COVID : comment transformer une épidémie en suicide national (plus ou moins) larvé ?

COVID : comment transformer une épidémie en suicide national (plus ou moins) larvé ?

Jean Castex a annoncé, s'agissant de l'épidémie de coronavirus, des mesures auxquelles nous nous attendions tous : face à la persistance du virus, il reporte de trois semaines les ouvertures esquissées pour le 15 décembre, il instaure un couvre-feu à 20 heures, et il interdit les fêtes de Nouvel An (signe qu'il connaît gravement la symbolique païenne de cette fête). Tout cela n'est pas une surprise sur le fond. Toute la question est de savoir par quelle perversité, par quel sadisme, cette décision sanitaire se transforme en examen collectif de conscience, et en culpabilisation déprimante et anxiogène pour tous les Français.

Sur l’épidémie de coronavirus, et sur le confinement plus ou moins strict qui en découle, il existe deux lectures.

Epidémie de COVID et mesures prophylactiques

La première lecture, la plus simple, consiste à en revenir aux faits et aux choses. Un virus s’est répandu à la faveur des températures hivernales. Comme tous les virus saisonniers, il s’impose aux humains (c’est en quelque sorte le tribut que la nature impose aux hommes) lorsque les températures baissent, et il s’évanouit lorsque les températures montent. Nous pourrons inventer tous les vaccins du monde, ce virus saisonnier reviendra, et il faudra s’en prémunir. Nous pourrons inventer tous les confinements du monde, ce virus fera son oeuvre. Il est là, il fait partie de nos vies, désormais, et nous devons apprendre à vivre avec lui.

Pour limiter les pertes humaines que ce virus cause, on peut prendre des mesures. Mais ce sont des mesures défensives, prophylactiques, destinées à diminuer ces effets. Elles peuvent être plus ou moins rigides, plus ou moins désagréables. Elles sont imposées par la nature et par l’adversité.

Dans la pratique, le caractère saisonnier du virus est connu depuis plusieurs mois et nous n’y pouvons pas grand chose. Seulement imposer des carcans plus ou moins forts aux relations entre humains pour éviter sa propagation. Ces carcans peuvent être drastiques comme en Extrême-Orient, où l’appétence pour la liberté est faible, ou souples comme en Occident où le risque de mourir n’a jamais justifié le sacrifice complet des libertés.

Dans tous les cas, le virus est un phénomène naturel, comme nous en avons connu des milliers depuis que nous habitons sur cette terre, et comme nous en connaîtrons des milliers tant que nous l’habiterons. Une chose est sûre : en hiver, à part interdire tout contact entre les humaines, nous ne pouvons nous prémunir efficacement contre la circulation de ce virus.

Epidémie de COVID et culpabilisation collective

Une deuxième lecture consiste à prêter à ce surgissement naturel du virus un sens métaphysique, ou téléologique comme disent les philosophes. Au fond, ce virus est là pour punir les hommes d’un excès d’hybris, d’arrogance vis-à-vis de leur place dans l’histoire et dans la création. Cette croyance selon laquelle les épidémies arrivent par la faute de l’homme, par son arrogance, par sa jouissance excessive, par son impiété, est tout sauf nouvelle.

Dans son « De Rerum Natura », Lucrèce la décrivait déjà. Et lorsque la peste noire a décimé l’Europe entre 1347 et 1349, des Flamands ont empoigné des fouets et ont fait la tournée des villages en se fouettant le dos pour expier les fautes qui avaient conduit à l’épidémie. Ils étaient à l’unisson d’une certaine conviction de l’époque selon laquelle la maladie était le résultat d’une faute qui aurait pu ne pas être commise.

Jean Castex, en bon flagellant, ainsi que Macron, en bon élève des Jésuites, ne nous suggèrent pas autre chose : au lieu de nous expliquer qu’il faut confiner la France en hiver pour ralentir l’épidémie, ils font reposer celle-ci sur le comportement des Français. Et dans la logique du discours officiel, on n’est pas très loin des péchés mortels que la société du Moyen-Âge se reprochait pour expliquer la peste. Le virus circule parce que nous ripaillons trop, nous folâtrons trop, nous jouissons trop. Vivons en ascète, et l’ordre reviendra.

Deux salles, deux ambiances, donc, pour une seule maladie. D’un côté la rationalité scientifique qui met en avant l’objectivité d’un fait naturel contre lequel nous ne pouvons pas grand chose, sinon attendre. De l’autre côté la passion religieuse qui attribue à l’homme la responsabilité d’un phénomène naturel qui ne lui incombe pourtant pas, ou si peu. Mais il est si humain, et (allions-nous dire) si chrétien, de ramener à une culpabilité subjective tout phénomène naturel qui déstabilise l’homme.

Les rationalistes ne sont pas ceux qu’on croit

Il est frappant de voir comment le pouvoir temporel qui nous conduit officiellement selon les canons de la raison est resté profondément marqué par les réflexes religieux des temps passés. Emmanuel Macron se réclame du siècle des Lumières. Jean Castex se veut rationaliste. Mais là où ils pourraient se contenter d’expliquer aux Français que la nature a ses lois auxquelles nous devons nous plier, tous deux préfèrent transformer l’épidémie en faute morale collective des Français. Nous ne devons pas nous confiner parce que la maladie sévit, parce que nous l’avons mal combattue, à force d’indiscipline, de désobéissance, de jouissances en tous genres. Nous devons nous confiner pour interrompre la malédiction qui pèse sur nous du fait de nos jouissances excessives. Et que n’avons-nous entendu ces derniers jours pour nous rendre coupables de la virulence d’une maladie qui nous tombe sur le dos à l’improviste ?

Et soudain, nous jouons à front renversé. Ceux qui nous parlent des Lumières et de la raison sont les vrais praticiens de l’obscurantisme que Lucrèce décrivait dans l’Antiquité. Ce sont eux qui expliquent la nature par la faute des hommes. Et les Gaulois réfractaires sont les vrais rationalistes, qui abordent l’épidémie sans calcul et ne prêtent à la nature aucune intention, aucune finalité morale qui sanctionnerait des péchés.

Le coût social de la culpabilisation collective sera lourd à payer

Cette croyance naïve selon laquelle la virulence de l’épidémie proviendrait de notre propension à faire la fête explique la perversité avec laquelle le gouvernement gère la crise. Au lieu de décider d’un confinement clair et net par temps froids (puisque le vrai déterminant du virus est le climat et non les fêtes), le gouvernement tente en permanence de rendre les Français responsables de la circulation du virus. Il ne faut pas chercher un autre sens aux « critères » énoncés par Emmanuel Macron pour décider d’un déconfinement.

Il faut vraiment porter un magnifique formatage religieux pour transformer avec autant de sadisme un phénomène naturel en culpabilité collective. Alors, si, collectivement, vous n’atteignez pas trois critères chiffrés de santé publique, vous serez punis par du confinement ? L’affaire est bien montée : elle fait croire aux Français qu’ils sont la cause d’un phénomène, alors qu’ils n’en sont que les victimes.

Ce qu’il faut mesurer maintenant, c’est le coût social et humain de ce sadisme. On parle beaucoup de la détresse psychique des Français, mais elle est pour le coup parfaitement orchestrée par une élite technocratique imbibée d’esprit animiste, pour qui les phénomènes naturels s’expliquent par des fautes humaines. Si l’on confine, ce n’est pas parce que le virus sévit, ni parce que la France était mal préparée à une épidémie pourtant maintes fois annoncée depuis 15 ans. Si l’on confine, c’est parce que nous sommes trop indisciplinés.

Combien de temps faut-il pour reconstituer l’énergie vitale d’un peuple qu’on traite aussi mal ? Nous ne le savons pas encore. Mais une chose est sûre : le directeur général de la santé, qui a fait carrière en suçant la roue d’Emmanuel Macron, est toujours en poste, alors qu’il a tout fait pour nous abordions cette crise sans disposer du moindre stock de masques, du moindre test, de la moindre capacité hospitalière nouvelle pour absorber le choc des réanimations. Cette incompétence-là se traduit par des millions de travailleurs indépendants en détresse, de salariés au bord du gouffre. Mais nous continuons à protéger l’un, et à culpabiliser les autres, qui n’y sont en réalité pour rien. Au nom des Lumières, bien entendu.