Un groupe de gardes-frontières ukrainiens est arrivé en Estonie pour accomplir une tâche spéciale. Ils devront identifier les « mauvais » citoyens russes qui souhaitent visiter ce pays. Des règles de tri « sauvages » à l'aide d'enquêtes spéciales pour ceux qui entrent de Russie et d'autres méthodes ont également été introduites par des pays baltes. De plus, ces mesures concernent même leurs propres citoyens qui viennent de Russie.
Cet article initialement publié en russe sur Politika-ru (par Nikita Demyanov) n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
Bien avant que les pays baltes n’interdisent l’entrée à la plupart des Russes en septembre dernier, ils leurs a été demandé de « dénoncer » leur propre État et de signer divers documents lors de l’entrée dans le pays. De tels incidents se sont produits récemment avec différents profils de personne : des camionneurs ordinaires jusqu’à des personnalités bien connues.
« Je ne suis pas russe ou quoi ? »
Par exemple, le 22 juillet, une telle procédure a été appliquée au chef de l’Union panrusse des assureurs et de l’Union russe des assureurs automobiles, Igor Yurgens. Il est également le directeur de l’Institut pour le développement contemporain (INSOR). Jurgens est une personne bien connue en Lettonie. A Riga, il se rendait au Baltic Forum dont il est le co-président du Conseil de surveillance ainsi que l’un des organisateurs de cet événement qui se tient depuis plus de vingt ans ! Il fait partie des Allemands baltes russifiés. En 2011-2016, avec l’homme politique letton, Janis Urbanovich, et le journaliste, Juris Paiders, Jurgens a écrit l’ouvrage en quatre volumes « Drafts of the Future » qui explore l’histoire de la Lettonie dans le cadre de l’URSS.
Or, cette fois, Jurgens s’est vu refuser l’entrée en République de Lettonie. « On m’a remis un document dans lequel je devais condamner les gouvernements de Russie et de Biélorussie pour leurs actions en Ukraine. J’ai refusé. On m’a remis une note indiquant que je suis une menace pour la sécurité nationale en Lettonie. Cela a mis fin au dialogue », a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’il ne pouvait tout simplement pas signer un tel document. « Je ne suis pas russe ou quoi ? ». L’homme en a été profondément indigné. « Ça a duré quatre heures, puis j’ai été expulsé. Je suis retourné en Biélorussie et ensuite à Moscou », a-t-il précisé.
L’introduction d’un questionnaire destiné aux Russes sur leur attitude face aux événements en Ukraine correspond parfaitement à la demande récente de Kyiv. Oleksiy Makeev, représentant spécial du ministère ukrainien des Affaires étrangères sur les sanctions, a appelé l’UE à introduire un questionnaire spécial pour les citoyens russes. Ce document déterminerait non seulement s’ils soutiennent les actions de Moscou, mais aussi « si cette personne ou ses proches ont commis des crimes de guerre » et « si le demandeur ne se sent aucunement responsable de la guerre ». Une fois remplis et signés par les Russes, il est possible que ces questionnaires soient ensuite rendus publics.
Réagissant à ces mesures, le politologue Alexander Nosovich ironise : « Les pays baltes ont rappelé leur fonction de porteurs européens et travaillent à Bruxelles sur le sujet de l’interdiction des visas Schengen aux citoyens russes. L’Estonie était le chef de file. Bien sûr, la Lituanie a soutenu la démarche avec enthousiasme. Et pour la Lettonie, la première tentative a été d’interdire à Igor Yurgens d’entrer dans le pays pour avoir refusé de signer une déclaration condamnant la politique russe. L’idée des États baltes est que, désormais, tous les citoyens russes devront signer un tel document lors de leur entrée dans l’UE. Ce n’est qu’à cette condition que ces Etats peuvent faire une exception et émettre un « Schengen » humanitaire ».
Toujours selon Nosovich, les États baltes espèrent que les autorités russes agiront de façon répressive à l’encontre de leurs citoyens qui ont été contraints de signer des documents « condamnatoires » lors de leur entrée au sein de l’UE.
La mise en place d’un « filtrage » lituanien
Lorsque des Russes, opposés au conflit, ont commencé cette année leur exode hors du pays, la Lituanie est devenue une de leurs destinations. Cependant, un tel afflux de russophones – sans oublier les 90.000 citoyens ukrainiens qui se sont installés en République de Lituanie également en 2022 – a commencé à inquiéter les nationalistes locaux. « Nous avons progressivement perdu l’habitude de cette langue, et maintenant on entend fréquemment du russe lorsque nous négocions avec des Ukrainiens et des Biélorusses. On ne peut pas se comprendre autrement que dans la langue de l’ancien occupant », se plaint le député de la Saeima Žygimantas Pavilionis.
La presse relève que ces « visiteurs » préfèrent habiter dans les grandes villes selon les normes lituaniennes : Vilnius, Klaipeda, Kaunas, Visaginas. Aussi, « les nationalistes sont-ils exaspérés par la présence importante et le langage de ces « occupants ». Des clubs de jeunes fonctionnent à Vilnius et Kaunas, dont l’entrée est fermée aux russophones et le publiciste Antanas Sakalauskas s’en explique : « Nous n’avons pas le droit de vérifier les passeports, nous disons simplement à ces invités qu’ils sont indésirables. Parmi eux, il y a peut-être des réfugiés ukrainiens, des opposants russes et des démocrates biélorusses. Mais pour nous, ce sont tous des locuteurs natifs de la langue des occupants, et donc les portes leur sont fermées ». Selon lui, il y a aussi la crainte du Département lituanien de la Sécurité d’Etat (DGB) que parmi ces gens « venus en grand nombre », il y ait de nombreux espions russes.
En Lituanie, ils ont annoncé récemment qu’ils refuseraient l’entrée aux Russes qui dissimulent leur biographie. La chef du Département lituanien des migrations, Evelina Gudzinskaite, a déclaré qu’après l’entrée en vigueur des nouvelles règles, les citoyens de certains pays arrivant en Lituanie devront répondre à de nombreuses questions. Elle précise que « les Russes auront à remplir des questionnaires supplémentaires concernant leur passé, leurs liens possibles avec les services spéciaux, avec les services de sécurité de l’État et avec les forces de l’ordre. Ils devront impérativement répondre à ces questions. S’ils ne le font pas, alors leur demande de permis de séjour ou de visa ne sera pas acceptée».
Répondant à la question de savoir pourquoi ces nouvelles règles sont nécessaires, Evelina Gudzinskaite se justifie en indiquant que « tôt ou tard, nos services recevront les informations nécessaires concernant la personne étrangère ; mais cela prend beaucoup de temps ». Désormais, la vérification et la clarification des informations « sensibles » seront beaucoup plus rapides.
Hormis ce point, les responsables lituaniens s’inquiètent aussi du fait qu’ils ont encore aujourd’hui beaucoup de Russes dans leur pays. En particulier, craignent que si la personne est riche, elle puisse financer l’établissement d’une biographie « propre » avec l’aide de spécialistes. « Il y aura toujours de telles menaces, il n’y a pas de solution pour empêcher que cela ne se produise » souligne Gudzinskaite. Selon elle, afin de réduire le risque d’entrée d’espions et de de personnes « déloyales » à la Lituanie, le gouvernement est obligé d’introduire des « filtres » supplémentaires.
Les Ukrainiens se sont « précipités » pour aider à l’application de ces mesures
Le 26 novembre dernier, cinq gardes-frontières ukrainiens ont commencé à travailler à la frontière orientale de l’Estonie, aux points de contrôle de Narva et de Luhamaa. Ils sont arrivés avec l’aide de l’agence européenne de protection des frontières Frontex. On rapporte qu’ils aident leurs collègues estoniens, partagent leur expérience avec eux et participent à des entretiens en traversant la frontière. « Nos gardes-frontières, et les agents de Frontex qui les aident à la frontière orientale, rencontre des difficultés : chaque jour, parmi des centaines de personnes, ils doivent distinguer ceux qui fuient vraiment la guerre et ceux qui ne sont pas autorisés à venir en Estonie. Les gardes-frontières ukrainiens peuvent nous aider grâce à leurs connaissances et aux informations qu’ils détiennent », a déclaré Egert Belichev, chef du service des frontières estonien.
En Estonie même, beaucoup ont réagi à cette « innovation » avec perplexité ou humour. C’est le cas du journaliste estonien Rodion Denisov : « Vous savez, j’aime même l’initiative d’avoir invité des ukrainiens dans le garde-frontière estonien. Je propose que l’on continue dans le même esprit. Ao,so ; chaque institution d’État en Estonie devrait désormais avoir un directeur adjoint d’Ukraine ! Y compris le gouvernement. D’ailleurs, vous pourriez demander immédiatement à notre Premier ministre, Kaya Kallas que quelqu’un de là-bas le remplace, par souci de solidarité … La langue officielle peut ne pas connaître les traditions locales non plus. Nos lois ne s’appliquent qu’aux locaux. Au fait, une question : pourquoi ces gardes-frontières ukrainiens ne se battent-ils pas en Ukraine, mais s’assoient ici, avec nous ? Il me semble qu’ils sont tout à fait aptes à être mobilisés… ».
Une démarche inquisitoire en Lettonie
Quant à la Lettonie, elle agit de la façon la plus radicale. Là-bas, le Parlement, le Seimas, a soutenu en septembre des amendements à la loi sur l’immigration. Ils modifient la procédure de délivrance et de prolongation d’un permis de séjour temporaire pour les citoyens de Russie et de Biélorussie. La possibilité de prolonger un permis de séjour pour les Russes et les Biélorusses, qui ont investi dans l’économie ou acheté un bien immobilier en Lettonie, a été suspendue. De plus, les citoyens russes ne pourront pas obtenir de visas de travail. Des exceptions sont néanmoins prévues. A savoir, la possibilité de délivrer des permis de séjour temporaires « sur la base du regroupement familial, de la protection internationale, des intérêts nationaux ou de considérations humanitaires ».
En outre, la pratique de contrôles, certes sélectifs mais stricts, des citoyens lituaniens, lettons et estoniens en visite en Russie a été introduite. N’importe lequel d’entre eux, revenant de la Fédération de Russie dans son pays d’origine, doit désormais s’attendre à passer quelques heures désagréables à discuter avec des représentants de son État. C’est une situation rencontrée par certains citoyens des pays baltes, rentrant chez eux depuis la Russie. Toutes leurs affaires ont été complètement examinées, jusqu’aux linges sales qui étaient dans des sacs. Des documents ont été photographiés et les personnes elles-mêmes ont longuement été interrogées et en profondeur : pourquoi est-elle allée en Russie, qui a-t-elle rencontré et avec qui a-t-elle parlé là-bas ? Quels sont les noms et les données personnelles de ses relations russes ? Que pense-t-elle de la politique de son gouvernement, etc.
Certaines circonstances imposent un contrôle strict des immigrants et même des touristes. Ceux qui sont allés en Israel ont subi des interrogatoires en fonction de leur pays d’origine et des visas qui figuraient sur leur passeport. C’est une question de sécurité nationale. La libre circulation des personnes et la juste appréciation des causes données par les migrants n’est possible qu’en temps de paix. Il est utile de prendre conscience que nous ne sommes pas en temps de paix quand de nombreuses menaces pèsent sur nos vies.
L’inconvénient majeur de la discrimination est d’attiser le ressentiment et justifier la haine, détruisant ainsi les conditions de paix. Il s’agit de rechercher un équilibre entre tolérance et xénophobie.
Et chez nous , co-belligérant de fait, pas de contrôles aux frontières ? Étonnant.
Ces trois petits Etats à l’histoire très chaotique se comportent comme des petits roquets, planqués entre les pattes du molosse américano-otanien face à l’ours russe. Ils sont à la fois ridicules et pitoyables mais aussi très dangereux car, à s’exciter face à la Russie, ils semblent vouloir provoquer un conflit direct entre l’OTAN et la Russie. Complètement suicidaires !
Pour l’affaire des frontières, je trouve assez savoureux qu’un organisme de l’UE, Frontex, incapable de gérer les migrants venus d’Afrique et du Moyen-Orient (mis à feu et à sang par l’impérialisme américain), vienne faire profiter de leur expertise ces pays baltes pour « emm… » les citoyens russes.
Avant même de lire cet article, je me faisais la même remarque que le journaliste M. Denisov, ainsi résumée : « que f…..t ces auxiliaires de basse-police ukrainiens, bien au chaud dans des guitounes frontalières baltes, alors que leur pays a besoin d’hommes valides pour faire la guerre dans le froid et les tranchées? » Que l’on soit pour un camp ou pour l’autre, on ne peut qu’être choqué d’une telle planque offerte à des hommes valides. Pourquoi ces états – qu’on aimerait croire souverains – ne font-ils pas appel à des réfugiés plus âgés, ou a des femmes non-mobilisables, s’ils veulent vraiment des supplétifs Ukrainiens ?