Têtes d’enterrement!  par Slobodan Despot

Têtes d’enterrement! par Slobodan Despot


Partager cet article

Un tweet d'Edouard Husson a fait remonter à Slobodan Despot un souvenir de la guerre du Kosovo. Nous publions le texte qu'il nous a envoyé.

C’est le cousin germain de Gabriel Attal. Mélange de vide et de morgue (mauvais jeu de mots mais je ne supporte plus leurs têtes d’enterrement))

— Edouard Husson (@edouardhusson) September 18, 2022

La fin d’un tweet d’Edouard Husson — «…mais je ne supporte plus leurs têtes d’enterrement» — a eu sur moi l’effet d’une madeleine de Proust. Il a fait remonter à ma conscience un souvenir douloureux de la toute fin du siècle dernier.
 

Le 24 mars 1999….

 
Le 24 mars 1999, à 20h30, après l’échec prémédité des pourparlers de Rambouillet, l’OTAN envoyait ses premiers missiles sur la Serbie — sur ses infrastructures civiles, bien entendu.
Le soir même, les vautours de la radio suisse romande m’appelaient de leur voix la plus melliflue pour m’offrir une tribune au bulletin de nouvelles du lendemain matin. Ce dans le but, on s’en doute, de «sonder» les représentants des «communautés» serbe et albanaise au sujet du match qui s’ouvrait. On m’avait collé le rôle du porte-parole serbe bien que je sois citoyen et soldat suisse. Mais passons.
J’ai failli vomir, j’ai raccroché pour réfléchir et dix minutes plus tard j’acceptais.
Je savais qu’on aurait droit au mélodrame albanophile, albanolâtre, albanogène, albanosexuel. J’ai donc appris une phrase par cœur, de trente secondes, sachant qu’on ne me laisserait pas parler plus longtemps. Et j’y suis allé.
La phrase, la voici. Elle ne m’est jamais sortie de la tête depuis: «Je note qu’à partir de cet instant la responsabilité de tout ce qui va suivre dans cette région d’Europe repose sur les épaules des Occidentaux, je prie pour tous ceux qui seront tués au cours de cette agression, civils ou soldats, et je les envie de ne plus avoir à supporter les visages hideux de vos dirigeants.»
Clap de fin. Je n’ai, si ma mémoire est bonne, rien dit de plus dans les médias suisses durant les 78 jours de cette guerre.
 

« Vous êtes le Serbe qui a parlé à la radio au début de la guerre du Kosovo? »

 
Des années plus tard, une fois la poussière retombée, un Suisse moyen et anonyme m’a reconnu dans un restaurant à ma voix. Il s’est approché de ma tablée, en me demandant timidement: «Vous êtes bien le Serbe qui a parlé à la radio au début de la guerre du Kosovo?» Evidemment. Il n’y en avait pas eu deux.
Je me suis levé et j’ai dit: oui, c’est moi.
Alors l’homme est tombé dans mes bras et a pleuré, brièvement. Puis il a essuyé son visage sur sa manche et il est retourné s’asseoir avec les siens.
Je crois savoir l’horreur que vous éprouvez, cher Edouard. Elle est ontologique. Nous sommes au-delà du commentaire, de la stratégie et de tout débat. Votre écart d’humeur au sujet de «leurs» têtes d’enterrement marquait une limite, la ligne où s’arrête l’agora, le territoire des oppositions civiques et rationnelles, et où commence l’affrontement des forces élémentaires. Personnellement, j’ai cessé de croire depuis le 25 mars 1999 à la viabilité d’une société où ces zombies prospèrent, et j’ai l’impression que vous l’avez vomie, vous aussi.
 
+ Slobodan Despot est éditeur, romancier et directeur d’Antipresse.net.

Partager cet article
Commentaires

S'abonner au Courrier des Stratèges

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter pour ne rien manquer de l'actualité.

Abonnement en cours...
You've been subscribed!
Quelque chose s'est mal passé
Comment Musk et l'UE se tiennent par la barbichette pour censurer les réseaux, par Thibault de Varenne

Comment Musk et l'UE se tiennent par la barbichette pour censurer les réseaux, par Thibault de Varenne

L'amende que la Commission Européenne inflige à X fait du bruit. Elle nourrit le sentiment que le réseau d'Elon Musk est un paradis de liberté face à un Vieux Continent de moins en moins libéral. Pourtant, la réalité est différente. Très différente ! car il n'y en a pas un pour racheter l'autre. L'écosystème numérique mondial traverse actuellement une mutation structurelle profonde, catalysée par la collision frontale entre deux paradigmes normatifs antagonistes : l'expansionnisme réglemen


Rédaction

Rédaction

Comment l'Union Européenne organise la censure de la presse, par Thibault de Varenne

Comment l'Union Européenne organise la censure de la presse, par Thibault de Varenne

Emmanuel Macron a évoqué une labellisation de la presse (qui serait confiée à des acteurs privés) à plusieurs reprises. Les médias subventionnés expliquent peu qu'il ne s'agit pas d'une lubie présidentielle... mais d'une déclinaison pur eet simple d'un règlement européen de 2024, passé sous les radars. Nous vous expliquons aujourd'hui comment ce règlement va tordre le cou de la presse... dans un continent qui se proclame comme celui des libertés. L'adoption du Règlement (UE) 2024/1083, comm


Rédaction

Rédaction

Nutri-Score A, bedaine XXL : journal d’un bobo en perdition, par Veerle Daens

Nutri-Score A, bedaine XXL : journal d’un bobo en perdition, par Veerle Daens

Ah, quel drame hier soir à l’Assemblée ! Les députés ont osé dire non à l’obligation du Nutri-Score sur tous les emballages. On a frôlé la révolution quinoa-bio. Heureusement, les lobbies du camembert et de la saucisse de Morteau ont tenu bon. La République est sauvée. Mais pensons à lui. À ce pauvre Gaspard, 38 ans, chargé de mission « transition écologique et inclusion » à la Métropole de Lille, qui a vécu la pire soirée de sa vie depuis que son bar à poke a fermé pour cause de trop de g


CDS

CDS

Lecornu a tranché : on sauve la gamelle, on crève les entrepreneurs

Lecornu a tranché : on sauve la gamelle, on crève les entrepreneurs

Évidemment, Sébastien Lecornu a sauvé sa tête. Il fallait s’y attendre : le garçon n’a jamais eu à se lever à 5 h du matin pour ouvrir un rideau de fer, jamais eu à supplier un banquier, jamais eu à choisir entre payer l’Urssaf ou nourrir ses gosses. Sa seule expérience du « privé », c’est le badge d’accès au parking réservé des ministères. Mais pour conserver le volant de la limousine avec chauffeur, il excelle. Et là, il a été magistral. Le deal est simple, et délicieusement pourri : on au


Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe