évident que cette disposition passe le cap du Conseil Constitutionnel. L’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen garantit un droit à demander des comptes aux agents publics pour tout citoyen. Le principe d’une irresponsabilité des personnes chargées d’une mission de service public est donc contraire à ce que nous appelons notre bloc de constitutionnalité.

Dans la mesure où le projet de texte bénéficiera à des élus de droite et de gauche, il n’est pas sûr qu’on trouve 60 députés ou 60 sénateurs pour saisir le Conseil Constitutionnel de cette disposition. En revanche, il est très probable qu’à la première occasion, une question prioritaire de constitutionnalité mette le texte en difficulté. Là encore, la magistrature, publique ou judiciaire, peut avoir la tentation de servir la soupe au gouvernement en bloquant la question. Mais cela risque de faire beaucoup, surtout si les actions judiciaires sont menées par des collectifs de parents ou de fonctionnaires victimes de l’incurie publique.

Pas de rétroactivité, dans tous les cas

Autre raison de ne pas céder immédiatement à la colère contre ce Trafalgar de l’égalité : la loi ne pourra prévoir de rétroactivité pour cette impunité. Autrement dit, les fautes commises avant la (probable) adoption de la loi ne seront pas exonérées de responsabilité. C’est un point important si l’on songe aux nombreuses imprudences déjà commises : carences graves dans les commandes de masques ou de tests, doctrine tout entière tournée vers la curation, et totalement indifférente à la prévention de la contamination, en dehors d’un confinement socialement destructeur. Quant au défaut de précaution sur la prescription préventive de l’hydroxychloroquine, l’histoire jugera.

Il faut donc ici lever tout malentendu : le gouvernement n’a pas la faculté de voter son impunité ou son immunité passée. Il ne peut que tenter de préserver son immunité future, ce qui est loin d’être acquis.

Les maires utilisés comme boucliers juridiques

Reste que le procédé en cours n’est pas très propre et risque de soulever, pour le gouvernement, d’importantes difficultés politiques dont il aurait pu se passer. Car cette loi donne le sentiment que les responsables politiques et administratifs cherchent aujourd’hui à conserver tous les avantages du pouvoir (les voitures de fonction, les émoluments, les ors de la République) sans vouloir assumer les désagréments qui les accompagnent (en particulier la mise en cause de leur responsabilité).

Si l’on voulait être méchant, on pourrait dire que ce réflexe est celui de toutes les aristocraties décadentes : on veut bien les honneurs et la pension, mais on ne veut pas se salir les mains.

La réaction de l’opinion publique risque d’être d’autant plus vive que le procédé est biaisé. Au lieu de voter une loi limitée au gouvernement, les parlementaires LREM voteront une loi profitant à tous les élus, maires et adjoints aux maires compris. Dans cette démarche, il est vraisemblable que le gouvernement utilise le faux nez d’un amendement parlementaire pour ne pas être accusé de porter lui-même ce projet. On mouille tout le monde pour que les dégâts collatéraux en cas d’attaque fassent mûrement réfléchir les assaillants.

Cette hypocrisie pourrait coûter très cher à la macronie. En jouant les élus contre le peuple, le gouvernement dépose une nouvelle bombe à retardement dans les esprits. Il nourrit une nouvelle fois un clivage déjà béant en France entre les élites et le reste du pays.

Tôt ou tard, cette stratégie de caste se paiera cash. Et ce jour-là, la macronie ne devra s’en prendre qu’à elle-même.

La peur a donc changé de camp

Cette proposition massivement signée dans la presse par les petits marquis de la macronie en dit long sur le désarroi qui s’est emparé de l’exécutif. La peur a changé de camp : les saisines de la Cour de Justice ont, sur Édouard Philippe, le même effet que les tirs de LBD sur les manifestants. Elles sont destructrices et tétanisantes.

Le fait que le gouvernement ait besoin aujourd’hui de se protéger contre les attaques judiciaires est le dévoilement d’un vrai point faible qu’il faut mûrement réfléchir. Visiblement, l’establishment français se sent menacé (on y mêlera les gouvernants et les hauts fonctionnaires). Leur réaction devrait être vive et hargneuse.

En France, les choses sérieuses vont commencer.