Comment l’Éducation Nationale flique ses profs pour installer la cancel culture

Comment l’Éducation Nationale flique ses profs pour installer la cancel culture


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C’est un aspect peu connu de l’Éducation Nationale et de sa bureaucratie pédagogique, qui vaut pourtant le détour. Depuis l’inénarrable Vincent Peillon, rien n’a bougé : le mammouth impose un « référentiel de compétences » des enseignants qui constitue une véritable arme de guerre pour faire régner la police de la pensée dans les rangs, et pour rétrécir au maximum les espaces de liberté des profs vis-à-vis de la bien-pensance vivre-ensembliste et snessienne. Ou comment une armée d’1 million de profs est équipée pour broyer toute forme d’esprit critique dans ses effectifs et pour imposer au goutte-à-goutte la cancel culture dominante dans la caste.

En 2013, le ministre socialiste de l’Éducation, Vincent Peillon (qualifié de cerf-volant à piloter depuis le sol par l’un de ses proches collaborateurs) a imposé un « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » que Jean-Michel Blanquer n’a pas modifié. Ce texte, publié au Bulletin Officiel, sert aujourd’hui d’arme d’intimidation contre les enseignants qui refusent le diktat de la Cancel Culture et de la bien-pensance à outrance. Il faut absolument lire ce texte hallucinant, qui participe au naufrage éducatif dont nous sommes quotidiennement les témoins.

Pourquoi un référentiel du métier de prof ?

En soi, l’édiction d’un « référentiel des compétences professionnelles » est une bonne idée, assez courante d’ailleurs dans le monde contemporain, qui permet de clarifier les attentes d’un employeur vis-à-vis de ses employés. C’est une démarche de transparence et d’explication sur qu’on attend d’un enseignant pour le considérer comme « un bon enseignant ».

Dans le domaine éducatif, cette logique est salutaire.

Ce qui est très instructif, c’est de détailler ce que la bureaucratie éducative y a rangé et consigné sous le quinquennat Hollande, et que personne n’a remis en cause depuis lors.

Aux origines du référentiel français

Il faut lire attentivement le référentiel français pour noter qu’il découle d’un référentiel européen un peu mystérieux, contenu dans un avis du Parlement européen datant de 2006 ! La lecture de cet avis ne manque d’ailleurs pas d’intérêt, car le texte du Parlement est assez concis, plein d’ambitions, et empreint d’idées que nous pouvons assez facilement partager.

Pour le comprendre, on lira ici les compétences clés attendues d’un enseignant selon le Parlement européen :

Les compétences sont définies en l’occurrence comme un ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées au contexte. Les compétences clés sont celles nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi.

Le cadre de référence décrit huit compétences clés:

Les compétences clés sont considérées comme étant aussi importantes les unes que les autres, dans la mesure où chacune d’entre elles peut contribuer à la réussite de l’individu vivant dans une société de la connaissance.

On peut évidemment contester le jargon communautaire. Mais il a le bon goût de mettre en avant des compétences comme l’esprit d’initiative et d’entreprise qui font cruellement défaut à l’enseignement français, et dont il aurait bien besoin de s’inspirer.

Le Parlement européen contre la cancel culture

Au passage, il n’est pas inintéressant (bien au contraire) de relever les affirmations du parlement européen sur le « Vivre Ensemble » et sa fçon de l’aborder à l’école. Par exemple cette citation riche de sens :

La connaissance culturelle suppose d’avoir conscience du patrimoine culturel local, national et européen et de sa place dans le monde. Elle inclut une connaissance élémentaire des œuvres culturelles majeures, dont la culture populaire contemporaine. Il est essentiel de comprendre la diversité culturelle et linguistique en Europe et dans d’autres régions du monde, la nécessité de la préserver et l’importance des facteurs esthétiques dans la vie de tous les jours.

Loin d’occulter les patrimoines locaux, le Parlement européen a donc appelé à en préserver l’apprentissage et la transmission. Cette idée est saisissante, car elle contraste singulièrement avec ce que la machine éducative a pu en déduire en 2013, comme nous allons le voir.

Comment l’Éducation Nationale a « traduit » le référentiel

Ce qui frappe à la lecture du référentiel français, c’est qu’il simplifie, appauvrit et amenuise fortement toutes les affirmations gênantes du référentiel français, pour en faire un document manifestement « téléguidé » pour mettre au pas les enseignants.

La reprise de la table des matières permet de mesurer la distance qui sépare l’ambition européenne et sa réduction française :

1. Faire partager les valeurs de la République

2. Inscrire son action dans le cadre des principes fondamentaux du système éducatif et dans le cadre réglementaire de l’école

3. Connaître les élèves et les processus d’apprentissage

4. Prendre en compte la diversité des élèves

5. Accompagner les élèves dans leur parcours de formation

6. Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques

7. Maîtriser la langue française à des fins de communication

8. Utiliser une langue vivante étrangère dans les situations exigées par son métier

9. Intégrer les éléments de la culture numérique nécessaires à l’exercice de son métier

10. Coopérer au sein d’une équipe

11. Contribuer à l’action de la communauté éducative

12. Coopérer avec les parents d’élèves

13. Coopérer avec les partenaires de l’école

14. S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel

Et encore, ces compétences s’entendent pour « tous les professeurs ». Il faut ensuite distinguer les compétences spécifiques pour chaque catégorie d’enseignants (CPE, documentalistes, lycée, collège, etc.). Rien qu’à ce stade, on s’interroge sur la profusion de compétences attendues, et sur le glissement de sens d’un certain nombre d’expressions européennes.

Par exemple, le Parlement européen recommandait d’être compétent dans la communication dans la langue maternelle. Cette compétence est devenue « maîtriser la langue française à des fins de communication » sous la plume de Peillon et de ses acolytes. Les deux expressions ne se valent pas : l’Europe préconise de communiquer, la France préconise de maîtriser la langue pour pouvoir communiquer. La nuance est de taille.

Comment la Cancel Culture est introduite par Peillon

Ce qu’il faut surtout, c’est le détail de chacune de ces compétences, qui illustre comment la Cancel Culture a fait son introduction subreptice dans les programmes éducatifs, sous couvert de bienveillance et de bienpensance.

Qu’il nous soit permis d’en donner une illustration précise et méthodique.

Le lavage de cerveau commence dès le premier item, où il faut « faire partager les valeurs de la République ». Le petit livre rouge-vert de Vincent Peillon détaille ainsi cet objectif :

Savoir transmettre et faire partager les principes de la vie démocratique ainsi que les valeurs de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité ; la laïcité ; le refus de toutes les discriminations.

On comprend donc que le « refus de toutes les discriminations » est une valeur républicaine aussi importante que la liberté ou la laïcité. Cet ajout curieux en dit long sur le fourre-tout dans lequel l’imagination pédagogique contemporaine a organisé le « refus de toutes les discriminations », et la suite du texte illustre parfaitement ce que cette expression suggère à demi-mots.

On découvre plus loin « qu’agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques » (compétence étrange, au demeurant, comme si respecter l’éthique était une compétence…), signifie notamment :

Se mobiliser et mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes.

Autrement dit, ne pas adhérer à la théorie du genre, et autres élucubrations à la mode relève de la faute professionnelle. Peu à peu se dessine la fourberie avec laquelle, sous couvert de déterminer les compétences des enseignants, le ministre pratique une reductio ad opinionem temporis.

Cancel culture jusqu’au bout des ongles

Mais l’injonction donnée aux enseignants (sur de très nombreuses pages) de refuser toutes les discriminations ne s’arrête pas à quelques mots creux. Elle est déclinée jusqu’aux pratiques pédagogiques elles-mêmes.

Par exemple, les professeurs « praticiens experts des apprentissages », doivent savoir toiletter leur discipline pour :

Prendre en compte les préalables et les représentations sociales (genre, origine ethnique, socio-économique et culturelle) pour traiter les difficultés éventuelles dans l’accès aux connaissances.

Traduction : on oubliera soigneusement de préciser, en cours d’histoire, que le monde arabo-musulman a largement pratiqué l’esclavage des Noirs, car il faut tenir compte des « représentations sociales » de chacun dans l’enseignement.

Ce point de doctrine est complété par la compétence suivante :

Sélectionner des approches didactiques appropriées au développement des compétences visées.

Voilà un principe simple posé : il faut utiliser des « approches didactiques appropriées ». Tout un programme…

Bien entendu, ces exigences ne visent pas nommément la « Cancel Culture ». Elles permettent seulement de poser le cadre disciplinaire dans lequel les enseignants sont piégés s’ils refusent la culture de la discrimination positive, de la lutte contre les stéréotypes (cheval de bataille de tous les décolonialistes et racialistes du monde), et du Vivre Ensemble tel qu’il est conçu par la caste au pouvoir.

Comment la machine éducative met les profs au pas

Sans surprise, ces « compétences », dont le mot d’esprit critique est si terriblement absent (elle n’est utilisé que deux fois dans la liasse d’instructions données), permettent une véritable mise sous pression de tous les enseignants récalcitrants. Il nous a ainsi été donné de lire un rapport d’inspection où le rappel permanent du référentiel de compétences montre l’étendue des dégâts.

Ces dégâts sont de deux ordres.

Les premiers portent sur l’interdiction officielle de conduire des cours magistraux. L’enseignant qui expose un savoir pendant une heure est désormais en faute. Il doit préférer la « différenciation pédagogique »,  et « mettre en œuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la diversité des élèves ». Bref, tirer tout le monde vers le bas.

Les seconds portent sur les contenus d’enseignement eux-mêmes, et nous touchons ici au coeur de la Cancel Culture. Par exemple, punaiser des affiches de peplum américain pour illustrer l’histoire de Rome est devenu une faute professionnelle. Il s’agit d’une façon de contester les principes fondamentaux du système éducatif.

On croit rêver, et pourtant c’est vrai, nous l’avons lu dans un rapport ! Le flicage des enseignants au nom de la bienpensance est poussé jusqu’à cette extrémité de la Cancel Culture qui est de ne plus recommander un péplum hollywoodien à des collégiens pour les intéresser à l’histoire. Trop violent ! trop guerrier ! trop stéréotypé !

Nous serions d’ailleurs curieux de recevoir d’autres rapports d’inspection de ce genre.

Éducation Nationale ou propagande pour la Cancel Culture

Après l’affaire Samuel Paty, on a pu nourrir certains doutes sur la place de la Cancel Culture (et de l’une de ses ramifications consistant à ne pas qualifier « d’islamistes » les attentats survenus en France depuis plusieurs années. Il semblait en effet que le rectorat de Versailles n’avait pas été complètement carré dans son soutien à l’enseignant.

Dans la pratique, ce rectorat (où Emmanuel Macron a placé l’une de ses camarades promotion, après avoir adapté le décret sur l’emploi de recteur à sa situation), dispose d’un service chargé de pister les enseignants les moins dociles : le SAPAP. Ce service d’accompagnement personnalisé illustre une fois de plus la capacité de la bureaucratie à utiliser les moyens de l’enseignement public pour poursuivre d’autres fins que l’éducation.

Et c’est peut-être ce qu’on peut reprocher aujourd’hui à Jean-Michel Blanquer : ne pas voir déconstruit les errements de l’ère Hollande, et avoir conforté un système où apprendre passe bien après formater les esprits.


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