Hippolyte Taine est l'un des auteurs méconnus du conservatisme français. Ses "Origines de la Révolutions française" sont, avec "Les prodiges du sacrilège" de Jean Dumont, l'une des rares études sérieuses de ce qui s'est vraiment passé, entre 1789 et 1799, cette décennie maudite où aristocratie, haut clergé, bourgeoisie, ont, tels des enfants gâtés, saccagé le pays qui fondait une douceur de vivre apparente sur une grande exigence civilisationnelle. Taine a beaucoup écrit là-dessus mais il a aussi édité un témoignage irremplaçable, celui d'une Anglaise anonyme, présente en France pendant la Terreur, petite soeur d'Edmund Burke, d'une certaine façon.
La France se paie de mots depuis 1789, droits de l’homme, liberté, république, égalité…. Ces mots mènent à l’abattoir ou à la dictature, et ce de manière régulière. J’en ai parlé déjà en citant Cochin ou Guénon. Ce qui se prépare pour cet hiver (pas de courant, d’eau, de nourriture, etc.) avec la touche de fascisme médiatique et de tyrannie numérique (fin du cash et compagnie) s’annonce inédit sur fond d’absence de réaction ou de protestation minoritaire, liquide et cliquée. Pas de souci pour le pouvoir.
La petite soeur d’Edmund Burke
De 1792 à 1795, une Anglaise anonyme décrit les horreurs librement consenties de la Révolution Française. Taine préface. Florilège de citations du Séjour en France alors ; la première est notre préférée. Le Français supporte la tyrannie si on lui laisse (déjà) miroiter un petit amusement au bout de son code QR :
« Au lieu d’imposer sa douleur à la société, un Français est toujours prêt à accepter des consolations et à se joindre aux divertissements. Si vous lui racontez que vous avez perdu votre femme ou vos parents, il vous dit froidement : “Il faut vous consoler” – et s’il vous voit atteint d’une maladie : “Il faut prendre patience.” – Lorsque vous leur dites que vous êtes ruiné, leurs traits s’allongent davantage, leurs épaules se lèvent un peu plus et c’est avec plus de commisération qu’ils répondent : “C’est bien malheureux ; mais enfin, que voulez-vous ?” Et, au même instant, ils vous racontent leur bonne fortune aux cartes ou s’extasient sur un ragoût. »
Les Français adorent leur administration, surtout si elle est oppressive (Macron a compris que plus il tape, plus il est respecté) :
« Les Français semblent n’avoir d’énergie que pour détruire, et ils ne s’insurgent que contre la douceur ou l’enfance. Ils se courbent devant une administration oppressive ; mais ils deviennent agités et turbulents devant un prince pacifique ou pendant une minorité. »
Les préfets, les commissaires, les experts, les décideurs, on adore ça :
« La plupart des départements sont sous la juridiction d’un de ces souverains dont l’autorité est presque illimitée. Nous avons en ce moment dans la ville deux députés qui arrêtent et emprisonnent selon leur bon plaisir. Vingt et un habitants d’Amiens ont été saisis, il y a quelques nuits, et sont encore enfermés, sans qu’on ait spécifié aucune charge contre eux.
Les grilles de la ville sont fermées; on ne permet à personne d’entrer ni de sortir sans un ordre de la municipalité, et on exige cet ordre même pour les habitants des faubourgs. Les fermiers et les paysans qui viennent à cheval sont obligés de faire noter sur leur passeport les traits et la couleur de leur bête aussi bien que les leurs. »
Le courage s’évapore en conversations
Parfois on se rend compte que tout va mal, mais, comme dit notre Anglaise (elle en a fait autant pour la Liberté que mon Tolkien), le courage s’évapore en conversations :
« Vous pouvez voir maintenant combien la liberté s’est accrue en France depuis la révolution, la déposition du roi et l’avènement d’une république. Quoique les Français subissent ce despotisme sans oser en murmurer ouvertement, on voit beaucoup de chuchotements mélancoliques et de petits mouvements d’épaules significatifs. Le mécontentement politique a même un langage approprié qui, quoique peu explicite, n’en est pas moins parfaitement compris. Ainsi, quand vous entendez un homme dire à un autre : “Ah ! mon Dieu ! on est bien malheureux dans ce moment-ci !” – “Nous sommes dans une position très-critique” ; – ou : “Je voudrais bien voir la fin de tout cela !” – vous pouvez être sûr qu’il désire ardemment la restauration d’une monarchie et qu’il espère avec une égale ferveur vivre assez longtemps pour voir pendre la Convention. Cependant leur courage s’évapore en conversations ; ils avouent que leur pays est perdu, qu’ils sont gouvernés par des brigands ; puis ils rentrent chez eux et cachent tous leurs objets précieux qui sont encore exposés. Cela fait, ils reçoivent avec une complaisance obséquieuse la prochaine visite domiciliaire. La masse du peuple, quoique aussi peu énergique, est plus obstinée et naturellement moins traitable. Mais quoiqu’ils murmurent et usent de délais, ils ne résistent pas, et tout se termine généralement par leur soumission implicite. »
Guerre contre le virus, contre l’islam, contre la Russie, contre l’Allemagne, contre l’Europe ? On est toujours en guerre et on recrute le surplus de population affamée :
« Les députés-commissaires dont je vous ai parlé ont passé quelque temps à Amiens pour hâter la levée des recrues. Les dimanches et jours de fête, ils ordonnaient aux habitants de se rendre à la cathédrale, où ils les haranguaient en conséquence, les appelant à la vengeance contre les despotes coalisés, s’étendant sur l’amour de la gloire et sur le plaisir de mourir pour son pays. »
La clé c’est l’absence de courage :
« Enfin, après beaucoup de murmures, la présence des commissaires et de quelques dragons a fini par arranger les choses très-pacifiquement. Beaucoup sont partis, et, si les dragons restent, les derniers suivront bientôt. Ceci est un compte rendu exact de l’état des choses entre la Convention et le peuple ; tout est effectué par la crainte, rien par l’attachement ; l’une n’est obéie que parce que l’autre n’a pas le courage de résister. »
août 1792-août 1793: les douze mois où la première puissance du monde a fait naufrage
La presse est aussi manipulée et monocorde qu’aujourd’hui (pas besoin des oligarques !) :
« Tous les journaux français sont remplis des descriptions de l’enthousiasme avec lequel les jeunes gens s’élancent aux armes à la voix de leur patrie. »
Crise financière et économique, une question d’habitude :
« La défiance contre les assignats et la rareté du pain ont fait promulguer une loi qui oblige les fermiers, sur tous les points de la république, à vendre leur blé à un certain prix, infiniment au-dessous de celui qu’ils exigeaient depuis quelques mois. La conséquence fut qu’aux marchés suivants il n’y eut aucun arrivage de blés, et maintenant les dragons sont forcés de courir la contrée pour nous préserver de la famine. »
Notre écrivain note dans un bel élan l’impressionnant bilan :
« Dans ces douze mois, le gouvernement de la France a été renversé, son commerce est détruit, les campagnes sont dépeuplées par la conscription, le peuple est privé du pain qui le faisait vivre. On a établi un despotisme plus absolu que celui de la Turquie, les mœurs de la nation sont corrompues, son caractère moral est flétri aux yeux de toute l’Europe. Une rage de barbares a dévasté les plus beaux monuments de l’art ; tout ce qui embellit la société ou contribue à adoucir l’existence a disparu sous le règne de ces Goths modernes. Même les choses nécessaires à la vie deviennent rares et insuffisantes pour la consommation le riche est pillé et persécuté, et cependant le pauvre manque de tout. »
La dette immonde est déjà là, c’est une habitude révolutionnaire qu’on ne perdra jamais :
« Le crédit national est arrivé au dernier degré d’abaissement, et cependant on crée une dette immense qui s’accroît tous les jours; enfin l’appréhension, la méfiance et la misère sont presque universelles. Tout ceci est l’œuvre d’une bande d’aventuriers qui sont maintenant divisés contre eux-mêmes, qui s’accusent les uns les autres des crimes que le monde leur impute à tous, et qui, sentant qu’ils ne peuvent plus longtemps tromper la nation, gouvernent avec des craintes et des soupçons de tyrans. Tout est sacrifié à l’armée et à Paris ; on vole aux gens leur subsistance pour subvenir aux besoins d’une métropole inique et d’une force militaire qui les opprime et les terrorise… »
Vive les commissaires qui en profitent pour se venger (on dénonce et guillotine aussi les prêtres qui confessent) :
« Tous les points de la France sont infestés par des commissaires qui disposent sans appel de la liberté et de la propriété de tout le département où ils sont envoyés… ces hommes sont délégués dans des villes où ils ont déjà résidé ; ils ont ainsi une opportunité de satisfaire leur haine personnelle contre tous ceux qui sont assez malheureux pour leur avoir déplu. »
La servitude volontaire
Dans cette maison des morts digne de Dostoïevski (cf. l’homme qui s’habitue à tout – voyez mon livre), on exige en plus le sourire :
« L’homme est enclin à tout supporter, et souvent la volonté de faire le mal suffit pour nous donner un plein pouvoir sur le bonheur des autres. Mais le système de la Convention est plus original ; non contente de réduire le peuple à l’esclavage le plus abject, elle exige un semblant de satisfaction et édicte des peines, à des époques déterminées, contre ceux qui refusent de sourire… Il y a à Paris de splendides fêtes où chaque mouvement est réglé d’avance par un commissaire ; les départements, qui ne peuvent imiter la magnificence de la capitale, sont obligés néanmoins de témoigner leur satisfaction. Dans toutes les occasions où une réjouissance publique est ordonnée, on garde la même discipline; et les aristocrates, dont les craintes surmontent généralement les principes, ne sont pas les moins zélés… L’extrême despotisme du gouvernement semble avoir confondu tous les principes de bien et de mal, d’honneur et de déshonneur. »
La soumission des imbéciles est telle qu’on n’a plus besoin de les arrêter. Ils vont d’eux-mêmes à la prison. Un email, pardon, un message suffit :
« Cependant, telle est la soumission du peuple à un gouvernement qu’il abhorre, qu’on juge à peine nécessaire maintenant d’arrêter quelqu’un dans les formes. Souvent ceux dont on veut s’assurer ne reçoivent rien de plus qu’un mandat écrit, leur enjoignant de se rendre à telle prison et ils sont plus ponctuels à ce désagréable rendez-vous qu’à la visite la plus cérémonieuse ou à la plus galante assignation. On empaquette à la hâte quelques objets nécessaires, on fait ses adieux, on va à pied à la prison et on place son lit dans le coin désigné, comme si la chose était toute naturelle. »
La centralisation rêvée, la voici :
« Le comité de salut public marche rapidement à la concentration absolue du pouvoir suprême, et la Convention, qui est l’instrument de l’oppression universelle, devient elle-même un corps insignifiant, dont les membres sont peut-être moins en sûreté que ceux qu’il tyrannise. Ils cessent de discuter et même de parler. »
On arrêtera là. Les amateurs pourront aussi découvrir un grand livre recommandé par Taine : l’Histoire de la Terreur de Mortiner-Ternaux. C’est en six volumes.
Sources
• https://archive.org/details/histoiredelaterr06ternuoft?view=theater
• http://www.dedefensa.org/article/rene-guenon-et-notre-civilisation-hallucinatoire
• http://classiques.uqac.ca/classiques/taine_hippolyte/sejour_en_france/sejour_en_france.html
• https://www.amazon.fr/Coq-hérétique-Autopsie-lexception-française/dp/2251441182/
• https://strategika.fr/2020/07/19/augustin-cochin-et-le-piratage-mental-des-francais-depuis-1789/
Dans sa haine pathétique du Français, l’auteur se rapproche petit à petit, avec l’aide des auteurs qu’il invite à adouber sa propagande par quelques paragraphes noyés dans des sommes littéraires, des accents certains qu’on retrouva dans la logorrhée de l’antisémitisme : des rats, des fourmis, des termites, sales, puants, veules, broyés par l’ordre du dresseur… La haine de soi et des siens est une maladie bien référencée.
Pourquoi continuer à éructer ainsi si ce pays et son peuple ne fait plus rêver Monsieur l’Auteur ?
Qu’il se choisisse une autre contrée alors !
Ah c’est déjà fait !
Monsieur l’Auteur ne connait rien au Peuple de France, qui est un Grand Peuple adoubé par le monde.
Malgré ses tyrans et ses philosophes qui marchent main dans la main par leur appartenance de caste…
Pour abonder dans mon argumentaire et pour m’opposer viscéralement au point de vue continuellement méprisant de l’auteur à l’égard du Peuple français, je n’ai trouvé qu’une parade “On reconnait l’arbre à ses fruits”.
Ainsi, le peuple qui par son travail a accouché d’un des joyaux de l’Occident, ses territoires sculptés au cordeau, sa cuisine unique au monde, son architecture majestueuse, ses œuvres de tous types admirées urbi et orbi, serait un peuple minable, esclave, médiocre en tout ?
J’ai bien peur que l’auteur ne s’égare de plus en plus dans ses délires misanthropiques.
A mon tour de citer un des auteurs favoris, anglais de surcroit, du Courrier des Stratèges – c’est la troisième phrase qui est la plus pertinente ici… :
« En ces temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. »
« Un peuple qui élit des politiques corrompus, des renégats n’est pas victime, il en est le complice. »
« L’intellectuel est celui qui est le plus tenté par la dictature et, parmi ces intellectuels, l’intellectuel français est le plus doué pour ça. »
« La paix c’est la guerre, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force. » novlangue, in 1984
George Orwell (1903-1950), écrivain et journaliste anglais
Cette maladie de l’esprit français s’appelle l’orientalisme, qu’on voit déjà chez poindre chez Montesquieu et ses Lettres Persanes, qui adoubera chez les autres les Pyramides et autres Muraille de Chine… parce que ces œuvres sont manifestement l’émanation de peuples grands et libres, qu’on s’en convainque !
En lisant la prose très articulée de cette Anglaise anonyme traduite par Taine, je me suis demandé si Taine n’était pas en fait l’auteur du texte et l’Anglaise anonyme un pur produit de son imagination et de son talent d’historien. Que sait-on concrètement de cette Anglaise ? Avait-elle des voisins, une activité quelconque pendant les années passées à Paris ? Merci à qui me renseignera !
Combien d’auteurs de renom ont utilisé le pseudonyme pour mettre à jour leur fond de pensée, leur fond de culotte, et ainsi donner à croire qu’autrui est responsable intellectuellement de ces infamies ? Notre auteur du Courrier des Stratèges n’échappe pas à la règle. Mais c’est lui qui pontifie sur le courage des peuples ! Et sur la pusillanimité du peuple français… Projection psychanalytique assez classique chez certains intellectuels (psychose non nationale), qui envoie les gueux se battre au front pour défendre leurs quartiers bourgeois. La presse française en est remplie, incapable qu’elle est de prendre un ticket de métro pour aller enquêter en Seine-Saint-Denis, où même « les français d’origine étrangère détestent l’immigration » c’est en tout cas ce qu’affirme récemment le géographe et essayiste Christophe Guilluy sur Europe 1 face à Sonia Mabrouk, mais offre des lignes budgétaires éloquentes aux correspondants de guerre pour prendre des photos paris-matchées sur les théâtres d’opérations exogènes…
Ce besoin immémorial de croire, dogme moteur de toutes les migrations, que la contrée étrangère est un Eden.
On en est tous atteint.
Il est célèbre dans les salles de rédaction que la vente des périodiques est directement tributaire de l’exotisme de la nouvelle.
Le 9-3 est-il une contrée exotique ?
Pas encore mais cela ne saurait tarder.
“La France se paie de mots depuis 1789”. Plus exactement, les hommes de 1789 l’ont payée de mots. En particulier ceux de juin 1789, qui subvertirent les Etats généraux. L’abbé Sieyès et quelques autres, soit un groupe très minoritaire de députés, ont payé de mots les Français pour mieux oeuvrer à la dépossession politique du peuple de France. D’une manière illégale et selon l’influence de modèles anglo-saxons alors tout récents, les principes les plus fondamentaux en matière de mandat, ancrés dans la sagesse anthropologique du droit romain, furent renversés en quelques jours. Les liens avec les Français organisés dans leurs communautés auxquels les députés devaient de sièger furent coupés, ce qui permit de remplacer la nation réelle par une nation abstraite, étroitement pilotée par l’Etat. Depuis, les tenants du système continuent à payer les Français de mots (les mirages du mandat représentatif agissent encore), pendant que leur dépossession se poursuit, désormais dans tous les domaines. Nonobstant l’idée du dérapage défendue naguère par François Furet, la violence de la Terreur n’aurait pas été possible sans le tour de passe-passe de juin 1789. Le fait de transformer les Etats généraux en Assemblée nationale constituante fut en effet un véritable coup de force, réalisé en pratique beaucoup plus contre le peuple, dans sa structure organique et ses nombreuses sphères de décision autonome, que contre le roi, qui, à certains égards, était le gardien – de moins en moins efficace – de ce principe de subsidiarité en acte. Le choc subi produisit une énergie chaotique.
Peut-être faudrait-il un jour cesser d’accuser les peuples des chocs qui leur sont portés.
@Philippe Vaugeot Il n’y a de courage qu’individuel arrêtez avec le peuple, bla bla bla bla socialo dans la ouate. La lâcheté idem: individuelle mais contagieuse. L’épisode covidiste ça vous parle?
@Gastoche
Le peuple dont il question, c’est l’ensemble de la population constituant la nation, toutes classes sociales confondues. Il s’agit du peuple comme communauté politique, distinct de l’Etat et de la technostructure. Les mots “We the people” en tête de la constitution américaine, ça vous parle ? Si vous pensez que l’individu seul peut remettre l’Etat à sa place, celle d’un outil subordonné à la volonté de la communauté politique, libre à vous. Par ailleurs, je n’ai jamais été socialo et ne le serai jamais. Gardez votre insulte.