Scholz créera-t-il le Quatrième Reich, par Guevorg Mirzayan

Scholz créera-t-il le Quatrième Reich, par Guevorg Mirzayan


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L'Allemagne se débarrasse des dernières entraves morales et éthiques qui lui ont été imposées après la Seconde Guerre mondiale. Elle passe du statut d'Etat « éternellement pénitent » à ce qu'elle fut pendant 75 ans (de la création du IIe Reich à la chute du IIIe) : l'une des principales forces militaro-politiques en Europe. Et c’est bien dans cette direction qu’elle veut aller.

Cet article daté du 12.12.2022  et rédigé par Guevorg Mirzayan est initialement paru sur  vz.ru. Il n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier des Stratèges.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a clairement formulé et argumenté cette idée dans son récent article, publié dans les pages du magazine faisant autorité, Foreign Affairs. Habituellement, ce genre de prises de position de dirigeants occidentaux dans des publications occidentales est bercé d’idéologie et de pensées manichéennes : pour résumer, « tous les bons contre tous les mauvais ». Cependant, le texte de Scholz fait exception : il est assez simple et direct. Ainsi, le chancelier commence par dire que dans un monde où la « Zeitenwende » (c’est-à-dire le tournant historique) a lieu et où « différents pays et modèles de gouvernement se disputent le pouvoir et l’influence », l’Allemagne est le bastion le plus important de l’ordre et du droit international ! Dès lors, « les Allemands entendent devenir les garants de la sécurité européenne : c’est ce que nos alliés attendent de nous » », écrit Scholz. Il poursuit ainsi : nous sommes « Les bâtisseurs de ponts (c’est-à-dire ceux qui cherchent et trouvent des compromis, rassemblent les participants – ndlr) au sein de l’Union européenne et plaident pour des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux ». Et il conclut que « c’est la seule option pour l’Allemagne de surmonter avec succès les failles géopolitiques de notre époque ».

L’Allemagne face à la « terrible menace » qui émane de la Russie

Il y a beaucoup de parties sémantiques importantes dans le texte. Il y a aussi une partie consacrée à la « terrible menace » émanant de la Russie. « Lorsque Poutine a ordonné l’offensive, il a détruit l’architecture européenne et internationale du monde, qui a mis des décennies à se construire », écrit Scholz. Et il précise que l’Allemagne dirigera l’Europe dans la confrontation militaro-politique face à cette menace.

Sur ce point, Herr Scholz est l’héritier direct d’Angela Merkel. Rappelons qu’en 2014, la chancelière de l’époque avait inventé un excellent moyen d’augmenter considérablement l’influence politique de l’Allemagne en Europe, au détriment de la Russie : elle avait décidé simplement de diriger le camp antirusse. Et si avant cela, les Européens avaient peur du pouvoir politique croissant de Berlin de toutes les manières possibles (conscients de ce à quoi ce pouvoir avait conduit au XXe siècle), alors, après le début du conflit russo-ukrainien, ils ont exigé que l’Allemagne « jouer son rôle » dans l’endiguement de la Russie.

Le loup est venu parmi les « moutons européens »

Il s’agissait alors du rôle politique, du leadership. Mais maintenant, après le début du NWO, les exigences sont liées au rôle militaro-politique. Et Scholz, en bon chancelier, répond à cette demande des « moutons européens » concernant l’irruption d’un loup dans le troupeau. « Le rôle crucial pour l’Allemagne à l’heure actuelle est de devenir l’un des principaux fournisseurs de sécurité en Europe en investissant dans nos forces armées, en renforçant l’industrie de défense européenne, en renforçant notre présence militaire sur le flanc oriental de l’OTAN et en entraînant et équipant les forces armées ukrainiennes », explique le chancelier. En fait, l’Allemagne s’est déjà entendue avec les Polonais sur le déploiement de systèmes de défense aérienne allemands « Patriot » sur le territoire polonais. Il est possible que dans un proche avenir, ils soient complétés par des brigades de la Bundeswehr.

De plus, dans le cadre de la « guerre muette », l’Allemagne entend renforcer sa position de leader au sein de l’Union européenne. Et pas seulement en raison de son implication dans les Balkans occidentaux (pays de la sphère d’influence de l’Allemagne). Berlin est favorable au changement du processus décisionnel, en passant du principe du consensus au principe de la majorité : c’est-à-dire l’abolition du droit de la Pologne, de la Hongrie ou de tout autre pays de bloquer les décisions du Union européenne. Scholz qualifie ce principe d’« égoïste » et assure que, sans son abolition, l’Union européenne n’aura aucune réactivité. « Alors que l’UE s’élargit et devient un acteur géopolitique, une prise de décision rapide sera la clé du succès », écrit-il. Naturellement, sans mentionner que c’est le droit de veto exercé par la Hongrie qui a sauvé l’Union européenne de l’adoption de sanctions suicidaires au gaz contre la Russie.

Enfin, Scholz essaie d’indiquer que ces grands projets de puissance de l’Allemagne ne contredisent en aucune façon les intérêts des maîtres de l’Europe, c’est-à-dire les États-Unis. « Le partenariat transatlantique a été et reste vital pour relever ces défis … Mais un partenariat transatlantique équilibré et durable exige également que l’Allemagne et l’Europe jouent un rôle actif », assure le chancelier.

Ainsi, il résout deux problèmes. Premièrement, il positionne l’Allemagne comme le bas séculier de l’Amérique, et non comme un rebelle contre la domination américaine dans le Vieux Monde. Deuxièmement, il neutralise les craintes de certains États que l’exclusion des États-Unis de l’UE et le remplacement de l’Amérique par l’Allemagne ne conduisent à l’élimination du seul contrepoids à la puissance allemande (il n’y a plus d’espoir pour la France, et la Grande-Bretagne a quitté l’UE).

En même temps, Scholz est bien conscient que l’affaiblissement des positions américaines en Europe est un processus inévitable. Cela va de soi et c’est principalement lié aux processus politiques internes en Amérique. La croissance de l’isolationnisme, le conflit au sein des élites du parti, la fatigue de la population appauvrie face au fardeau des dépenses internationales, etc. Alors pourquoi ne pas prêter maintenant une épaule aux Américains, afin qu’ils bénissent l’Allemagne pour son leadership, et ce d’autant plus puis que les Etats-Unis s’écartent eux-mêmes de cette épaule ?

Berlin pourra-t-il réaliser cette ambition ?

La principale question est de savoir ce qui se passera après le « crawl » américain. Les ambitions allemandes sont grandes. Mais Berlin pourra-t-il les réaliser ? Apparemment non. Et les raisons d’un tel scepticisme sont multiples.

L’un d’eux est la qualité de l’élite allemande. Comme leurs homologues des gouvernements d’autres pays de l’UE, les Allemands ont oublié comment diriger leur pays par eux-mêmes. Comme les enfants de moins de 40 ans vivant sous la garde de leurs parents, ils sont habitués à ce que les États-Unis les gouvernent, résolvent tous les problèmes, assument les principales préoccupations de protection militaire et d’évolution des positions. Oui, à un moment donné, le désir de « liberté » se réveille chez les enfants, et ils commencent à se rebeller, à exiger l’indépendance. Cependant, au moment où ils commencent à ressentir le froid glacial de la responsabilité qui s’ajoute à l’indépendance, les enfants prennent du recul dans la zone de confort. C’est exactement cela, en particulier, qui s’est produit sous Donald Trump, lorsque les Allemands se sont vu proposer de reprendre le flambeau du leader du monde libéral rejeté par le propriétaire de la Maison Blanche. Et ils ont eu peur et ont préféré attendre Biden.

La deuxième raison est l’état de l’économie allemande. On supposait qu’il s’agissait du principal avantage concurrentiel de l’Allemagne dans la lutte pour le leadership militaire et politique. Cependant, les autorités allemandes ont tout fait pour neutraliser cet avantage. En particulier, ils ont abandonné les sources d’énergie russes bon marché, à la suite desquelles les entreprises allemandes vont faire faillite ou vont se déplacer vers d’autres pays (en particulier aux États-Unis).

Toutefois, la principale raison du scepticisme reste les processus politiques internes en Allemagne. Le refus des élites actuelles de suivre les intérêts nationaux, la crise économique, les mensonges totaux dans les médias (par exemple, les tentatives de blâmer Poutine pour la détérioration de la qualité de vie des Allemands) conduisent à une augmentation de la popularité des forces d’extrême droite. En particulier, depuis l’été, la cote nationale des « Alternatives pour l’Allemagne » a augmenté de près d’une fois et demie. Et les autorités répondent à cette augmentation, non pas par un changement de politique, mais par une « chasse aux sorcières » : l’arrestation de l’ancien groupe radical « Citoyens du Reich », imbibé d’agents des services spéciaux, sous la sauce d’une prétendue tentative d’organisation d’un coup d’État. Ainsi, Berlin essaie d’écraser les mouvements de droite, mais à la suite de ces tentatives, il obtiendra encore plus de radicalisation de la droite, avec sa transformation en parti de véritables néo-nazis.

Pendant ce temps, les voisins de l’Allemagne voient parfaitement tous ces processus et les comprennent. Peut-être ne seraient-ils pas contre la création du « Quatrième Reich » sous le règne de la RFA, mais ils ne sont absolument pas satisfaits d’assister à la réincarnation du Troisième.


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