Le libertarisme, et l’indispensable procès du néo-libéralisme, par Eric Verhaeghe

Dans le grand chambardement idéologique que nous traversons, à la faveur du découplage sino-américain imposé par le Deep State, et du Great Reset qui le met en scène (et qui cherche à le transformer en opportunité), une fracture n’a pas encore été analysée. Mais elle est ouverte : elle oppose désormais ce que l’on pourrait appeler les néo-libéraux connivents (Edouard Husson me rappellerait ici le mouvement libéral d’Etat sous Louis-Philippe qui l’a préfiguré), et les libertariens, ou manchestériens de stricte observance, pourrions-nous dire. Le temps passe, et il parait de plus en plus difficile d’être libertarien et, en même temps, néo-libéral. Voici pourquoi.

Le problème, c’est le libéralisme à la Raymond Aron, pourrions-nous dire, qui a permis de tisser les liens de plus en plus étroits de ce capitalisme de connivence dont la caste mondialisée se sert pour asservir les nations et protéger ses intérêts de la façon la plus déloyale qui soit. L’épisode du COVID, puis l’épisode ukrainien, montrent clairement que les Etats, en Occident, sont devenus les bras armés du Deep State américain et de la caste qui en vit et qui s’en nourrit, comme des tiques sur le dos de la bête.
L’intérêt général, que les Etats sont supposés défendre, est devenu l’autre nom des intérêts particuliers. En l’espèce, ceux d’une minorité qui s’enrichit prodigieusement depuis 2008, à coups de cartels ou de quasi-monopoles choyés par les gouvernants, dont on mesurera un jour la perfidie et la toxicité.
Le néo-libéralisme aux sources du capitalisme de connivence
Les raisons pour lesquelles nos systèmes économiques se sont transformé, en quelques décennies, en un capitalisme mondialisé de connivence, sont bien connues. Elles proviennent des libéraux eux-mêmes, qui ont enfanté ce monstre hybride appelé néo-libéralisme, dont les effets secondaires, pourrait-on dire, n’ont cessé de s’étendre après la crise de 1973.
De mon point de vue, il a fallu 35 ans pour que ces métastases deviennent peu à peu bloquantes. Leur origine tient au colloque Lippmann de 1938, auquel participait notamment Raymond Aron, qui a adopté un « Agenda libéral » dont les effets sont aujourd’hui désastreux. C’est ce colloque européen qui a validé la première utilisation du mot néo-libéral.
Cet événement n’est pas toujours connu, mais il fait pourtant l’objet d’une abondante bibliographie. Je recommande tout particulièrement sur ce sujet la lecture d’un article publié par une revue gauchiste, et rédigé par une personnalité très anti-libérale, François Denord. Cette très bonne synthèse de ce que fut le colloque Lippmann éclaire la suite des événements.
Rupture avec le libéralisme manchestérien
Je ne m’attarderai pas ici sur l’histoire de ce colloque. Je voudrais juste dire que la communauté des intellectuels libéraux européens s’est alors réunie pour rompre avec le laissez-faire manchestérien.
Nous sommes alors en plein marasme lié à la crise de 1929, et Roosevelt en est à son deuxième New Deal. L’idée que le marché est imparfait et doit être corrigé par l’Etat paraît alors légitime, et même incontestable.
C’est dans cet esprit que les participants du colloque écrivent noir sur blanc que le néo-libéralisme considère que le rôle de l’Etat est de réguler l’économie (et la monnaie), d’en déterminer le cadre juridique, et de prendre directement en charge des secteurs comme la santé ou l’éducation.
On mesure ce que signifie cette évolution idéologique. Dès 1938, l’élite libérale européenne va prôner la « régulation » du marché par l’Etat, supposé en corriger les imperfections, et va légitimer l’intervention de l’Etat dans de nouveaux secteurs économiques.
L’Union Européenne et le néo-libéralisme
La guerre qui survient en 1939 reporte et bouleverse la mise en place de l’Agenda du libéralisme adopté au colloque Lippmann. C’est à la faveur de la construction européenne que cet agenda va retrouver de la vigueur. On peut même affirmer que la construction communautaire, à partir de l’Acte unique promu par Jacques Delors, sera tout entière fondée sur l’agenda du libéralisme adopté en 1938.
Il faudra un jour faire l’histoire des filiations idéologiques entre Jacques Delors, le planisme et le néo-libéralisme. Il n’en demeure pas moins que l’idéal d’un marché unique va essentiellement reposer sur les grandes notions admises lors du colloque. En particulier, le rôle régulateur de l’Etat, chargé de garantir un marché libre et prétendument parfait, va devenir une obsession.
Simplement, ce rôle régulateur sera confié à la Commission Européenne, qui entreprend de fonder un ensemble politique en régulant un marché unique.
Aux sources du capitalisme de connivence
Comment cette idéologie de la régulation (fondée sur la certitude que le marché est imparfait et qu’une bureaucratie doit le corriger) a fondé le capitalisme de connivence, nous en voyons les modalités opératoires agir chaque jour à Bruxelles.
Premier point : des technocrates sont investis de la mission quasi-divine de corriger le libre fonctionnement des initiatives privées. On sous-estime, de mon point de vue, la folie que crée cette mission. Des crânes d’oeuf tout droit sortis de l’école et protégés par une garantie de l’emploi à vie, sont convaincus, alors qu’ils n’ont pas trente ans, d’être plus intelligents et plus efficaces que des milliers d’entrepreneurs qui risquent leur maison, leurs économies, leur vie familiale chaque jour.
Deuxième point : le pouvoir régulateur devient si décisif qu’il est assailli par les lobbies du matin au soir. Dès lors, toute norme destinée à « réguler le marché » devient un objet de corruption, directe ou indirecte. Dans tous les cas, le jeu de la régulation favorise mécaniquement les insiders qui ont les moyens d’influencer les régulateurs, et pénalise mécaniquement les nouveaux arrivants qui doivent accepter sans mot dire les règles d’un jeu que leurs concurrents ont contribué à fixer.
C’est ainsi que se crée une complicité objective entre ceux qui définissent les règles du marché, et ceux qui font le marché, avec l’espoir assumé de conserver leur position dominante.
Comment le capitalisme de connivence favorise la caste
Chacun comprend intuitivement le déroulement de l’histoire européenne depuis 50 ans à la lecture de cette théorie de la régulation du marché imparfait par l’Etat. Des technocrates ont pris le pouvoir à la plus grande satisfaction de grandes entreprises, toujours plus grandes et toujours plus transnationales. Ces technocrates étant eux-mêmes des produits de l’idéologie mondialisée ou transnationale, ils fabriquent un monde à leur image, et dans l’intérêt de ceux qui font chaque jour le siège de leur bureau.
Se met ainsi en place une sorte de spirale vicieuse : les grandes entreprises ne cessent de s’agrandir grâce aux normes protectrices (voire protectionnistes) promulguées par le régulateur, qui devient indispensable à la « prospérité » de l’économie.
Les déviances de ce jeu de la barbichette sont bien connues : après quelques années passées à « réguler », les régulateurs sont remerciés par des recrutements à prix d’or par les régulés les mieux traités. Ce système de corruption déguisée vaut aussi aux niveaux nationaux. On ne compte plus le nombre de fonctionnaires du Trésor recrutés par de grandes banques françaises après un passage au bureau « banques » de Bercy.
Progressivement, c’est toute une appropriation du pouvoir qui se sédimente sous le couvert de corriger les imperfections du marché.
Le néo-libéralisme, antichambre du socialisme
Des critiques féroces contre le néo-libéralisme nourrissent la vulgate de gauche, de LFI au PS. Pourtant, on ne soulignera jamais assez la parenté profonde qui unit le néo-libéralisme et l’étatisme sous toutes ses formes. Parce que le néo-libéralisme légitime le rôle structurant de l’Etat dans le domaine économique, il prépare les dérives de l’économie administrée qu’un Mélenchon appelle de ses voeux.
Il n’y a d’ailleurs rien de plus divertissant que de voir des adversaires du néo-libéralisme et du capitalisme de connivence préconiser une augmentation des moyens de l’Etat pour prétendument tourner la page néo-libérale que nous aurions traversée depuis vingt ou trente ans. La réalité est que cette page taxée de néo-libéralisme s’est illustrée par une augmentation constante des dépenses publiques, et une expansion phénoménale de la bureaucratie.
Loin de rompre avec cette tendance, la doctrine mélenchoniste se contenterait de la perpétuer, en gardant la même connivence. Simplement, Mélenchon grand remplacerait une partie de l’actionnariat actuel par de l’investissement public. La nature du système de connivence ne changerait pas.
L’Europe comme cheval de Troie de la connivence
Une première conclusion de nos constats, qui s’impose, est que la construction du marché unique européen a constitué une brèche dans laquelle le capitalisme de connivence s’est engouffré pour favoriser le jeu de la caste. La régulation du marché par une autorité unique (en l’espèce la Commission européenne) est le prétexte d’une spoliation lente, qui opère par un écheveau de normes réglementaires dont le principal objet est d’étouffer la concurrence de ceux qui ne participent pas au jeu de l’influence, et de favoriser l’expansion de ceux qui « paient » leur tribut à la construction collective.
Sortir de cet attrape-mouches est une condition de survie pour les forces vives de notre économie nationale.
GAFAM et Deep State
Dans cet ensemble, s’est greffé un élément inattendu : l’arrivée d’Internet a permis la construction de cartels numériques mondiaux, américains d’abord, puis chinois, qui deviennent, à leur manière, des régulateurs de marché pour l’ensemble de la planète. Qu’il s’agisse de Google, d’Apple, de Microsoft, de Facebook, ces acteurs dont les relations avec le Deep State américain ne sont plus à présenter, agissent en position quasi-monopolistique.
Là encore, il est indispensable de leur appliquer les règles anti-trust. De façon significative, le régulateur américain, dont ce devrait être le rôle, se tient coi : on ne peut y voir meilleur signe de la protection que les régulateurs apportent aux insiders.
Là encore, on ne peut imaginer un retour à la liberté sans un démembrement des GAFAM, au titre de la transparence du marché.
Pourquoi il faut revenir au laissez-faire manchestérien
Face au corsetage de nos économies par la caste, opéré de façon insidieuse par le biais de la régulation, il est urgent de remettre en débat l’existence du néo-libéralisme et les conclusions adoptées en 1938 sur la nécessaire régulation des marchés par l’Etat.
Loin de renforcer le contrôle de l’Etat sur l’économie, dont la mise en place d’une surveillance numérique généralisée nous rappelle qu’elle est synonyme de dictature, et même de totalitarisme, il est vital de revenir en arrière et de promouvoir une liberté totale du marché sans régulation par l’Etat.
Je voudrais illustrer cette nécessaire liberté manchestérienne par le cas de la presse. Pourquoi souffrons-nous aujourd’hui d’un déficit d’informations libres ? Parce que l’Etat réglemente la création des sociétés de presse, subventionne celles qui lui sont favorables, et torpille les organes indépendants en les accusant sans preuve de produire des fausses nouvelles. Améliorerons-nous cette situation en maintenant des subventions et des réglementations, mais en changeant les fonctionnaires du ministère de la Culture ?
Non, bien entendu. Continuer le même système mettra la presse libre à la merci de la même bureaucratie, qui trouvera de nouveaux prétextes pour la museler dès demain matin.
La seule solution est de pratiquer le laissez-faire manchestérien : supprimer le statut de société de presse et supprimer les subventions publiques.
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