Avi Morris : les troublantes références maurrassiennes et pétainistes des discours de Macron

Avi Morris est le pseudonyme d'un chercheur et universitaire israélien, qui a souhaité nous transmettre un texte sur les rapports intellectuels entre Macron, la sphère macronienne, et la pensée antisémite du vingtième siècle. À un moment où le pouvoir exécutif tend à désigner comme antisémite tout mouvement d'opposition à sa politique liberticide, il n'est pas inutile de montrer que l'antisémitisme n'est pas à chercher dans la rue... mais plutôt dans les allées du pouvoir. Un texte avec quelques rappels salutaires.

« L’antisémitisme est une plaie pour la société. C’est aussi un délit qui doit être combattu » (J.-M. Blanquer).
« On revient toujours à ses premières amours, c’est la pure vérité » (S. Freud).
Lors de l’élection présidentielle, les médias nous ont vanté le président philosophe capable de disserter aussi bien sur Nietzsche que de citer Habermas. Il est vrai que tout le monde n’a pas la chance d’avoir été un proche du célèbre philosophe Paul Ricoeur au point que celui-ci le remercie pour lui avoir fourni « une critique pertinente de l’écriture et la mise en forme de l’appareil critique de cet ouvrage » lors de la rédaction de son dernier grand ouvrage, en l’occurrence La mémoire, l’histoire, l’oubli[1]. D’où l’idée suivante : et si, pour comprendre les déclarations et actions du président, il fallait se plonger dans les travaux de Paul Ricoeur et remettre en perspective le quinquennat en cours ?
Macron, Ricoeur et la « passade pétainiste »
Un article très documenté a montré il y a quelques années que le philosophe avait eu plus qu’« une passade » pétainiste[2]. Quand notre président le 12 juillet 2021, soit 2 jours avant le 14 juillet, en appelle au « sens du devoir », parle d’« une logique de devoirs et de droits » à propos de son plan pour la jeunesse, utilise pour ponctuer son message l’expression « sens du devoir réciproque », il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec la rhétorique de Charles Maurras, théoricien de la révolution nationale pétainiste. Pour citer Maurras, « j’ai toujours cru que le privilège des droits représentait le privilège des devoirs », ce qui finalement n’est pas très différent de cette déclaration du Président en date du 25 juillet 2021 : « Chacune et chacun est libre de s’exprimer dans le calme, dans le respect de l’autre. La liberté où je ne dois rien à personne n’existe pas » et celle-ci « repose sur un sens du devoir réciproque ».
Au passage, comme le président nous a déjà habitué à citer Maurras, on commencerait presque à s’y faire[3].
Une sémantique très vichyste
Le 4 août 2021, le Président déclare sur un ton martial qu’ « il y va de l’existence même des démocraties. Leur attitude est une menace pour la démocratie. Ils confondent tout. Je les invite à regarder les mêmes manifestations dans des pays qui ne sont plus des États de droit. Je pense qu’ils créent un désordre permanent, parce qu’ils contestent l’existence de l’ordre républicain, mais je ne céderai en rien ». Là encore, la proximité est proche avec l’affiche que certains petits plaisantins ont diffusé sur Twitter.

D’un autre côté, de la même manière que pour Hitler il faudrait distinguer le peintre du militaire, notre président philosophe avait estimé que Pétain avait été « un grand soldat ». Et puis, le président n’a rien trouvé de mieux que d’affirmer que le modèle français repose sur le travail et de se rendre ensuite à Lourdes, comme Pétain, le 16 juillet 2021, soit la date de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Toute coïncidence avec un hommage caché à la politique menée par son funeste prédécesseur relèverait bien évidemment du pur hasard et serait le fruit d’une lecture malveillante.
La macronie et les Rothschild
Toujours sur Twitter, sont ressortis les tweets de personnes aujourd’hui ministres ou ayant occupé de hautes responsabilités sous la présidence Macron qui avaient mis comme Hashtag Rothschild pour dénoncer la nomination à l’époque de celui-ci comme premier ministre de François Hollande. Difficile de croire que ce hashtag n’exprime pas une corrélation entre juif et finance.


Lisons ce que Drumont dans la France juive écrit à propos des Rothschild : – Il est certain, par exemple, que la famille de Rothschild, qui possède ostensiblement trois milliards rien que pour la branche française, ne les avait pas quand elle est arrivée en France, elle n’a fait aucune invention, elle n’a, découvert aucune mine, elle n’a défriché aucune terre, elle a donc prélevé ces trois milliards sur les Français sans leur rien donner en échange
– Alphonse de Rothschild, en effet, préside la réunion, ce qui explique bien des choses, il boit du lait, il fait le gros dos en apprenant que la véritable égalité c’est qu’il possède trois milliards pendant que tant de Français meurent de faim. Il sourit à l’orateur prosterné devant lui d’un sourire à la fois protecteur et méprisant.– ainsi naît le mythe du juif qui s’enrichit sur le dos des Français de souche mais bien évidemment, ce n’est pas ce que nos hommes politiques ont voulu dire. Ces mêmes hommes politiques nous révèlent ainsi qu’ils sont ainsi incapables de comprendre la portée d’un symbole mais qu’il faut les croire quand, la main sur le cœur, ils s’engagent dans la lutte contre l’antisémitisme.
Dénoncer la Shoah suffit-il à ne pas être antisémite ?
Chez ces gens-là, la lutte contre l’antisémitisme se résume à l’invocation de la mémoire de la Shoah. Pour preuve,

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes.
Mais là encore, l’inculture règne : rappelons-nous l’inénarrable Benjamin Griveaux qui pour commémorer la rafle du Vel d’hiv, tweete une photo … de collaborateurs !

Mais ces personnes qui n’ont que la Shoah sur le cœur, qu’en pensent-elles vraiment ? Là encore, il est instructif de se plonger dans l’ouvrage du philosophe Paul Ricoeur auquel a contribué notre président. L’auteur y discute avec une grande bienveillance les thèses de l’historien Ernst Nolte élève du philosophe nazi Heidegger que Ricoeur cite d’ailleurs abondamment. Comme on dit, les chats ne font pas des chiens, Ernst Nolte a été qualifié en 2000 – année de la publication de l’ouvrage de Ricoeur – d’ « apologiste d’Hitler » par le New York Times[4]. Pour cet historien, l’antisémitisme d’Hitler trouvait sa principale justification dans le bolchévisme largement soutenu par les Juifs.
Le « devoir de mémoire » et ses explications laborieuses
Dans ce cadre intellectuellement douteux, le philosophe Ricoeur cherche à clarifier le sens de l’expression « devoir de mémoire ». Le raisonnement est très tortueux, comme si l’auteur était parfaitement conscient du caractère problématique de ce qu’il soutient. Esquissons un bref résumé :
– Ricoeur partage avec Nolte la crainte que l’injonction du devoir de mémoire n’en arrive à menacer la recherche historiographique – les révisionnistes ne disent pas autre chose lorsqu’ils dénoncent les entraves que la loi Gayssot fait peser sur la recherche historique. Comme cela a pu être relevé, c’est pratiquement « une tentative de dissocier totalement l’histoire du nazisme de celle de l’Allemagne et, comme telle, elle débouche non seulement sur une mauvaise compréhension des origines de la Shoah mais aussi, de par le caractère systématique de l’analyse noltéenne, sur des thèses immédiatement exploitables par des antisémites »[5].
– Ricoeur s’inquiète comme Nolte que la Shoah prenne « le statut d’un récit élevé au rang d’idéologie fondatrice, le négatif devenant légende et mythe » (p. 448) – c’est sous-entendre que l’antisionisme est légitime lorsqu’il critique la création de l’Etat d’Israël comme étant la conséquence illégitime de la Shoah. En 2007, l’ancien président iranien Mahmoud Ahmajinedjad, avait accusé Israël « d’exploiter le génocide à des fins politiques » et le droit « d’étudier avec rigueur ce qui s’est passé dans le passé ».
– Ricoeur en fin de compte à travers maintes circonvolutions rhétoriques et citations savantes nous renvoie à une réalité largement partagée par les antisémites : les Juifs en font trop ! Il serait bon de tenir compte de la perspective des bourreaux pour comprendre le génocide. Comme l’avait énoncé notre Président philosophe à propos de Pétain, « on peut avoir été un grand soldat et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième »[6].
Des idées nauséabondes au sommet de l’État
Pendant que les idiots utiles s’acharnent contre des raclures antisémites qui saccagent les tombes juives ou les monuments en hommage à Simone Veil ou manifestent avec des affiches qui jouent sur tous les symboles de l’antisémitisme, ils se gardent bien de constater que les idées nauséabondes ont réussi à infiltrer le sommet de l’Etat. Et au sommet de l’Etat, en même temps qu’il a la main sur le cœur pour condamner les atteintes à la Shoah comme celles à la mémoire de Simone Veil, le Président promeut un programme radicalement contraire à ce qu’il affirme.
Reprenons à cet effet le discours de Simone Veil aux Nations Unies le 29 janvier 2007 :
– « Comme tous mes camarades, je considère comme un devoir d’expliquer inlassablement aux jeunes générations, aux opinions publiques de nos pays et aux responsables politiques, comment sont morts six millions de femmes et d’hommes, dont un million et demi d’enfants, simplement parce qu’ils étaient nés juifs » – pas sûr que le philosophe Paul Ricoeur eut apprécié ; pas sûr également qu’un pèlerinage à Lourdes le jour de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, pèlerinage en rupture complète avec la tradition laïque française, facilite l’exercice de ce devoir d’expliquer.
Pas sûr que Simone Veil dont le Président a rendu un hommage appuyé lors du transfert de son corps au Panthéon aurait apprécié que ce même Président remette la légion d’honneur au pasteur Jesse Jackson, pasteur dont les propos tenus au cours de sa carrière sont un florilège de discours antisémites et antisionistes tenus sur les Juifs.
Résumons la chronologie de la semaine du 12 juillet 2021 :
– le 12 juillet 2021, le Président fait une allocution contraire au pacte républicain en distinguant deux catégories de citoyens ; son allocution peut trouver son inspiration dans la rhétorique pétainiste et maurrassienne ;
– le 16 juillet 2021, jour de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le Président ne trouve rien de mieux que de s’inscrire dans le sillage de Pétain et de se rendre à Lourdes ;
– le 20 juillet 2021, le Président remet la légion d’honneur à Jesse Jackson et déclare que la République a les mêmes valeurs que celles défendues par le pasteur aux propos antisémites et antisionistes.
Le Président connaît parfaitement le sens des symboles, il vient ainsi de montrer qu’une même personne peut en même temps faire le lien entre l’antisémitisme d’extrême-droite et l’antisémitisme d’extrême-gauche. Comme l’a écrit Ricoeur dans son essai sur Freud, « vouloir dire autre chose que ce que l’on dit, voilà la fonction symbolique ».
[1] P. Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Le Seuil, 2000.
[2] https://www.sens-public.org/IMG/pdf/SensPublic_RLevy_Ricoeur.pdf
[3] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/12/devant-les-deputes-lrm-macron-invoque-maurras-pour-parler-du-regalien_6029292_823448.html
[4] https://www.nytimes.com/2000/06/21/world/hitler-apologist-wins-german-honor-and-a-storm-breaks-out.html
[5] E. Husson, Ernst Nolte et la Shoah : mise en perspective des totalitarismes ou révisionnisme historique ?, Revue d’Histoire de la Shoah, 2007/2 (N° 187), p. 247-267.
[6] https://www.huffingtonpost.fr/2018/11/07/macron-justifie-lhommage-au-marechal-petain-un-grand-soldat_a_23582360/
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