Quand l’anarchiste Noam Chomsky prône l’isolement autoritaire des non-vaccinés

Qu'on l'aime ou non, Noam Chomsky est l'un des grands intellectuels de la gauche américaine. On est d'autant plus intéressé de savoir que cet homme qui a été l'un des critiques les plus implacables des guerres menées par les Etats-Unis dans le monde entier et qui se réclame de la gauche anarchiste espagnole durant la guerre civile, a récemment pris position pour l'isolement des personnes non-vaccinées. Certains diront que c'est une aberration due à son grand âge. Mais Chomsky ne révèle-t-il pas au contraire quelque chose de profond sur la vision du monde de la gauche?

Noam Chomsky est un très grand universitaire et un très grand intellectuel, on n’a aucun mal à le reconnaître même quand on ne partage pas ses engagements politiques. D’abord, il est l’un des grands linguistes du XXè siècle, créateur d’une nouvelle école, celle de la linguistique générative, qui suppose un processus cognitif universel inné à la base du langage permettant à l’enfant d’acquérir rapidement sa langue maternelle. Chomsky a développé sa théorie dans les années 1950 puis a intégré les critiques pour en proposer de nouvelles versions dans les années 1980 et 1990.
Parallèlement, Chomsky s’est fait connaître dès les années 1960 comme l’un des critiques les plus virulents dans le monde universitaire de l’intervention américaine au Vietnam. Il a ensuite élaboré une vision critique systématique de la politique étrangère américaine. Et il est comme tel l’auteur de centaines d’interventions: livres, articles, vidéos etc… Chomsky s’est toujours réclamé de l’anarchisme espagnol de l’époque de la guerre civile, dans lequel il a prétendu voir une des incarnations les plus abouties de l’idéal de liberté.
Comment comprendre alors que ce soit le même Chomsky qui vienne de prendre parti, dans deux vidéos (ci-dessous) pour l’isolement des vaccinés?
Isoler les "non-vaccinés" et les nourrir comme des prisonniers
Noam Chomsky doubles down on his previous call for the state to segregate The Unvaccinated from society:
« How can we get food to them? Well, that’s actually their problem. »
via @PrimoRadical https://t.co/WIjVOs1h7I pic.twitter.com/ZudDW6weoj
— Max Blumenthal (@MaxBlumenthal) October 25, 2021
Tout d’abord, que dit Noam Chomsky. Dans la vidéo datée du 2 septembre (voir ci-dessus)il explique qu’il ne faut rien forcer mais que les gens qui refusent de se faire vacciner, ce qui est leur droit, devraient avoir le bon réflexe, celui de s’isoler eux-mêmes. Dans l’extrait de sa vidéo du 24 octobre que le lecteur pourra consulter ci-dessus, Chomsky s’est radicalisé. Il revient sur la question en expliquant que les personnes qui refusent de se faire vacciner sont comme des individus qui voudraient conduire tout en refusant le code de la route. La seule attitude convenable est, selon lui, de se mettre à l’écart de la communauté. Et il ajoute qu’il faut au besoin les forcer à le faire. Et quand son intervieweur lui demande ce qu’il faut faire, pour nourrir ces gens qui se seraient isolés, Chomsky répond d’abord que c’est leur problème; puis qu’il faudrait leur donner à manger comme on nourrit des prisonniers!
Noam Chomsky est parfaitement cohérent dans ses prises de position
Peut-être certains admirateurs de Chomsky seront-ils horrifiés, ou du moins surpris. Mais ils ne devraient pas l’être.
+ l’anarchisme espagnol des années 1930 dont se réclame Chomsky, à titre de conviction personnelle, était porteur d’une grande violence. Il l’a montré par exemple par le nombre de victimes qu’il a faites parmi les catholiques espagnols, prêtres, religieux ou laïcs et plus généralement dans le cadre de la « terreur rouge« . Chomsky a toujours été un compagnon de route du marxisme latino-américain. Et d’une manière générale, la gauche libertaire sombre vite dans l’autoritarisme quand il s’agit de mettre en oeuvre son idéal. Plus globalement, combien de révolutionnaires, des Jacobins aux communistes en passant par les Jeunes Turcs, n’ont-ils pas commencé par exalter la liberté absolue avant de sombrer dans des tendances dictatoriales et mêmes totalitaires? Chomsky semble incapable de voir qu’il cautionne la dérive de la révolution néolibérale des années 1980, qui a commencé par l’idéal du « tout marché » et du monde sans frontières et qui finit par le Great Reset.
++ Ensuite, Chomsky semble partager avec l’élite américaine progressiste à laquelle il a toujours appartenu – faut-il rappeler que le MIT, souvent décrit comme l’un des centres du complexe militaro-industriel, lui a toujours laissé une totale liberté d’expression? – la religion du vaccin comme panacée face au Covid-19. Visiblement, cela n’intéresse pas ce grand intellectuel de gauche de démasquer les agissements de Big Pharma ni de se demander si les pauvres du monde ne sont pas mieux protégés avec des médicaments génériques.
+++Enfin, s’il y a un point commun à la théorie linguistique de Chomsky et à son engagement politique, c’est la croyance dans des catégories a priori de la raison. Chomsky n’a pas pris le temps de se documenter sur la question des vaccins anti-Covid. Il pense pouvoir exercer sa raison sans beaucoup d’informations sur le sujet.
Certains m’objecteront que « la vieillesse est un naufrage » et qu’il est vain d’accorder une quelconque valeur aux déclarations d’un homme de 92 ans qui fut un grand universitaire et intellectuel. Je ne crois pas que l’on puisse défendre ce point de vue quand on écoute l’ensemble de son entretien du 24 octobre. L’homme est encore extrêmement alerte intellectuellement. Ses propos sur le sort à réserver aux non-vaccinés face au COVID-19 doivent être pris au sérieux parce qu’ils révèlent les limites d’un grand intellectuel de gauche.
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