La loi Avia, une brique de plus pour le mur d’une démocrature naissante

La loi Avia, une brique de plus pour le mur d’une démocrature naissante


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La proposition de loi AVIA sur les contenus haineux arrive en dernière étape à l’Assemblée Nationale. Faute d’un accord de la commission mixte paritaire sur son contenu, il revient aux députés de trancher le débat en adoptant seuls ce texte polémique qui causera plus de problèmes qu’il n’en résoudra. Il fait partie de cette galaxie de textes en apparence bien intentionnés et proportionnés, qui dessinent progressivement les contours d’une « démocrature » macronienne qui ne fait pas envie. Progressivement, la liberté d’expression y sera livrée aux caprices d’un pouvoir de plus en plus superficiel et excessif.

La proposition de loi Avia arrive aujourd’hui au terme de son laborieux parcours parlementaire. Elle passe finalement outre tous les avertissements démocratiques et tous les garde-fous que des institutions aussi extrémistes et radicales que le Sénat ou la Commission européenne ont voulu introduire pour en amoindrir les effets liberticides. Mais la majorité En Marche, qui a créé son fonds de commerce sur le combat contre le repli nationaliste et contre les démocraties illibérales, semble définitivement tenir à curiacer méthodiquement des libertés gênantes pour l’épanouissement des lumières jupitériennes.

Un texte qui fait polémique

Rarement une proposition de loi (dont l’initiative revient au Parlement, donc) n’aura suscité autant de critiques non pas politiques mais techniques. Il faut peut-être remonter aux absurdes lois de Cécile Duflot pour retrouver une rupture aussi forte entre les experts d’un domaine et les propositions impraticables et peu adaptées d’un texte de loi porté par une idéologue fermée à tout raisonnement rationnel.

Insistons sur ce point : les critiques contre la loi Avia ne portent pas tant sur les choix politiques du texte, que sur son incapacité technique à atteindre ses objectifs et, au fond, sur l’incompétence de ses rédacteurs. En l’espèce, il s’agit ici de faire plaisir à une noblesse d’État agacée par les réseaux sociaux, qui cherche par tous les moyens (sans toutefois chercher à mettre les mains dans le cambouis technique) à les faire taire. Il ne s’agit pas de lutter réellement contre la haine en ligne, lorsqu’elle survient vraiment.

L’essentiel du texte consiste à ordonner aux réseaux sociaux de retenir dans les 24 heures un contenu qui sera signalé comme enfreignant les règles de la liberté de la presse. Ce retrait devra s’opérer sans intervention du juge. Autrement dit, le contrôle judiciaire de la liberté d’expression, liberté fondamentale en démocratie, cède à la place à un contrôle bureaucratique laissé entre les mains d’opérateurs totalement opaques.

En cas de défaut de contrôle, c’est-à-dire si la plate-forme ne retire pas le contenu signalé dans les 24 heures, elle sera considérée comme auteur d’un délit et s’exposera à des sanctions très lourdes de la part du CSA. Cette criminalisation des plate-formes et de leur politique éditoriale conduira forcément à un excès de surveillance de la part des plate-formes (dont les critères de sélection éditoriale sont tout, aujourd’hui, sauf transparents) pour éviter les sanctions.

Autant dire que des pratiques très répandues comme l’astroturfing (la création de comptes de circonstance pour donner un écho à des campagnes d’influence financées par des lobbies) obtiendront sans problème le retrait préventif de messages gênants, même s’ils ne relèvent pas de la loi.

"les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111‑7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics et dont l’activité sur le territoire français dépasse des seuils déterminés par décret sont tenus, au regard de l’intérêt général attaché au respect de la dignité humaine, de retirer ou de rendre inaccessible, dans un délai de vingt‑quatre heures après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu contrevenant manifestement aux dispositions mentionnées aux cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24, à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ainsi qu’aux articles 222‑33, 225‑4‑1, 225‑5, 225‑6, 227‑23, 227‑24 et 421‑2‑5 du code pénal."   

Loi Avia, article 1

Des critiques fortes contre cette démocrature naissante

Cette disproportion dans les limites posées à la liberté de la presse par la majorité En Marche a fait l’objet de nombreuses critiques explicites.

Certaines sont venues de la société civile. On citera tout particulièrement la Quadrature du Net, qui a mené un long combat contre les dispositions liberticides de cette loi, victorieux au Sénat, mais écrasé par la brutalité de la majorité En Marche à l’Assemblée.

Mais d’autres critiques fortes sont venues du Sénat (qui a, en son temps, annulé les dispositions tyranniques de l’article 1) et de la Commission Européenne elle-même, ainsi que de la République Tchèque, qui a émis un avis circonstancié sur le projet. Dans la pratique, les partenaires européens de la France nous reprochent (et reprochent surtout à Laetitia Avia) de faire cavalier seul en n’attendant pas la fin d’une initiative européenne sur le même sujet. Surtout, ils considèrent que la France viole la libre circulation de l’information dans l’Union en imposant à la France des sujétions spécifiques.

La critique européenne mérite d’être relevée, car la majorité En Marche, et Macron lui-même, font profession d’europhilie, voire d’eurolatrie à tout crin. Mais tout ce petit monde de donneurs de leçons semble très bien s’accommoder du repli souverainiste, voire nationaliste, dès lors qu’il s’agit de défendre des objectifs politiciens à court terme.

Un combat obstiné

Face à ces multiples oppositions, la majorité marcheuse a fait preuve d’une persévérance dans l’erreur tout à fait impressionnante, et qu’on pourrait même qualifier d’inhabituelle et suspecte quand on se réfère à la pratique moyenne de la macronie. Ainsi, alors que, dès le début, le Sénat a supprimé l’obligation de retrait dans les 24 heures, la majorité à l’Assemblée s’est empressée de la rétablir en deuxième lecture, puis en lecture définitive.

Alors que le Sénat a à nouveau aboli cette disposition (essentielle) du texte, les marcheurs n’ont entendu faire aucune concession en commission mixte paritaire. Ils ont exécuté la commande et décidé de procéder à un ultime vote où l’Assemblée impose son texte au Sénat.

On peut quand même s’interroger sur les raisons profondes pour lesquelles le système Macron se fige autant sur une position aussi fragile politiquement, et aussi facilement critiquable, alors qu’il est soumis de toutes parts au feu nourri des soupçons sur le glissement illibéral du régime.

À l’issue de ce séjour, elle envoie un bilan à son équipe. « Il s’agissait d’un plan de carrière hypothétique avec des vrais objectifs et des choses plus fantaisistes », explique William. « Écrire une PPL, mener une réflexion Grand Paris, écouter de la musique actuelle et des séries », retient-elle dans la rubrique « Actions ». « Devenir ministre de la justice, entrer au gouvernement, publier une tribune dans Le Monde, que plus personne ne cite le nom de Sandrine Mazetier [l’ancienne députée de sa circonscription et sur la même liste que Laetitia Avia pour les municipales à Paris – ndlr] – jamais – que je devienne la référence », résume-t-elle dans la rubrique « Objectifs ».   

David Perrotin, Mediapart

Comment faire carrière en combattant la liberté

Une explication assez simple, pour ainsi dire reptilienne, de la loi Avia tient aux ambitions démesurées de la « porteuse » du projet elle-même. Députée de Paris, avocate accusée d’avoir mordu un chauffeur de taxi récalcitrant au début de la mandature, Laetitia Avia tient à marquer son époque, au besoin en lui infligeant un texte liberticide qui fera date dans l’histoire de notre démocratie.

Rappelons que Laetitia Avia qui, si l’on en croit les documents publiés par Mediapart, pense que les Chinois ont une odeur particulière et que les homosexuels sont des « PD », a reçu d’Emmanuel Macron lui-même la mission d’écrire cette loi, un peu comme Saint-Pierre a reçu les clés du Paradis. Cette timbale fièrement décrochée lui permet d’espérer un jour un poste ministériel et, d’ici là, d’exister médiatiquement.

Comme le révèle Mediapart, Laetitia Avia n’hésite pas à organiser des séminaires avec ses collaborateurs pour réfléchir à la meilleure façon de devenir une référence pour son époque. Nous en citons un extrait ci-contre, particulièrement éloquent sur la manière qu’a la macronie d’utiliser les ambitions égotistes de ses acteurs pour faire le sale boulot.

Tout la question que nous devons nous poser aujourd’hui tient à la dérive autoritaire qui se nourrit de ces ambitions individuelles. Laetitia Avia, avocate, est semble-t-il disposée à soutenir n’importe quel texte liberticide pour progresser dans la carrière. On sait quels noms ont porté les régimes politiques modernes ou contemporains qui se sont appuyés sur ce genre de bassesse.

La lente montée de la démocrature macronienne

Si la loi Avia était une exception, une violation anecdotique de nos libertés, elle mériterait à peine d’être relevée. Tout le problème est qu’elle s’intègre dans un ensemble qui dégage, vu de haut, une vision panoramique de plus en plus inquiétante de cette peau de chagrin qui héberge nos libertés, et qui se réduit à vue d’oeil, au fur et à mesure qu’Emmanuel Macron et sa majorité se sentent menacés par la contestation et la colère qui gronde. Nous citions hier la loi sur l’état d’urgence sanitaire qui prévoyait de légaliser des violations du secret médical finalement invalidées par le Conseil Constitutionnel. Mais on pourrait aussi y ajouter tant de textes, comme celui sur le secret des coffre-forts qui, par petites touches, montrent que nos libertés sont rognées, grignotées, de façon pour ainsi dire insensible, jusqu’à constituer le triste spectacle d’une démocratie illibérale qui n’a rien à envier à la Hongrie ou à la Pologne.

Les élites ont peur. Voilà ce qu’il faut comprendre. Les élites tremblent. Elles sentent que le peuple leur échappe. Et elles sont décidées à faire main basse sur les libertés, à autoriser des flashs totalitaires pour préserver leurs privilèges le moment venu.

Ce qui se met en place n’est pas une dictature au sens pinochien ou franquiste du terme mais plutôt une démocrature. C’est plutôt un régime de surveillance qui vise à permettre aux élites de continuer leur petit business sans être contestées. Reste à savoir si les élites françaises, avec leurs bonnes manières et leurs angoisses de pucelles, sont de taille à affronter l’adversité qui s’annonce…


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