Le courrier des stratèges consacre un second article à l’Agence européenne du médicament, qui comme on l’a compris occupe une place stratégique dans la gestion de cette pandémie, et dans les suivantes, l’OMS ne nous a-t-elle pas mis en garde, cette pandémie du Covid 19 n’était sans doute pas encore « the big one » - la prochaine sera sans doute bien pire... s’ils le disent (*)... A la faveur de la « rolling review », nombre de médicaments et de vaccins ont donc reçu une recommandation favorable de mise sur le marché, avant même la finalisation de toutes les études cliniques. Penchons-nous sur le fonctionnement et le financement de l’EMA, et regardons vers un passé récent où son intégrité a été mise en cause.
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Qui finance l’EMA ?
D’après son site internet, le budget de l’Agence provient à 86 % des « honoraires et redevances », à 14 % de contributions de l’Union européenne (UE) pour les questions de santé publique et pour moins de 1 % d’autres sources. Les « honoraires et redevances » perçues par l’EMA sont payées par l’industrie pharmaceutique pour le traitement des demandes des entreprises qui souhaitent mettre un médicament sur le marché. La première question qui vient logiquement à l’esprit est : quels sont les mécanismes mis en place pour assurer une étanchéité entre l’industrie pharmaceutique qui finance les études précédant les mises sur le marché, et l’Agence ? Que nous enseigne le passé, y a-t-il eu des incidents et suspicions de conflits d’intérêts révélés par la presse ?
Sur l’étanchéité et l’indépendance
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que lors de sa création, l’EMA s’est engagée à offrir des garanties d’indépendance et de de transparence, comme le font aujourd’hui toutes les instances européennes, dans l’esprit de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (1). Ces deux vertus cardinales, transparence et indépendance, sont sensées avoir été renforcées à la faveur du nouveau Règlement 2022/23, étendant les compétences de l’EMA.
Dans son numéro de juin 2002, la revue « Prescrire » dédiait l’entièreté de sa publication à une analyse remarquable de la politique européenne de la santé, tirant la sonnette d’alarme, à de nombreux égards (2). Le constat était en effet plus qu’interpellant. Il y était relevé, entre autres, que l’EMA est donc financièrement dépendante des redevances des firmes pharmaceutiques, que l’EMA est un organisme opaque pour les citoyens et les professionnels de santé, que les autorisations de mise sur le marché (AMM) ne correspondent pas souvent à de réels progrès pharmaceutiques.
Il faut bien garder à l’esprit que l’EMA ne dispose pas de moyens documentaires indépendants des firmes pharmaceutiques. Les experts de l’EMA ne réalisent pas eux-mêmes les essais. Ils procèdent à une évaluation (« assessment ») des études cliniques fournies par les firmes lors de l’instruction de la demande d’AMM. Le document-clé émanant de l’EMA est l’ EPAR (« European Public Assessment Report »), rapport d’évaluation des médicaments, rédigé par les comités scientifiques ad hoc de l’EMA, puis publié et mis à jour. On notera que seuls les médicaments et vaccins faisant l’objet de la procédure de mise sur le marché «centralisée » font l’objet d’un EPAR. Les médicaments autorisés au bénéfice de la procédure décentralisée ne font l’objet que d’une évaluation par l’agence nationale.
Les revues européennes indépendantes de thérapeutique consacrées aux médicaments, et regroupées au sein de l’ISDB (International Society of Drug Bulletins), voyant la qualité des EPAR se dégrader, ont réalisé une étude d’EPARs qui fut publiée en 1999 et 2000. Cette étude a comparé l’information diffusée par l’EMA et celle disponible dans les dossiers complets qu’avaient réussi à réunir les membres de l’ISDB. Le constat fut plutôt affligeant : les EPAR n’étaient ni harmonisés, ni fiables (3).
On signalera également les résultats interpellant d’une enquête indépendante réalisée sur 5 ans par deux chercheurs britanniques, John Abraham et Graham Lewis (4), sur le fonctionnement des institutions européennes chargées du médicament et le rôle des états membres. Ils ont constaté que la tendance à autoriser et produire de plus en plus de médicaments, et de plus en plus vite, l’emporte sur les considérations de santé publique. Les experts ont également insisté sur les risques liés au manque d’indépendance de nombreux experts scientifiques impliqués dans le système d’évaluation.
Ils soulignaient également les gros efforts à fournir sur le thème de la transparence, en citant cet exemple. Lorsqu’un médicament n’est ni approuvé ni rejeté à l’unanimité, l’opinion de la minorité disparaît lors de l’élaboration du rapport européen d’évaluation rendu public sur ce médicament (EPAR). La reproduction de toutes les opinions dans cet EPAR constituerait un grand pas en avant, et permettrait à chacun qui s’y intéresse d’avoir une vision plus éclairée. Est également grandement déploré le fait qu’aucun rapport des autorités nationales ne fasse l’objet d’une publication (ou d’une mention via lien hypertexte) sur le site de l’EMA.
Ces recommandations pressantes suite à ces constats faits il y 20 ans (« la politique du médicament tourne le dos à la santé publique… », « le système semble servir davantage les intérêts des firmes pharmaceutiques que les intérêts du patient ») ont-elles été prises en compte ? Les choses ont-elles évolué dans un sens positif depuis lors ?
Si cela devait être le cas, force est de constater que cela ne se remarque guère. On soulignera le caractère très peu « user friendly » du site de l’EMA. Qui cherche à trouver un EPAR, ou prendre connaissance des essais cliniques pour un médicament ou d’un vaccin doit vraiment avoir l’intention de le chercher, et prendre son temps…. Tout d’abord, le site n’existe qu’en anglais, et il en va de même pour les études et les EPAR. Ensuite, l’arborescence du site ne mène pas aux études cliniques, et rapports des experts de l’EMA. Il faut introduire ces mots-clé dans les fenêtres de recherche pour finalement avoir une chance de les consulter.
On trouve alors plusieurs types de rapport, à savoir l’historique de la procédure, les informations sur le produit, et enfin le rapport d’évaluation proprement dit. On peut déplorer que l’identité des experts ayant analysé les études cliniques, et donc, délivré l’autorisation, ne soit pas révélée. Il en va de même pour les opinions éventuellement divergentes au sein du comité ad hoc.
Enfin, le site de l’EMA ne contient aucune information sur les médicaments mis sur le marché à la faveur d’une procédure de reconnaissance mutuelle (donc, décentralisée). Après avoir consulté les site de l’ANSM française et de l’AFMPS belge, on constate que les essais cliniques de même que le rapport d’évaluation complet ne sont pas disponibles. Dans son édition de juin 2002, précitée, la revue « Prescrire » pointait l’opacité des procédures d’autorisation de mise sur le marché au niveau national. Les critères de décision ne sont pas homogènes, et les capacités d’expertise scientifique varient d’une agence nationale à l’autre. Il s’en suit des possibilités variées d’octroi des AMM selon le pays rapporteur, et l’émergence inévitable d’un véritable « marché de l’AMM ». On mentionnera que le budget des agences nationales du médicament dépend également en majorité, ou en totalité, des redevances versées par les firmes pharmaceutiques lors du dépôt de leurs diverses demandes d’AMM (5).
Une polémique, qui a trouvé fort peu d’écho dans la presse, est née lors de l’achèvement en décembre 2010 du second mandat du suédois Thomas Löngrenn à la tête de l’EMA. Tout d’abord, car celui-ci ayant bénéficié d’un dérogation au délai de viduité de 2 ans s’imposant à tout haut fonctionnaire européen désirant se reconvertir dans une fonction présentant un conflit d’intérêt avec son statut au sein de l’UE. M. Löngrenn avait atterri directement au conseil d’administration de NDA Ltd, une société de lobbying au service des firmes pharmaceutiques. La polémique tenait également au fait que dans un entretien à la revue professionnelle de l’industrie pharmaceutique PharmExec, M. LÖNGRENN s’était réjoui qu’il avait maintenu un bon consensus avec les firmes : sous son mandat, l’Agence a délivré un grand nombre d’AMM avec une célérité souvent vantée par les firmes pharmaceutiques. A en croire l’industrie européenne, notre EMA vaudrait bien mieux que la redoutée FDA américaine (« Food and drug administration »), trop imprévisible, et trop surveillée par les médias et la classe politique. Alors même que les questions qui entourent l’approbation des médicaments suscitent à divers égards la polémique, notre EMA est discrète, et fait peu parler d’elle.
Sur le sujet de la polémique, on en citera une, qui a tout son intérêt, au vu de l’augmentation constante de la pathologie en cause. Dans un article publié le 25 septembre 2017 sur la plate-forme « Prévention santé », le Dr. Gérard Delépine (6) , auteur de l’ouvrage « médicaments anti-cancer peu efficaces, souvent toxiques et hors de prix », résume le constat affligeant qui constitue le fil rouge de son dernier ouvrage : « 80% des médicaments anticancéreux mis sur le marché depuis 2003 l’ont été sans avoir apporté la preuve qu’ils pouvaient être utiles aux malades et la revue de la littérature quelques années après montre qu’ils sont trop peu efficaces ou dangereux sans que leur AMM soit suspendue ; (…) Dans les agences Européenne (EMA) ou américaine (FDA), ce n’est pas la compétence des experts qui pose problème, mais l’importance des liens d’intérêts qu’ils entretiennent avec les firmes pharmaceutiques. »
L’auteur cite de nombreux articles qui dénoncent la faiblesse des preuves d’inefficacité et d’innocuité des nouveaux médicaments qu’elles autorisent à la vente. Le Parlement européen lui-même menace depuis plusieurs années de ne pas reconduire le budget de l’EMA… Clairement, le Dr Delépine voit dans les procédures actuelles de délivrance des AMM un affaiblissement de la sécurité sanitaire. Il note que « depuis plus de 15 ans les autorisations que l’EMA et la FDA ont délivré montrent que leur objectif prioritaire est devenu le « soutien à l’innovation » (en réalité à l’industrie), en autorisant le plus vite possible le plus grand nombre de nouveaux médicaments même sans preuve réelle de leur efficacité et de leur faible toxicité. »
Cette dérive ne peut être qu’extrêmement préjudiciable à l’ensemble de la société. Les prix démesurés de certains médicaments qui grèvent la sécurité sociale menacent clairement le système de santé. « Lorsque le ministère accepte de payer 5000 euros par mois pour un médicament globalement peu utile et/ou trop toxique, c’est au détriment, non seulement des malades qui le prendront, mais aussi de l’ensemble des citoyens à qui on refusera le remboursement des lunettes, des dents et des appareils auditifs et qu’on oblige à contracter une assurance complémentaire santé de plus en plus chère. Creuser le déficit de la sécu, c’est préparer la population à la privatisation sauvage de la santé comme aux USA pour la plus grande joie des assureurs et des laboratoires pharmaceutiques ». Chacun se fera son idée, mais la privatisation est évidemment en ligne de mire, et semble inéluctable.
Délivrance de l’AMM conditionnelle pour les vaccins contre la Covid-19 par l’EMA
Pour clore ce second article dédié à l’Europe du médicament, nous suggérons de revenir brièvement sur le sujet de la délivrance de l’autorisation provisoire et conditionnelle délivrée pour les vaccins contre le covid-19. Dans un article publié le 16 janvier 2021, le Monde consacrait un article aux pressions qu’a subies l’EMA de la part de la Commission européenne lors du processus d’autorisation provisoire du vaccin Pfizer-Biontech, et ce, à la faveur de la mise en ligne d’une vingtaine de documents hackés sur le dark web. Le Monde y a eu accès en même temps qu’un consortium de journalistes européens.
Il ressort des documents (essentiellement des courriels), qu’en novembre 2020, l’agence européenne formulait trois “objections majeures” vis-à-vis de ce vaccin : certains sites de fabrication n’avaient pas encore été inspectés ; il manquait encore des données sur les lots de vaccins commerciaux, mais, surtout, les données disponibles révélaient des différences qualitatives entre les lots commerciaux et ceux qui avaient servi durant les essais cliniques. Le 19 novembre 2020, un haut responsable de l’EMA évoquait également une conférence téléphonique avec la Commission européenne qui se serait tenue dans « une atmosphère plutôt tendue, parfois même un peu désagréable, qui donne une idée de ce que à quoi l’EMA peut s’attendre si les attentes ne sont pas satisfaites, que ces attentes soient réalistes ou non ». Le lendemain, dans un échange avec l’Agence danoise du médicament, le même responsable se disait surpris qu’Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ait « clairement identifié les deux vaccins qui pourraient être approuvés avant la fin de l’année [Pfizer-BioNTech et Moderna], alors qu’il y avait encore des problèmes avec les deux ». Sollicitée par « le Monde », la Commission européenne a affirmé que ces discussions « n’ont jamais empiété sur l’indépendance de l’agence et n’ont jamais interféré de quelque manière que ce soit avec l’intégrité de la mission de l’EMA en ce qui concerne l’évaluation des candidats-vaccins ou d’autres médicaments ». Nous voilà rassurés. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet. Pour avoir consulté certaines études cliniques réalisées en 2020, on constate que des effets secondaires graves sont répertoriés, et même de rares cas de décès. Le rapport bénéfice-risque étant considéré comme penchant en faveur du vaccin, au vu de son efficacité réputée à 95 % pour empêcher l’infection, on peut se demander comment il se fait qu’à l’heure actuelle, le vaccin ne soit toujours pas interdit d’inoculation aux tranches non-âgées et non-immunodéprimées de la population, au vu du nombre d’effets secondaires sévères de ces vaccins, et surtout, au vu de la remise en cause de son efficacité. La pharmacovigilance de ces vaccins est, on le sait, un des sujets les plus préoccupants de cette campagne de vaccination… A suivre.
(1) Le principe de transparence figure notamment au chapitre « Citoyenneté » de la Charte, aux articles 40, « Droit d’accès aux documents » et 41 « Droit à une bonne administration ».
(2) Revue « Prescrire », juin 2002, tome 22, n° 229, « la politique du médicament en danger ».
(3) « ISDB assessment of 9 European Public Assessment Reports published by the European Medicines Evaluation Agency (EMEA), 26 june 1998 et “European Medicines Evaluation Agency”, ISBD Newsletter 2001, 15.
(4) John Abraham, professeur de sociologie et directeur du « Center of research for health and medecine » de l’université du Sussex et Graham Lewis, consultant en régulation internationale du médicament.
(5) Pour rappel, la procédure centralisée via l’EMA est obligatoire pour les médicaments innovants et ceux issus des biotechnologies, et optionnelle pour les nouvelles substances actives.
(6) Gérard Delépine est l’un des précurseurs de la chirurgie conservatrice dans les sarcomes osseux et la pose de prothèses. Il est reconnu dans le monde entier pour ses travaux depuis plus de 30 ans. Son épouse Nicole Delépine Pédiatre, oncologue, ancien chef de service de cancérologie pédiatrique à l’assistance publique-hôpitaux de Paris, a œuvré plus de 30 ans à une meilleure prise en charge des malades cancéreux.
(7) ECA (European court of auditors) (2012), Management of conflict of interest in selected EU Agencies ; Special Report no 15 2012 [archive] ; ISBN 978-92-9237-876-9