La phrase de Bruno Le Maire sur “l’Europe des banques” est passée à peu près inaperçue, mais elle est pourtant lourde de sens, et de craintes quand à l’avenir imminent du système bancaire européen. D’ailleurs, le ministre français a tellement les chocottes face à l’orage qui s’annonce… qu’il fait un voyage express à Berlin pour accélérer un processus bien mal embouché.
Curieusement, Bruno Le Maire s’est excité sur un sujet dont personne ne parlait et qui n’émouvait personne : l’union bancaire, question éminemment technique, absconse pour l’essentiel des Français, mais qui semble avoir mis en émoi notre brillant énarque devenu la lumière guidant le capitalisme français. Le mot “émoi” est d’ailleurs un peu faible. “Effervescence” conviendrait mieux, puisqu’il s’est fendu d’un voyage en urgence à Berlin pour secouer les Allemands sur la question. Mais qu’est-ce que cache au juste cette précipitation soudaine, sinon une angoisse face à l’incendie qui couve dans notre système bancaire ?
Bruno Le Maire face à la crise bancaire qui vient
Nous évoquons depuis plusieurs semaines la conviction, au sein même de la BCE, qu’une crise bancaire va survenir cet automne sur notre bon vieux continent. Face à ce risque, en principe, l’Europe est “blindée” depuis la crise de 2009, avec un arsenal compliqué consistant en deux piliers : le premier s’appelle le mécanisme de résolution, et le second le mécanisme de supervision.
Mais il est vrai que l’ensemble était supposé être complété par une union bancaire dont le principe est simple : les banques cessent d’être territorialisées et deviennent toutes des banques de l’Union. En cas de pépin, c’est donc l’Union qui interviendrait directement et procéderait aux restructurations qui vont bien.
Curieusement cette façon de mutualiser les pertes bancaires n’a pas progressé depuis son annonce, et l’on comprend que les Allemands ne sont pas pressés de devoir payer pour leur système bancaire défaillant, et pour celui des autres. D’autant que le risque principal est de voir, dans un système d’union bancaire, la Deutsche Bank passer sous pavillon étranger en cas de problème (au demeurant annoncé de longue date).
«Il n'y a pas de souveraineté sans système financier puissant (...) Il n'y a pas d'économie puissante sans finance puissante»
Bruno Le Maire Tweet
Le Maire veut une solidarité bancaire européenne
Le propos que Bruno Le Maire doit tenir à son homologue prussien, à Berlin, le peu connu Olaf Scholz, est assez simple : il faut avancer sur ce sujet, et la France, quoiqu’il arrive, en 2022, fera oeuvre utile lorsqu’elle prendra la présidence de la Commission Européenne. Mais s’il s’agissait simplement d’annoncer ce que la France va faire en 2022, on voit mal pourquoi Le Maire ferait preuve d’une telle soudaine et abrupte agitation.
Le ministre français a évidemment en tête des sujets plus brûlants, comme cette affaire qui secoue Natixis, et qui ne présage rien de bon quant la saison qui s’annonce en matière bancaire. Il se trouve que Natixis s’est fait, comme nous l’avons expliqué, refourguer en douce des kartoffelen pourries d’un fonds allemand sulfureux qui font tache dans le paysage. On imagine que Le Maire en a touché un mot de l’autre côté du Rhin, avec l’idée que les producteurs des kartoffelen devraient peut-être payer les dégâts.
L’agitation financière commence
Bien entendu, tous ces phénomènes sont loin d’être accidentels. Comme nous l’indiquions, les banques européennes sont loin d’avoir purgé leurs actifs depuis la crise de 2008, et il risque encore une montagne de créances toxiques qui sont autant de bombes nucléaires en préparation. Si, à l’usage, ces actifs toxiques ont pu être plus ou moins désamorcés, la crise de 2020 devrait produire une nouvelle couche géologique de crédits risqués et irremboursables, qui seront autant d’épines dans les pieds des banques qui doivent courir le cent mètres pour éviter de sombrer.
On mesure que l’inquiétude se fait jour. Bruno Le Maire est bien placé pour le savoir avec Natixis, et sans doute quelques autres qui s’annoncent.
«Aujourd'hui, nous avons un marché unique solide, mais l'Union des marchés de capitaux, I'Union bancaire, le budget de la zone euro, tout cela doit pouvoir prendre une forme concrète rapidement à l'échelle des 27»
Bruno Le Maire, 28.11.2019 Tweet
Ne pas sous-estimer la fébrilité qui s’exprime
On retiendra donc que Bruno Le Maire est pris d’une étrange danse de Saint-Guy à l’approche de l’automne dès qu’on parle de la situation des banques. Sa fébrilité ne peut être interprétée autrement que comme la manifestation d’une inquiétude profonde face à la situation. Nous réitérons donc notre alerte sur la situation qui prend forme peu à peu, et qui pourrait donner lieu à de sévères coups de tabac dans les semaines à venir.