Edmund Burke (1729-1797) est un penseur sous-estimé en France. Alors qu'il a la puissance d'un Chateaubriand, d'un Maistre ou d'un Tocqueville. Inventeur du parti politique moderne - il organisa les Whigs, les libéraux, au parlement - Burke fut le défenseur de l'indépendance des colonies américaines puis l'un des critiques les plus féroces de la Révolution française. Cela s'explique: Edmund Burke était passionné de liberté. Et il avait, parmi les premiers en Europe, décelé le potentiel totalitaire du jacobinisme. Il fut aussi un défenseur farouche de la liberté d'entreprendre, donnant une épaisseur historique aux analyses d'Adam Smith. Nicolas Bonnal, fin connaisseur de ce très grand penseur, nous invite à le lire, tout simplement.
On connait Burke sans le lire. Sa prose est sublime comme celle de notre classicisme qu’il surpasse par la noblesse de son inspiration (nos auteurs sont « progressistes »). Et il se révèle un poète, un nostalgique, premier d’une belle lignée qui va jusqu’à Tolkien, comme je l’ai montré dans mes livres. C’est qu’avant la salle de bains américaine et le recyclage des eaux usées, le monde était plus pur. Burke aura justifié toute notre anglophilie de jeunesse. Je préfère Fogg ou Frodon à Rocambole et John Steed ou Brett Sinclair à Maigret. C’est simplement plus classe. L’anglais d’alors avait encore des racines et des ailes. Depuis, comme dit Tolkien, nous sommes du beurre étalé sur trop de pain.
Lisez Burke au lieu de le commenter a priori
Savourons ses réflexions sur la révolution française au lieu de les commenter. Commençons par ce passage central sur la chevalerie en allée (the age of chivalry is gone) et cette évocation bouleversante de notre reine martyre et sacrifiée sur l’autel de la république et de la modernité rationaliste :
« Il y a actuellement seize ou dix-sept ans que je vis la reine de France, alors dauphine, à Versailles ; et sûrement, jamais astre plus céleste n’apparut dans cette orbite qu’elle semblait à peine toucher : je la vis au moment où elle paraissait sur l’horizon, l’ornement et les délices de la sphère dans laquelle elle commençait à se mouvoir : elle était ainsi que l’étoile du matin, brillante de santé, de bonheur et de gloire. Elle était ainsi que l’étoile du matin, brillante de santé, de bonheur et de gloire. »
Mais l’étoile du matin, le Français de Neandertal n’en voulait plus – et le chevalier ne s’est guère pressé pour la défendre :
« O quelle révolution ! ! ! Et quel cœur faudrait-il avoir pour contempler sans émotion cette élévation, et cette chute ! Que j’étais loin de m’imaginer lorsque je la voyais inspirer à la fois la vénération et l’enthousiasme d’un amour respectueux, qu’elle dût un jour avoir à se défendre contre l’infortune dont le germe était dans son sein ! J’étais encore plus éloigné de m’imaginer que je dusse voir de mon vivant de tels désastres l’accabler tout-à-coup, chez une nation vaillante, pleine de dignité ; chez une nation composée d’hommes d’honneur et de chevaliers : je croyais que dix mille épées seraient tirées de leurs fourreaux pour la venger du premier regard qui l’aurait menacée d’une insulte! — Mais le siècle de la chevalerie est passé. — Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé; et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. »
On répète en anglais car c’est sublime :
But the age of chivalry is gone. That of sophisters, economists; and calculators has succeeded; and the glory of Europe is extinguished forever.
Burke poursuit :
« Jamais, non jamais nous ne reverrons cette généreuse loyauté envers le rang et envers le sexe, cette soumission altière, cette obéissance, cette subordination du cœur, qui, dans la servitude même, conservaient l’esprit d’une liberté exaltée ! L’ornement naturel de la vie, cette défense si généreuse des nations, cette pépinière de tous les sentiments courageux et des entreprises héroïques…. tout est perdu. »
La liberté perdue
Et ici il se rapproche de Novalis (voyez mon texte sur cette pensée illuminée) et de Tolkien – la sensibilité elfique et nostalgique :
« Elle est perdue cette sensibilité des principes, cette chasteté de l’honneur pour laquelle une tache était une blessure ; qui inspirait le courage en adoucissant la férocité ; qui ennoblissait tout ce qu’elle touchait, et qui faisait perdre au vice lui-même la moitié de son danger, en lui faisant perdre toute sa grossièreté. »
Le romantique, l’aristocrate, le nostalgique vont passer pour d’abrutis ringards pas suffisamment libérés :
« Mais maintenant, tout va changer, et les illusions séduisantes qui rendaient le pouvoir aimable et l’obéissance libérale, qui donnaient de l’harmonie aux différentes ombres de la vie, et qui, par une douce assimilation, incorporaient dans la politique les sentiments qui embellissent et adoucissent la société privée, s’évanouissent devant ce nouvel empire irrésistible des lumières et de la raison. On arrache avec rudesse toutes les draperies décentes de la vie ; on va rejeter pour jamais, comme une morale ridicule, absurde et antique, toutes ces idées que l’imagination nous représente comme le riche mobilier de la morale ! »
Ce ricanement qui a tué le grandeur
Le ricanement et le persiflage mettront fin au vieux monde. Le roi des temps anciens va devenir un palliatif, machin qu’on voit à la télé. Il est people le roi. Burke :
« Dans ce nouvel ordre de choses, un roi n’est qu’un homme, une reine n’est qu’une femme : une femme n’est qu’un être, et non du premier ordre. On traite de romanesques et d’extravagants tous les hommages que l’on rendait au beau sexe en général, et sans distinction d’objets. Le régicide, le parricide, le sacrilège, ne sont plus que des fictions superstitieuses propres à corrompre la jurisprudence en lui faisant perdre sa simplicité. »
Belle conclusion :
« Le meurtre d’un roi, d’une reine, d’un évêque ou d’un père, ne sont que des homicides ordinaires… »
L’entrée dans un âge politique glaciaire
L’homme moderne est devenu glacé comme la terreur et la rationalité qu’il a répandues sur le monde :
« D’après le système de cette philosophie barbare ? qui n’a pu naître que dans des cœurs glacés et des esprits avilis ; système aussi dénué de sagesse que de toute espèce de goût et d’élégance, les lois n’ont plus d’autres gardiens que la terreur qui leur est propre, et elles n’existent que par l’intérêt que les individus pourront y trouver d’après leurs spéculations secrètes, ou à les éluder pour leur avantage personnel. »
Fin de la chevalerie ? Le résultat sera là : le tyran avec des rebelles.
« Lorsqu’il sera détruit dans le cœur des hommes, ce vieux, ce féal et ce chevaleresque esprit de loyauté qui affranchissait à la fois les rois et les sujets des précautions de la tyrannie, alors les complots et les assassinats seront remplacés par des meurtres et par des confiscations, et l’on verra se dérouler ces maximes atroces et sanguinaires, que renferme le code politique de tout pouvoir qui ne repose ni sur son propre honneur, ni sur celui de ceux qui doivent lui obéir. Les rois deviendront tyrans par politique, lorsque les sujets seront rebelles par principe. »
Eh oui le gilet jaune a deux siècles de résistance-gonflette derrière lui. Mais la république se défend bien, qui gouverne si mal…
Alexandre Dumas burkéen
Or notre bel aristo républicain Alexandre Dumas (c’était plutôt un amateur de barricades) le pressentit aussi. Ecoutez-le, notre visionnaire, qui écrit dans Vingt ans après :
« Raoul, sachez distinguer toujours le roi de la royauté ; le roi n’est qu’un homme, la royauté, c’est l’esprit de Dieu ; quand vous serez dans le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l’apparence matérielle pour le principe invisible, car le principe invisible est tout. Seulement, Dieu a voulu rendre ce principe palpable en l’incarnant dans un homme. »
Athos adresse ses reproches d’aristocrate nostalgique au pauvre d’Artagnan : « Parce que tous les gentilshommes sont frères, parce que vous êtes gentilhomme, parce que les rois de tous les pays sont les premiers entre les gentilshommes, parce que la plèbe aveugle, ingrate et bête prend toujours plaisir à abaisser ce qui lui est supérieur ; et c’est vous, vous, d’Artagnan, l’homme de la vieille seigneurie, l’homme au beau nom, l’homme à la bonne épée, qui avez contribué à livrer un roi à des marchands de bière, à des tailleurs, à des charretiers ! »
Car Burke oublie que c’est d’Angleterre qu’est venu le bourgeois…
«The bourgeois was an entirely deliberate creation of early modern thought, an effort at social engineering that sought to create social peace by changing human nature itself. »(Fukuyama)
(Le bourgeois était une création entièrement délibérée de la pensée moderne précoce, un effort d’ingénierie sociale qui cherchait à créer la paix sociale en changeant la nature humaine elle-même)
Sources
Burke – Réflexions…
Dumas – Vingt ans après
Fukuyama – The last man…
La fin de la chevalerie française est la Bataille d’Azincourt (1415), quand le noble et preux chevalier, apportant par sa fortune son poids politique local et régional au Roi, est exterminé par les flèches des archers anglais organisés sur trois rangs qui se remplacent à vitesse éclair, faisant tomber par le talent de leurs longbows une pluie de flèches sur l’armée française embourbée et supérieure en nombre (copier coller au XXeme siècle avec la Ligne Maginot et la Percée des Ardennes par les chars allemands). La chevalerie française ne s’en remettra jamais… Burke est fabuleux, je suis un admirateur du peu que j’ai lu. Concernant les Jacobins et habitant Le Mans, je suis toujours effondré d’aller sur cette Place des Jacobins d’où l’on déterra lors des récents travaux d’aménagement (Pathé, théâtre, place et tramway) les dépouilles des 6.000 Vendéens assassinés ici lors de la Bataille finale du Mans. Après l’extermination qu’ils subirent en Vendée par les colonnes infernales de Turreau, et précédemment par Carrier qui les nota en masse dans la Loire à Nantes et Angers à partir de bateaux dont on ouvrait les fonds, les suppliciés mains attachées dans le dos. Concernant donc la logique de baptiser cette Place « des Jacobins » alors qu’on sait aujourd’hui qu’ils sont par leurs crimes abominables les inspirateurs des Crimes contre l’Humanité du XXème siècle, et alors que personne ne réagit et semble habitué à cette horreur, je le demandais l’effet que ferait à nos contemporains de voir le Camp d’Auschwitz baptisé « Place de la Solution finale » ou la Porte de Brandebourg « Porte des Nazis », car chacun sait que les bunker n’était qu’à une volée de pas de ce lieu… Ces quelques réflexions. Je reste toujours abasourdi quand je lis sur les panneaux du Mans cette « Place des Jacobins ». Dans le prolongement de cette place, la sans aucun charme et bétonnée avenue François Mitterrand (ou Tonton La Francisque, premier Macoute de la dynastie républicaine bananière française, qui prolongea puis extermina la Vème République gaullienne en 2022). Mais dans cette ville marquée par le communisme et le stalinisme politique, puis le socialisme dépensier jusqu’aux fonds de tiroirs, toutes les vilénies idéologiques semblent possibles…
Carrier qui les noya en masse
« L’extermination des Vendéens comme phénomène inspirateur et précurseur des Crimes contre l’Humanité du XXeme siècle », c’est Alexandre Soljenitsyne qui l’affirme dans ses écrits.
La Révolution française fut l’avènement de la troisième fonction sur la seconde qui elle même avait pris le pas sur la première fonction au XiV° siècle. L”esprit de la chevalerie était influé par les valeurs spirituelles de la 1ère fonction, véhiculées par les Mythes de la légende arthurienne. L’avènement – la révolution – de l’ordre des kshatriyas sous Philippe Le Bel, provoqua une coupure profonde. Les évènements historiques ne firent que confirmer cet état de fait puisqu’il s’en suivit la guerre de 100 ans avec tous ses affres, la chute de la chevalerie (avec tout d’abord la bataille de Crécy, l’avènement d’une armée de métier sous Charles VII et l’usage de l’artillerie), la chute de Constantinople et la migration (et redécouverte) de la culture gréco-latine (culture expurgée de son essence spirituelle car celle-ci se fondait sur les transmissions spirituelles disparues depuis l’avènement du christianisme) vers l’Italie. L’humanisme, qui coupa l’homme occidental du monde (l’homme étant le centre de l’univers) et le rationalisme firent le reste et amenèrent à une vision du monde de plus en plus matérialiste. Bref, la planche était toute prête pour qu’advienne le règne de la troisième, fonction, celle des marchands et des bourgeois, dont les valeurs de profit et cupidité se moquent éperdument des valeurs de la chevalerie. Le dernier homme règne sur la Terre, du moins en apparence, jusqu’à sa prochaine chute. En attendant il continuera son œuvre de destruction massive de la nature en la sur exploitant, des peuples et des cultures, en les nivelant et les uniformisant et de spiritualité réelle en la plagiant et en inversant les valeurs. C’est le monde moderne, celui du Kali Yuga et en ce monde, une fois le diagnostique établit, il convient à chacun de se positionner et d’entreprendre au quotidien les actes nécessaires pour survivre et transmettre.
La chevalerie existe toujours car elle tout d’abord un état d’esprit. A ce titre j’invite les lecteurs avisés de lire l’ouvrage de Chogyam Trungpa : Shambhala, la voie du guerrier. L’essence de la chevalerie y est clairement explicitée : https://www.seuil.com/ouvrage/shambhala-chogyam-trungpa/9782757839881
Je n’ai pas pu poursuivre au delà du premier paragraphe. Ce qui est anglais c’est super, ce qui est français c’est nul.
Bon merci mais on n’a vraiment pas besoin de pédants qui viennent nous enfoncer un peu plus la tête sous l’eau.
Tiens donc! Ainsi je ne suis pas le seul à avoir jeté l’éponge devant un tel étalage d’affirmations à l’emporte-pièce et de déni d’évidence. Dès les débuts, la “chevalerie” ne s’est guère montrée chevaleresque avec les manants en ravageant leurs cultures, en pillant, en violant et en massacrant de concert avec la piétaille.
Ah, et puis ce “détail”: la tactique des archers vient des Gallois. Un petit peuple que d’aucuns ne voient plus tellement ils planent haut au-dessus de ces minus.
Bonjour.
M Bonnal , j’ai connu un homme alsacien , qui selon ses dires, horrifié du comportement de ses compatriotes, collaborant avec le nazisme, parti au Québec après guerre pour oublier. Il travailla durement dans les forêts québecoises , se maria avec une descendante française, et eu trois enfants.
Pour une raison, dont je n’eus pas d’explication claire, il rentra en Alsace avec femme et enfants trente ans plus tard . Je connu ce vieil homme dans son attente de la délivrance, couché 20 heures par jour sur son lit de souffrances morales. Il m’expliqua en peu de mots, qu’il avait détesté ces compatriotes pour la raison citée, et d’une haine féroce. J’ai pu constater la réalité de cette haine lorsque je fut en présence de sa descendance. Sur trois enfants deux “choisirent” la haine, l’une le Maghreb, l’autre Madagascar comme havre de vengeance , et la troisième ce furent ses enfants qui tous les deux “choisirent” la haine de soi . Ce vieil homme se cru libre et ses enfants aussi, de même ses petits enfants. Est on libre lorsque l’on se hait ?
J’ai compris beaucoup de moi, et de mon entourage lorsque, pas a pas, j’ai construit une analyse généalogique, psycho généalogique ( bien avant que l’on en fasse une discipline) de la vie des uns et des autres. J’ai constaté que la trahison est une constante humaine, mais lorsque l’on trahi son peuple, comme sa famille cela se transmet sur de plusieurs générations jusqu’à extinction de la lignée. Certains de mes copains d’enfance sont des descendants de traitres durant la guerre, eux ne savent pas, peu d’entre nous descendants de résistants magnanimes savons. Je peux vous dire qu’ils ont trahis eux aussi en se pensants libres.
C’est pour cela que c’était le crime suprême.
Et on libre lorsque l’on se hait ??
A vous de répondre.
Autour de mai 68, Salvador Dali devait prononcer une conférence à la Sorbonne. Voici donc Dali montant au pupitre devant une foule électrisée, électrisée surtout à cause de l’ “ambiance” de cette période. Avec son accent inoubliable, (je cite de mémoire) Dali déclara “Je suis un traître, j’ai trahi ma classe d’origine qui était la bourgeoisie qui faisait guillotiner les aristocrates. Aussi, je déclare à l’instant que j’ai trahi et quitté la bourgeoisie, ma classe d’origine, pour me livrer (ici toute la salle monte debout sur les sièges pour l’acclamer étant sûre qu’il allait déclarer qu’il se livrait au prolétariat) et Dali continue en martelant “pour me livrer, corps, âme et bagages, à l’ A-RIS-TO-CRA-TIE !!” Aussitôt, l’onde de choc se propagea dans toute la salle et tous les présents se mirent tout de suite à s’engueuler entre eux ….
Cette anecdote n’y figure pas, mais je recommande l’ouvrage de Louis Pauwels -Les Passions selon Dali- 1ère édition chez Denoël, mars 1968, 325 pages et, je crois, réédité depuis.
Ce fut un de mes livres de chevet. Comme un vrai bouilleur de crus des terroirs (surtout ibériques) Louis Pauwels avait extrait l’essence de la pensée dalinienne. Quand Louis Pauwels exposa à Dali son manuscrit prêt à être envoyé à l’éditeur, de dernier s’écria “C’est mon meilleur livre !”. Plus tard, Salvador Dali fut anobli par le Roi d’Espagne.
L’Espagne qui subit les mêmes assauts dissolvants que la France, n’a pas connu la Révolution et les “lumières”. On peut espérer que ce serait un germe de régénérations en d’autres temps.
Je suis peu capable d’apprécier les tableaux de Dali, mais c’est surtout sa pensée, sa philosophie (d’ailleurs inspirée, entre autres, par les sciences) qui est une recharge inestimable.
On comprend la déception de Napoléon 1er qui, après l’échec de 8 ans
d’ “occupation” tragique de l’Espagne sous le “pouvoir” fantoche d’un de ses frères, constata amèrement que les Espagnols refusaient énergiquement le rationalisme français et ses “lumières”.