Dans la formidable accélération de l'histoire à laquelle nous assistons, certaines décisions qui paraissaient importantes il y a deux ou trois ans passent désormais totalement inaperçues. C'est le cas du décret pris par Elisabeth Borne peu de temps après sa nomination à Matignon concernant la taille des cabinets ministériels. La Première Ministre a en effet discrètement confirmé la stratégie de fort gonflement des effectifs suivie en 2020, dans la torpeur d'un été déconfiné...
C’est un mouvement historique habituel. Tous les gouvernements de ces trois dernières décennies commencent avec de bonnes résolutions sur la frugalité des moyens consacrés aux cabinets ministériels… et, chemin faisant, souffrent de boulimie et absorbent toujours un peu plus de conseillers au fil du temps.
Les efforts de moralisation successifs ont tous échoué. Les initiés savent en effet que, au-delà des chiffres officiels, les ministres adorent s’entourer de « clandestins » qui oeuvrent à plein temps pour eux, mais sont comptabilisés dans les services opérationnels. Cette technique de camouflage est à peu près imparable.
Malgré tout, il est de bon ton d’afficher des efforts… et l’on constate qu’Elisabeth Borne n’en a même pas pris le soin.
Le cabinet pléthorique d’Elisabeth Borne
Si l’on se fie à l’arrêté du 21 mai 2022 détaillant la composition du cabinet de la Première Ministre, Elisabeth Borne est entourée de 42 conseillers, dont son directeur de cabinet. Nous avons expliqué plus haut que ces chiffres s’entendent au sens de 42 conseillers rémunérés par Matignon, avec des primes spécifiques à Matignon. Ils n’intègrent pas d’éventuels clandestins qui conserveraient leur salaire versé par leur administration d’origine, sans primes spéciales de cabinet.
On peut parler ici de cabinet pléthorique, si l’on songe que l’Elysée, qui ne publie pas la liste de ses conseilles, dispose de sa propre « task force » pour gouverner.
L’inflation des cabinets ministériels « ordinaires »
Ces équipes de chocs qui centralisent les dossiers et les décisions ne dispensent pas les ministres d’avoir leur propre staff… en augmentation constante.
Ainsi, un décret pris à l’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017, avec initialement limité les cabinets à 5 membres pour les secrétaires d’Etat, 8 membres pour les ministres délégués et 10 membres pour les ministres de plein exercice.
Dès l’été 2020, par un décret du 13 juillet, ces quotas étaient fortement gonflés : les ministres de plein exercice sont passés à 15 conseillers (soit une hausse de 50%), les ministres-délégués à 13 conseillers (soit une hausse de 62,5%), et les secrétaires d’Etat à 8 conseillers (soit une hausse de 60%).
Au cours du précédent quinquennat, des décrets ont autorisé des majorations ponctuelles pour cause de COVID-19 et de présidence française de l’Union Européenne.
Si Elisabeth Borne a supprimé ces verrues provisoires… elle est revenue à l’état initial du texte de juillet 2020, avec des cabinets pléthoriques.
Une politisation définitive de l’administration
Bref, en bonne techno issue de la caste qui tapisse les allées du gouvernement profond, Elisabeth Borne renoue avec ces cabinets où l’administration se politise. On ne lui en voudra pas, puisqu’elle incarne parfaitement ce modèle où, pour faire carrière, il ne faut pas être efficace, mais complaisant avec son ministre.
Rappelons qu’Elisabeth Borne a fait décoller sa carrière après son passage au cabinet de Lionel Jospin, en 1990, alors ministre de l’Education, puis de Jack Lang. Elle est le pur produit de la politisation de la haute administration.
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