L'un des pays les plus antirusses d'Europe, la Pologne, fait soudain face à une inflation véritablement catastrophique. Les prix des denrées alimentaires augmentent chaque jour. Même les prisonniers polonais doivent payer l'électricité… Et des citoyens polonais fuient leur pays. Tout cela parce que le gouvernement polonais a commis un certain nombre d'erreurs graves.
Cet article initialement publié en russe sur Politika-ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
Il faut s’attendre à ce qu’une inflation élevée, pendant au moins quelques mois supplémentaires, contribue à un ralentissement significatif de la croissance économique en Pologne. C’est l’avertissement lancé par le président de la Banque nationale de Pologne (NBP), Adam Glapinski, un responsable certainement beaucoup plus conscient que d’autres de la situation réelle de l’économie du pays.
Lorsque « 20 % se transforment en 24 % »
Aujourd’hui, la Pologne affiche le taux d’inflation le plus élevé depuis mars 1997, et cela, bien sûr, affecte directement l’économie. Selon Glapinski, la récession en Pologne est particulièrement perceptible dans des domaines tels que la vente au détail et la construction. Selon l’expert, il est vain de croire que la situation va s’améliorer dans un avenir proche. « Toutes les prévisions montrent qu’un nouveau ralentissement de l’activité de l’économie polonaise est inévitable et de façon très significative. Ceci conduira à une très forte réduction de la pression de la demande domestique et agira contre l’inflation. La croissance économique tombera à zéro ». Glapinski suppose que d’ici février 2023, l’inflation en Pologne atteindra 19 % !
À son tour, le Conseil d’État polonais prévoit pour la politique monétaire, une inflation à 24 % dès l’année prochaine. « Ce matin, nous avons reçu de nouvelles informations qui changent la donne pour l’année prochaine. Le président du Fonds de développement polonais, Pawel Borys, a déclaré que l’année prochaine, nous n’aurons probablement pas de « parapluie anti-inflation », c’est-à-dire les taux réduits de TVA introduits par le gouvernement sur la nourriture, l’électricité et le chauffage. Cela signifie que l’inflation bondira immédiatement de trois à quatre points de pourcentage. En d’autres termes, « Les 20 % prévus pour février se transformeront en 24 % » a averti, début novembre, Ludwik Kotecki, membre du Conseil de politique monétaire polonais.
Le directeur du Fonds national de développement, Borys, a confirmé dans une interview à TVN 24 que la situation financière de la Pologne devient de plus en plus difficile. Borys a expliqué que la principale augmentation des dépenses est associée à la restructuration du système énergétique du pays – après le rejet du gaz russe – et aux allocations destinées à l’armement l’année prochaine.
Une opinion similaire est partagée par l’économiste en chef de la banque polonaise Pocztowy, Monika Kurtek. Elle appelle à se préparer à de nouvelles hausses de prix. Au cours des prochains mois, les prix des denrées alimentaires, ainsi que d’autres biens et services, continueront d’augmenter. Et dans certains cas, les flambées de prix refléteront ce qui s’est passé ces derniers mois, hausse des prix des engrais et des cultures, de l’énergie, du carburant, etc. Selon l’économiste, l’inflation culminera en février 2023.
Les factures ne cessent d’augmenter, notamment dans l’alimentaire et l’électricité
L’inflation a affecté de nombreux aspects de la vie quotidienne en Pologne. En particulier, Rzeczpospolita écrit que les Polonais vont moins dans les cafés et les restaurants et économisent de plus en plus. Cela met en danger le secteur de la restauration, lequel n’a même pas eu le temps de se remettre des conséquences de la pandémie de Covid-19. D’ailleurs, de nombreux experts considèrent que l’inflation a davantage affecté le pouvoir d’achat des Polonais que les restrictions liées au coronavirus.
C’est ce qu’explique le professeur Waldemar Rogowski, analyste en chef du registre polonais des débiteurs BIG InfoMonitor : « L’inflation entraîne non seulement un appauvrissement des ménages – et, par conséquent, une baisse des dépenses, y compris pour les déplacements ou les sorties au restaurant – mais aussi une pression importante sur les salaires. De plus, tout le secteur HoReCa (hôtels, restaurants, restauration) a connu une énorme pénurie de personnel en raison du départ de nombreux employés pendant la pandémie ». Selon une étude commandée par BIG InfoMonitor en octobre 2022, il est devenu clair que l’inflation a plus affecté la réduction des dépenses de vacances que la pandémie. Actuellement, jusqu’à 31 % des Polonais dépensent moins en voyages qu’il y a un an ; à l’automne de 2021 ce chiffre était de 24 %.
Cela n’a rien d’étonnant lorsque l’on prend connaissance de la liste des priorités et des préoccupations des Polonais, notamment la couverture des besoins les plus urgents : payer les factures et acheter des aliments de base. La presse polonaise rapporte qu’en octobre, les achats quotidiens ont coûté aux clients polonais plus de 26,1 % en moyenne par rapport à l’année précédente. Au cours de l’année, le prix de l’huile et du sucre a plus que doublé, et la viande, de plus de 30%.
Selon l’Office central des statistiques de Pologne, l’inflation en octobre (les indicateurs sont donnés par rapport à la même période l’année dernière) a atteint 17,9 %. Comme l’indique l’indice des prix de détail, les prix des douze catégories de biens analysés ont tous augmenté. Dans tous les cas considérés, la hausse a été de deux chiffres. Les matières grasses ont surtout augmenté de prix – en moyenne pour l’ensemble de la catégorie, cette augmentation était de 48,8 %, dans le même temps, le prix de l’huile végétale a augmenté de manière particulièrement sensible – de 53,6 %.
Les produits en vrac occupent la deuxième place du classement en termes de coût élevé. Ainsi, une croissance moyenne de 37,3 % a été enregistrée dans cette catégorie. Là encore, c’est le prix du sucre qui a le plus augmenté, avec une hausse de 50,4 %.
La liste des champions de l’augmentation des prix clôture la viande avec un résultat de 31,7%, dans cette catégorie, il y a des chiffres de croissance à deux chiffres, la volaille (38,7 %), le bœuf (29,5 %), le porc (26,7 %) ont le plus augmenté le prix. Les produits laitiers ont augmenté de 30 % en moyenne en octobre en magasin. Agnieszka Gawlik, experte à l’École supérieure polonaise de banque , l’explique ainsi : « La hausse des prix des produits laitiers est le résultat de la hausse des coûts d’entretien du bétail. Les agriculteurs doivent payer plus pour l’alimentation. A cela s’ajoutent des tarifs de plus en plus élevés pour l’électricité nécessaire à la fabrication des produits laitiers. Et cela affecte directement le prix final des produits laitiers et de la viande », Mais pour elle, les Polonais verront la plus forte augmentation des prix, de l’année, le mois prochain, en raison de l’augmentation de la demande dans la période précédant Noël.
« Les fabricants de pain sont en danger de faillite »
Justyna Rybacka de l’« École de banque » de Gdynia, prévient également que les Polonais vont vivre un Noël extrêmement coûteux. Pour la Pologne, où les traditions catholiques sont encore fortes et où les gens ont l’habitude de célébrer Noël en grande pompe, c’est une mauvaise nouvelle. « On peut s’attendre à des hausses de prix, notamment pour des produits de base comme le poisson, la viande, la farine, l’huile végétale. C’est-à-dire pour les produits nécessaires à la préparation des plats de fête ». Rybatska a ajouté que l’augmentation des prix dans les magasins est influencée par des facteurs tels que la baisse de la production, la hausse du coût des transports, ainsi que la hausse des prix des matières premières et des produits importés.
Comme promis par le gouvernement, grâce à ses mesures anti-inflationnistes, la hausse des prix du chauffage cette saison ne sera « que » de 40 %. Toutefois, les petites entreprises se plaignent de la hausse folle des factures d’électricité : en août, les prix ont augmenté de 947 % par rapport à mars dernier ! Cela se répercute forcément sur le coût des produits.
D’où l’avertissement d’Hanna Moisyuk, présidente de la Chambre de commerce de Szczecin : « Les fabricants de pain risquent la faillite ; ou bien alors, le pain sera vendu douze zlotys (près de 2,55 euros ou 145 roubles) ! De nombreux boulangers et pâtissiers signalent non seulement des factures de gaz et d’électricité astronomiques, mais aussi un comportement de clients qui traitent désormais le café et les gâteaux comme un luxe » précise-t-elle. Les entrepreneurs se plaignent que les hausses de prix constantes rendent impossible de faire des plans, même pour un mois ou deux à l’avance. Par exemple, Andrzej Wojciechowski, un boulanger de Szczecin, a déclaré à « Business Insider » qu’il avait reçu des factures 1 000 % plus élevées ce printemps qu’en 2021. Il a changé de fournisseur d’énergie, mais il doit encore payer d’énormes échéances. Or, depuis, les tarifs ont encore augmenté ! Ce boulanger qualifie la situation de désespérée.
La situation a conduit de nombreux Polonais à quitter le pays, notamment vers la Grande Bretagne
Jusqu’à récemment, une blague populaire circulait en Pologne : « Commettez une infraction mineure pour aller en prison jusqu’au printemps. Vous vivrez aux frais de l’État en vous débarrassant des soucis liés au paiement des factures ». Mais cette plaisanterie tombe désormais à plat. Car le ministère de la Justice a préparé un amendement au Code pénal qui oblige les détenus des prisons et des maisons d’arrêt à participer au paiement de l’électricité. Le projet introduit une redevance fixe de 20 zlotys par mois (environ 4,25 euros ou 240 roubles). Le montant aurait été calculé après analyse de la consommation électrique moyenne des appareils électriques, qui sont le plus souvent utilisés par les détenus. « Vous avez utilisé une bouilloire, un téléviseur, un récepteur radio dans la cellule ? Alors payez leur consommation ! ». Ainsi, même une prison ne peut plus servir de refuge contre les factures de services publics…
La détérioration de la situation sociale a conduit de nombreux Polonais à quitter le pays. Leur première destination est la Grande-Bretagne qui est le centre de la diaspora polonaise à l’étranger. Au cours des dernières décennies, des centaines de milliers de Polonais ont réussi à « visiter » le Royaume-Uni en tant que travailleurs invités. Par conséquent, ce pays n’est pas un territoire inconnu pour eux. « La rémigration ne signifie pas que le Royaume-Uni n’a pas été touché par la crise. La location d’appartements est devenue plus chère, les taxes et le coût du carburant ont également augmenté. De plus, il y a des coupures de courant. Mais d’un point de vue financier, il vaut mieux vivre au Royaume-Uni qu’en Pologne. Cependant, il n’y a rien d’étonnant ici. Si vous regardez froidement les statistiques, vous pouvez constater que les Polonais deviennent progressivement l’une des nations les plus pauvres. Ils ont depuis longtemps été dépassés en termes de niveau de vie par leurs voisins, par exemple, par les Tchèques », note le journal Dziennik-polityczny.
Une méthode inappropriée de lutte contre l’inflation conduit à de sombres perspectives
Dans le même temps, les autorités polonaises sont critiquées pour avoir choisi une méthode inappropriée de lutte contre l’inflation. Et surtout ces reproches se sont intensifiés fin octobre, sur fond d’effondrement des obligations polonaises. Leur vente massive sur les marchés a été provoquée par la décision de la Banque centrale de Pologne de laisser les taux inchangés, malgré la croissance rapide de l’inflation. « Une politique budgétaire accommodante associée à une politique monétaire accommodante est la pire des combinaisons. Les décisions politique de la Pologne ne sont absolument pas adaptées aux conditions actuelles ; c’est mauvais pour les marchés, et mauvais pour l’inflation », a déclaré Victor Szabo, directeur de la société d’investissement et d’assurance, Abrdn, basée à Londres.
En conséquence, les analystes brossent un tableau sombre : une inflation énorme, des taux d’intérêt négatifs à deux chiffres et un déficit budgétaire. De plus, les perspectives de croissance de l’économie polonaise dépendent de la demande de l’Allemagne et d’autres pays de l’UE, eux-mêmes dans une position difficile.
Le zloty va-t-il plonger comme la monnaie vénézuélienne?
Pendant combien de temps encore les Polonais accepteront-il de payer le soutien à un chef de gang qui se fait passer pour un chef d’état?
Jusqu’où devra aller la dégringolade de tout l’Europe avant que l’oncle Sam s’avise qu’il est très imprudent d’affaiblir ses propres alliés?