Édouard Philippe va-t-il paralyser le pays en tentant d’échapper à la Cour de Justice?

Édouard Philippe va-t-il paralyser le pays en tentant d’échapper à la Cour de Justice?


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Édouard Philippe est lancée dans une course éperdue, depuis plusieurs jours, pour échapper aux poursuites devant la Cour de Justice dont il est probablement informé par ses services qu’elles sont éminemment vraisemblables. Nous avons déjà raconté comment l’équipe de Matignon est convaincue qu’un « Nuremberg » se tiendra dans quelques mois, qui constituera une affaire du sang contaminé puissance 10, et dont Édouard Philippe constituera le héros involontaire.

Pour l’ensemble de l’exécutif, cette annonce est évidemment anxiogène, puisqu’il y a fort à parier pour que tous ceux qui seront cités subissent un bannissement politique définitif. Tous ceux qui s’imaginaient avoir un avenir brillant après 2022 sont donc aujourd’hui dans la posture obligée des donneurs de leçons qui ont intérêt à prendre le moins de risques possibles.

Pour Édouard Philippe en particulier, un déférement devant la Cour de Justice sonnera comme une fin de parcours. Une mise en examen l’exclurait de fait de tout équipage ministériel, et l’empêcherait de se présenter à la présidentielle en 2022, si telle était son intention. Et, pour Emmanuel Macron, on mesure immédiatement la tentation qu’il y a à activer une opération qui lui permettrait de miner le parcours d’un rival potentiel. On n’exclura pas, d’ailleurs, que le Président ait fait ce calcul depuis plusieurs semaines, protégé qu’il est par son immunité constitutionnelle. Il n’est pas interdit de penser que ce calcul machiavélique l’ait conduit à imposer une fin de confinement le 11 mai, pour déstabiliser un peu plus un Premier Ministre de plus en plus gênant.

La stratégie hasardeuse d’Édouard Philippe

Pour se sortir de ce bourbier qui annonce un tragique Dien Bien Phû politique, Édouard Philippe ne ménage désormais ni son temps ni sa peine pour border sa voile et surmonter les vents mauvais. Il déploie une stratégie en deux temps qui nous réserve encore, très probablement, des surprises.

Premier axe de la stratégie : prendre désormais le moins de risques possibles en multipliant les obligations et les précautions tous azimuts. La caricature de cette posture est donnée par le guide du déconfinement à l’usage des entreprises qui cumule la bagatelle de 20 pages à rajouter aux 48 guides métier disponibles. On comprend la manoeuvre : enjoindre aux employeurs de recommencer la production, mais à condition qu’ils assument seuls la responsabilité d’une contamination sur le lieu de travail. En aucun cas, ils ne doivent pouvoir accuser l’État de leur avoir donné une instruction qui le rendrait complice de cet accident.

Deuxième axe de la stratégie : créer un nouveau cadre juridique qui étende l’immunité dont bénéficie le chef de l’État au Premier Ministre lui-même. Ici commence un grand écart. Les parlementaires ont posé ce week-end les bases de l’opération par une tribune dans le Journal du Dimanche. Mais (nous allons y revenir), le Sénat vient de compliquer singulièrement l’affaire en adoptant un texte sensiblement différent de ce que le gouvernement avait en tête.

Il faut dire que la tribune en question était d’une maladresse à peine croyable. Elle voilait à peine l’intention d’utiliser la protection des maires, qui est un vrai sujet, pour protéger le gouvernement lui-même. C’est ce que nous avons appelé la stratégie du bouclier humain : le gouvernement plaçait la protection des maires devant lui pour justifier la sienne.

Comment le Sénat a cornérisé Édouard Philippe

Cette stratégie intelligente sur le papier a rencontré un problème appelé Sénat, et plus particulièrement Bruno Retailleau et Philippe Bas. L’apport tactique de ce dernier n’est pas inintéressant pour l’ensemble des Républicains, et on n’oubliera pas ici que Philippe Bas est lui-même conseiller d’État (et par ailleurs auteur de ce crime contre la liberté d’entreprendre appelé le RSI, en 2005). Philippe Bas connaît donc bien toutes les arcanes de la machine, et sait parfaitement comment Édouard Philippe réfléchit.

D’où cet amendement très astucieux, que nous citons ci-dessous, qui met en échec les stratégies annoncées par En Marche pour couvrir le gouvernement dans la crise du coronavirus. Alors que le gouvernement semblait en effet vouloir garantir une impunité à toutes les fautes non intentionnelles, le Sénat a introduit une sérieuse modulation sur ce dernier point. Nous y allons y revenir.

La difficulté pour le gouvernement tient au déclenchement de la procédure accélérée, qui ne prévoit qu’une seule lecture par chaque Assemblée. L’amendement adopté hier par le Sénat fait donc désormais partie de la « petite loi » que l’Assemblée va devoir discuter… réamender… et négocier dans une commission mixte paritaire où le prix de chaque concession sera très élevé.

Édouard Philippe obligé de dévoiler sa faiblesse politique

La stratégie du Sénat est évidemment calamiteuse pour Édouard Philippe, puisqu’il va devoir mouiller la chemise devant une opinion chauffée à blanc pour obtenir une loi lui garantissant l’impunité pour sa gestion de la crise, sans certitude de sa portée rétroactive. Il peut évidemment compter sur l’Assemblée Nationale pour modifier la petite loi, mais le groupe LREM va devoir argumenter à découvert sur l’intérêt qu’il y a à ne pas poursuivre les fautes non intentionnelles commises par imprudence ou négligence. Et sur ce point, l’équipe au pouvoir (on y inclut les hauts fonctionnaires comme Jérôme Salomon) doivent passer beaucoup de temps à regarder le bout de leurs chaussures : depuis les commandes tardives de masques jusqu’au cafouillage sur les tests, les enquêtes à venir devraient être cinglantes.

Les jours qui viennent devraient donc placer Édouard Philippe au centre de l’arène, entouré de sa petite cour de députés complaisants, occupés tous comme un seul homme à expliquer aux Français que ne pas avoir commandé de masques dans les temps n’est pas condamnable judiciairement… Un exercice de haut vol qui risque de coûter très cher à l’exécutif.

Quand plus personne ne veut prendre de risque…

On ne commet guère d’erreur de sens en affirmant que la totalité du déconfinement désormais n’est plus gérée pour sauver l’économie française (exercice louable pour les âmes naïves, mais qui ne rapporte rien ni politiquement, ni judiciairement), mais pour sauver le casier judiciaire d’Édouard Philippe. La doctrine du zéro risque qui prévaut depuis plusieurs semaines a un revers fâcheux : comme plus aucun officier général ne veut prendre de décision concernant la guerre, l’ensemble de la chaîne de commandement est paralysé, et ne décide plus rien, de peur de subir les foudres d’un commandement général à la recherche de fusibles pour porter ses fautes.

Conséquence première : les chefs d’entreprise qui s’exposent à de multiples risques hésitent beaucoup à reprendre leur activité, alors qu’une cessation dans de bonnes conditions peut s’avérer économiquement très rentable. Nous citons plus haut les propos (tardifs) du vice-président du MEDEF sur ce sujet. Ils sont emblématiques d’un état d’esprit où la défaillance de l’État bloque l’ensemble de la société.

Mais on ne dira pas autre chose des réticences des maires à l’idée de réouvrir les écoles le 11 mai. Alors que le ministre a renvoyé aux recteurs la responsabilité de décider, qui ont renvoyé aux délégués départementaux, qui ont renvoyé aux directeurs d’école, qui ont renvoyé aux maires… ces derniers sont bien décidés à ne prendre aucune décision sérieuse en matière de déconfinement.

Ainsi, à Paris, qui n’est pas une ville anodine dans l’économie française, on sait déjà que les écoles primaires n’ouvriront pas le 11 mai. La mairie attend que la Ville passe à l’orange pour agir. D’ici là, c’est ceinture et bretelle comme à Matignon !

Au demeurant, les consignes de sécurité sont toutes plus ubuesques les unes que les autres. Les enfants devront être en demi-groupe, avec des règles de distanciation délirantes, mais sans obligation de porter le masque. Tout ceci est évidemment aussi absurde qu’intenable, et l’est d’autant moins qu’aucune date claire de mise en oeuvre, c’est-à-dire de rentrée, n’est donnée.

En l’état, les parents ont compris que leurs enfants, pour respecter la règle des demi-groupes, n’auront école qu’un jour sur deux, c’est-à-dire deux jours par semaine. Autant dire que ces parents-là ne sont pas prêts à retourner travailler à l’usine ou à l’atelier, et encore moins au bureau s’ils ont la possibilité de pratiquer le télé-travail. L’irrégularité des rythmes scolaires condamne par avance toute relance sérieuse de l’activité industrielle.

Et c’est ici que les calculs gouvernementaux sont dangereux pour le pays : à force de multiplier les précautions, les protections, les arguties juridiques, les peurs, les décideurs organisent la paralysie définitive de l’activité. Tout indique en effet que, comme en Italie, l’école ne reprendra pas avant le mois de septembre. Et, au lieu de le dire clairement et de mettre en place une prestation d’urgence pour aider les familles à faire garder les enfants pendant que les parents travaillent, le gouvernement tergiverse, ratiocine, et empêche toute organisation intelligente.

Le coût social de ces tergiversations sera terrible

La France fait partie des derniers pays à se déconfiner. Le coût économique de cet arrêt de l’activité devrait déjà être beaucoup plus élevé que chez nos voisins pour cette simple raison de lenteur dans le déconfinement, largement due à l’absence de masques et de tests en nombre suffisant pour sécuriser cette phase. Les tergiversations auxquelles les élites publiques se livrent aujourd’hui ne font que saper un peu plus les bases de notre redressement de demain. L’effet social sera terrible et devrait donner à de vrais troubles sociaux en France.

Alors qu’un aveu clair des fautes, des négligences, des imprudences, alors qu’une humilité sincère et transparente (mais ça, l’énarchie ne sait pas faire) permettrait de dégoupiller la grenade que beaucoup s’apprêtent à lancer, Édouard Philippe s’entête, louvoie, panique, et nous conduit dans le mur.

L’histoire risque de la juger durement pour cette erreur-là.


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