Leçons libertariennes – n°6 – Ibn Khâldun et le modèle libertarien arabe – par Nicolas Bonnal

Leçons libertariennes – n°6 – Ibn Khâldun et le modèle libertarien arabe – par Nicolas Bonnal


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Voici la sixième d'une série de leçons libertariennes par Nicolas Bonnal. Que nous nous définissions plutôt comme "conservateur", "Old Whig" (à la Edmund Burke) républicain (tel Cincinnatus, représenté ci-dessus par Bénouville, en 1844, qui retournait à sa charrue sans s'attarder un jour de plus à Rome quand il avait sauvé la ville des dangers qui planaient sur elle ) ou libertarien, nous partageons un constat, qui est aussi une conviction, un état d'esprit: nous voulons préserver les libertés fondatrices de nos sociétés. La France, l'Angleterre, les Etats-Unis et d'autres nations témoignent de la même expérience: leurs libertés se trouvent à l'origine de leur histoire; et beaucoup de ceux qui prétendent agir au nom du progrès ont en fait une attitude profondément liberticide! En nous faisant relire, tout au long de l'été, Goethe, Joseph de Maistre, Nietzsche, Thoreau, Burke, Tocqueville etc... - et aujourd'hui Ibn Khaldoun, Nicolas Bonnal se propose de renforcer nos capacités à résister aux tyrannies contemporaines, l'occidentale et les autres.

Théophile Gautier écrivait, après avoir vu la mosquée de Cordoue :

« Quand on songe qu’il y a mille ans, une œuvre si admirable et de proportions si colossales était exécutée en si peu de temps par un peuple tombé depuis dans la plus sauvage barbarie, l’esprit s’étonne et se refuse à croire aux prétendues doctrines de progrès qui ont cours aujourd’hui; l’on se sent même tenté de se ranger à l’opinion contraire lorsqu’on visite des contrées occupées jadis par des civilisations disparues. J’ai toujours beaucoup regretté, pour ma part, que les Mores ne soient pas restés maîtres de l’Espagne, qui certainement n’a fait que perdre à leur expulsion. »

Gustave le Bon, dans sa partiale civilisation des arabes, traitait les ibères d’aborigènes, en ajoutant froidement à propos des conquêtes occidentales : les britanniques sont colonisateurs, les Arabes civilisateurs.

Evitons toutefois une fastidieuse polémique historique et donnons à notre propos un tour plus scientifique avec Ibn Khâldun. Vers 1400 Ibn Khâldun expliquait notre déclin comme un Tocqueville, et décryptait notre soumission actuelle.

Il oppose le rat des villes et le rat des champs, et de quelle manière ; car il a compris bien avant Oswald Spengler, autre classique admirateur des arabes (la liste va de Voltaire à Goethe…) que la bureaucratie des cités nous fait dégénérer :

« Les habitants des villes, s’étant livrés au repas et à la tranquillité, se plongent dans les jouissances et laissent à leur gouverneur ou à leur commandant le soin de les protéger en leurs personnes et leurs biens Rassurés contre tout danger par la présence d’une troupe chargée de leur défense, entourés de murailles, couverts par des ouvrages avancés, ils ne s’alarment de rien. Les gens de la campagne, au contraire, évitent le voisinage des troupes et ils montrent, dans leurs expéditions, une vigilance extrême. »

C’est l’historien américain du franquisme Stanley Payne qui a fait scandale en Espagne en parlant d’un peuple anesthésié et victime du culte idiot de la bonté naïve, du « buenismo » (Payne ajoute plus sinistre que les députés ne sont plus élus – mais choisis en amont). Mais j’ai moi-même écrit que les Français se laissent tuer parce que les Français sont déjà morts. Trois siècles d’étatisme intensif…

Ibn Khâldun invite lui à préserver la « pureté du sang » (en Andalousie maint pueblo garde son unité familiale tribale) :

« Leur isolement est donc un sûr garant contre la corruption du sang. Chez eux, la race se conserve dans sa pureté… La pureté de race existe chez les peuples nomades parce qu’ils subissent la pénurie et les privations, et qu’ils habitent des régions stériles et ingrates, genre de vie que le sort leur a imposé et que la nécessité leur a fait adopter. »

Il faut aimer la frugalité raisonnée :

« Les gens de la campagne recherchent aussi les biens de ce monde, mais ils n’en désirent que ce qui leur est absolument nécessaire ; ils ne visent pas aux jouissances que procurent les richesses ; ils ne recherchent pas les moyens d’assouvir leur concupiscence ou d’augmenter leurs plaisirs. »

 

Citons l’historien romain Tite-Live qui fait aussi l’éloge de la frugalité dans la préface de sa prodigieuse Histoire romaine :

« Mais ce qui importe, c’est de suivre, par la pensée, l’affaiblissement insensible de la discipline et ce premier relâchement dans les mœurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu’à ces derniers temps, où le remède est devenu aussi insupportable que le mal. »

Ce « remède aussi insupportable que le mal » me fait penser au grand opus de Peyrefitte sur le mal français que j’ai relu cette semaine ; les dés sont déjà jetés dans les années 70. Après on a eu la génération Mitterrand et le peuple nouveau de Macron.

Ibn Khâldun rappelle que la dure vie du désert préserve la liberté, la noblesse et le courage :

« Puisque la vie du désert inspire le courage, les peuples à demi sauvages doivent être plus braves que les autres. En effet, ils possèdent tous les moyens lorsqu’il s’agit de faire des conquêtes et de dépouiller les autres peuples… »

Et surtout Ibn Khaldun déteste les impôts, marque de servilité et d’hébétude :

« Tout peuple qui aime mieux payer un tribut que d’affronter la mort a beaucoup perdu de cet esprit de corps qui porte à combattre ses ennemis et à faire valoir ses droits… Lorsqu’un peuple s’est laissé dépouiller de son indépendance, il passe dans un état d’abattement qui le rend le serviteur du vainqueur, l’instrument de ses volontés, l’esclave qu’il doit nourrir. »

Jamais on n’en a autant payé, et on est en pleine faillite encore ! Et jamais on n’a été aussi soumis à une autorité étatique locale ou globale devenue folle.

Dans un bel esprit libertarien Ibn Khaldun dénonce le contribuable :

« Une tribu ne consent jamais à payer des impôts tant qu’elle ne se résigne pas aux humiliations. Les impôts et les contributions sont un fardeau déshonorant, qui répugne aux esprits fiers. Tout peuple qui aime mieux payer un tribut que d’affronter la mort a beaucoup perdu de cet esprit de corps qui porte à combattre ses ennemis et à faire valoir ses droits. »

Ibn Khaldun rappelle qu’une saine barbarie est garante d’une force vitale supérieure :

« Nous avons déjà dit que les nations à demi sauvages ont tout ce qu’il faut pour conquérir et pour dominer. Ces peuples parviennent à soumettre les autres, parce qu’ils sont assez forts pour leur faire la guerre et que le reste des hommes les regarde comme des bêtes féroces. »

Enfin la clé du génie arabe – l’esprit de corps :

« Cette bande ne serait jamais assez forte pour repousser des attaques, à moins d’appartenir à la même famille et d’avoir, pour l’animer, un même esprit de corps. Voilà justement ce qui rend les troupes composées d’Arabes du désert si fortes et si redoutables ; chaque combattant n’a qu’une seule pensée, celle de protéger sa tribu et sa famille. L’affection pour ses parents et le dévouement à ceux auxquels on est uni par le sang font partie des qualités que Dieu a implantées dans le cœur de l’homme. »

Sources

https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_romaine_(Tite-Live)

http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Tite_live01/texte.htm

http://classiques.uqac.ca/classiques/Ibn_Khaldoun/Prolegomenes_t1/Prolegomenes_t1.html

https://www.amazon.fr/Chroniques-sur-lHistoire-Nicolas-Bonnal/dp/1521035520/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=3KTYYF5IOX4L1&keywords=nicolas+bonnal+chroniques&qid=1657447561&sprefix=nicolas+bonnal+chroniques%2Caps%2C108&sr=8-

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https://www.lainformacion.com/espana/stanley-payne-el-espanol-medio-se-ha-convertido-en-un-ser-anestesiado-y-con-pocas-ambiciones-trascendentales_tmhrgc9hh8hrcinbwjznv/


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