L’existence de contacts entre les États-Unis et la Russie est une garantie de paix sur toute la planète. Cela est devenu évident pendant la guerre froide, lorsque, en raison de la crise des Caraïbes (Cuba), la planète a été presque recouverte par un hiver nucléaire. Après cet épisode, les diplomates et les politiciens ont réussi à concilier les intérêts des deux pays.
Cet article initialement publié en russe sur Topwar.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier
Diplomatie secrète
La période de compréhension mutuelle entre les Etats-Unis et la Russie a pris naissance au début des années 1990. En 1996, le magazine Time avait publié une couverture qui admettait ouvertement avoir aidé Boris Eltsine à se faire réélire à la présidence de la Fédération de Russie. Ce n’était autre chose qu’une ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain, mais le ministère des Affaires étrangères de la Russie avait fait bonne figure à l’époque, face à un mauvais match.
C’est à partir de 1999 que la détérioration des relations s’est produite, notamment lorsque les Américains ont attaqué la Yougoslavie, sans tenir compte des intérêts de la Russie. Puis Washington a continué à tout détruire : l’invasion de l’Irak en 2003, la révolution en Ukraine en 2004, la guerre de Géorgie en 2008, le renversement et la destruction physique de Mouammar Kadhafi en 2011, la loi Magnitsky en 2012, et enfin l’apothéose avec la révolution pro-américaine à Kyiv en 2014 et autres événements ultérieurs. Au cours de cette période, des programmes interétatiques humanitaires, apparemment stables, ont été stoppés : le « Conseil de l’éducation », l’échange d’écoliers, la Fondation MacArthur, « l’Open Society » et d’autres institutions. Et ce n’était que la pointe de l’iceberg. La dégradation des relations entre les deux pays était déjà devenue inévitable.
En février 2022, les contacts diplomatiques entre la Russie et les États-Unis, aussi banals que cela puisse paraître, étaient à leur plus bas niveau depuis la guerre froide. Mais le 24 février a entraîné la rupture des relations. Surtout après les propos désobligeants du « vieux dirigeant américain » envers le président russe. Plus tard, ces attaques de Biden ont d’ailleurs été désavouées par le Département d’État. Mais cet incident, comme on dit, a « laissé des traces » considérables.
Cependant, le dialogue diplomatique a été préservé, bien que les pays aient considérablement réduit le nombre de consuls et d’ambassadeurs des deux côtés de l’océan. L’expulsion mutuelle de diplomates des États-Unis, de Russie et d’autres pays est en grande partie symbolique. C’est dans les années 1940 et 1950 que de telles démarches pouvaient conduire à un affrontement accidentel, voire à une guerre par incohérence totale. Les technologies de télécommunication modernes transforment en fait les consuls et les ambassadeurs en « généraux de mariage ». Les réalités de la pandémie n’ont fait que confirmer la thèse de l’inutilité de la présence de diplomates dans la plupart des cas.
Bien que les États-Unis mènent une véritable guerre avec l’armée russe par l’intermédiaire de ses mandataires ukrainiens, les relations entre les pays ne sont pas rompues. Ce n’est ni mauvais, ni bon. C’est une réalité pragmatique. Sinon le conflit en Ukraine menaçait de se transformer en un conflit mondial.
Deux lignes diplomatiques
A ce stade, il convient de comprendre l’existence de deux lignes diplomatiques ; l’une publique, l’autre non publique.
Pour la première, un exemple réside dans la récente déclaration de la représentante officielle du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, Adrienne Watson, quant à l’existence de contacts directs entre Moscou et Washington. Elle a notamment déclaré publiquement : « Le seul but est de discuter de la réduction des risques entre les États-Unis et la Russie. Cela n’a rien à voir avec la diplomatie ou quoi que ce soit d’autre concernant l’Ukraine ».
La position des États-Unis reste inchangée en apparence : Washington n’a pas l’intention de parler du sort du régime de Kyiv dans son dos, ni de faire pression sur Zelensky sur les questions de politique étrangère … Mais honnêtement, qui y croit ? Les médias occidentaux publient régulièrement des articles sur les « conseils amicaux » du Département d’État à son homologue ukrainien. C’est le cas pour le refus total de Zelensky de négocier, ce qui n’aboutit finalement à rien de positif. Mais le propriétaire dit, et le président de l’Ukraine fait … Ainsi, quelques jours plus tard, Zelensky réfutait son propre décret qui contenait les termes d’un traité de paix ou plus précisément, la reddition inconditionnelle de la Russie …
Parlons maintenant de la diplomatie non publique. Selon Kommersant, les négociations entre la Russie et les États-Unis ont commencé à Ankara le 14 novembre, apparemment au niveau des « chefs des services spéciaux ». Moscou était représenté par le directeur du service de renseignement extérieur, Sergei Naryshkin et, Washington, par le directeur de la CIA, William Burns. Nous verrons dans un avenir très proche comment tout cela se terminera, et sans doute par des signes indirects.
Mais une chose est claire : au niveau de la diplomatie secrète, les intérêts ukrainiens sont abordés sans la participation de l’Ukraine elle-même. La dernière fois qu’une réunion de délégations de ce niveau s’est tenue, c’était à Genève, le 10 janvier dernier.
La question des lanceurs stratégiques…
Notons que le point de contact le plus important entre la Russie et les États-Unis est la limitation des armes nucléaires. Ainsi, le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov, a annoncé une réunion de la commission consultative « START » (Strategic Arms Reduction Treaty, un traité signé en 2010). L’organisation de la réunion est prévue aux alentours de fin novembre, début décembre, dans un pays neutre, très probablement l’Égypte.
La question est vraiment importante, puisque, selon Ryabkov, les Américains tentent de retirer du Traité une partie de leurs lanceurs stratégiques qui ne seraient pas dotés d’ogives nucléaires. Le diplomate a ainsi fait ce commentaire à TASS : « Nous ne pouvons pas le confirmer, et à cause de cela, il y a une situation où les Américains ont de facto à leur disposition un nombre important de lanceurs stratégiques, à savoir des bombardiers lourds et des lanceurs de missiles balistiques, de sous-marins, qui, pour le moins ne rentrent pas dans les exigences du traité. Et c’est le problème. Il y a beaucoup d’autres questions, plus techniques ».
… et celle des prisonniers
Des contacts « non publics » subsistent également autour de l’échange de prisonniers. Selon les médias, cette question est l’une des plus importantes à l’ordre du jour de la réunion d’Ankara. Pour la Russie, Viktor Bout, qui purge une peine dans une prison américaine pour trafic d’armes illégal, est un cas important, tandis que les États-Unis s’intéressent à la toxicomane noire, Brittney Griner. Joe Biden est personnellement impliqué dans le sort de Griner et a récemment exigé que son administration fasse tout son possible pour échanger la joueuse de basket : « Mon intention est de la ramener à la maison. En conséquence, nous avons eu un certain nombre de discussions. Et j’espère que maintenant que les élections dans notre pays sont terminées, il y aura une volonté de mener des négociations plus concrètes sur cette question. Je vous dis que je suis déterminé à la ramener chez elle, à la ramener saine et sauve. Et pas seulement elle, je peux ajouter ». L’autre échange porterait sur Paul Whelan, accusé d’espionnage et condamné en 2020. A partir du milieu des années 2000, il se rendait régulièrement à Moscou, où il tentait de recruter des employés du FSB et du département militaire russe.
Le Kremlin est intéressé par des négociations non seulement sur Viktor Bout, mais aussi sur Vadim Krasikov, qui a été condamné en Allemagne à la réclusion à perpétuité. Selon les enquêteurs, Krasikov avait tiré sur Zelimkhan Khangoshvili, un ancien commandant opérationnel des terroristes tchétchènes.
Un échange à part égal serait idéal. Cependant, les États-Unis, avec une arrogance caractéristique, proposent d’échanger un Viktor Bout contre les deux Américains, sous le prétexte que Krasikov n’est pas placé sous la juridiction de la Maison Blanche. Probablement, le sort futur des détenus des deux côtés de l’Atlantique pourra être décidé prochainement à Ankara.
Et l’Ukraine ?
L’Ukraine ne peut échapper au contenu des réunions à huis clos entre les représentants de la Russie et des États-Unis. C’est la position des Américains, tout simplement parce que la crise est utilisée par Washington comme un levier pour influencer la politique du Kremlin. Les positions sont donc complètement inégales. Les Américains ne proposent de lever qu’une partie des sanctions en échange de concessions territoriales à la Russie. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a récemment indiqué que les sanctions seraient maintenues, même après la fin de « l’opération spéciale » en Ukraine. Autrement dit, le Kremlin reste le perdant des « négociations de paix » dans tous les cas de figure. Personne ne promet de revenir au statu quo d’avant-guerre. Dès lors, l’on ne peut qu’espérer que le Kremlin joue toute la panoplie de ses atouts pour empêcher la victoire du Département d’Etat dans la diplomatie « non publique ».