Les points communs historiques céderont la place à l'intérêt économique. La Russie va changer le format des relations avec les anciennes républiques soviétiques. Comme l’indiquent des politologues, commentant les résultats de la participation du président russe, Vladimir Poutine, à la réunion du Conseil économique suprême eurasien (sommet de l'UEE) à Bichkek le 9 décembre dernier, ces relations ne seront plus basées sur des liens historiques, mais avant tout sur des avantages économiques. La présidence russe de l'organisation en 2023 permettra d'intensifier les processus d'intégration et de surmonter conjointement les risques de sanctions occidentales.
Cet article publié en russe par le site ura.news n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
Le dirigeant russe était le dernier des chefs des États membres de l’UEE (par ordre alphabétique) à s’exprimer et il a eu l’occasion de résumer le travail de l’union effectuée cette année.
Selon le président Poutine, les Etats membres ont conjointement réussi à stimuler la croissance d’un certain nombre de secteurs de l’économie. De plus, les indicateurs des pays de l’UEE diffèrent, à certains égards de manière significative, de ceux des États de l’UE. Par exemple, le taux de chômage a baissé de 18 % et est légèrement supérieur à 1% dans l’UEE alors qu’il est à 7 % dans l’UE. Poutine a également déclaré qu’il y avait une augmentation notable de la production agricole et des travaux de construction, ainsi que des investissements. L’inflation est « maîtrisée dans des limites raisonnables » alors que dans certains pays de la zone euro, elle dépasse les 20 %. Les faibles tarifs énergétiques permettent aux pays de l’UEE de se développer : dans certains cas, les prix de l’énergie dans l’UE, a déclaré Poutine, sont 10 fois plus élevés ou plus.
Le président de la Fédération de Russie a ensuite rassuré ses collègues : aucune récession économique de 20 % en Russie, telle qu’elle avait été prévue avec le début de l’application des sanctions, ne s’est produite. À la fin de l’année, elle sera d’environ 3 %. Le budget de cette année sera déficitaire, mais pas de façon critique pour une économie aussi importante que celle de la Russie. Selon Poutine, en 2023, le déficit sera à nouveau d’environ 2 %, et en 2024, il est prévu à environ 1,4 %. Pour 2025, les estimations sont encore plus basses, avec environ 0,7 %.
Le Kirghizistan cède la présidence de l’UEE à la Russie en 2023
En 2023, la Russie deviendra le président de l’UEE et Poutine a annoncé aujourd’hui un plan pour le développement de l’intégration. Tout d’abord, a-t-il noté, « il est nécessaire d’actualiser les orientations stratégiques pour le développement de l’intégration économique ». Le document de planification actuel étant conçu jusqu’en 2025, la Fédération de Russie propose de commencer à élaborer une nouvelle stratégie.
Poutine a donné des précisions sur ce point : « Nous envisageons de renforcer la souveraineté technologique des États, de créer une base industrielle commune dans les industries clés. Il convient de poursuivre les efforts d’introduction conjointe des technologies numériques, y compris dans le domaine du marquage et du suivi des marchandises. Nous considérons qu’il est important de se concentrer sur le renforcement de la coopération en matière d’investissement et la création de conditions favorables pour les investisseurs ».
Le président russe a ajouté que la Russie soutiendra le développement de liens d’intégration avec d’autres associations,
Le Plan de la Russie pour développer l’intégration des Etats-membres de l’UEE
En mai dernier, Poutine, lors de la précédente réunion du Conseil économique suprême eurasien, avait qualifié d’« élément clef » le développement des liens au sein de l’UEE.
Vadim Evseev, professeur à l’Institut de la fonction publique et de la gestion du RANEPA, explique que désormais la Russie vise l’intégration dans un nouveau format, qui consiste en un rapprochement, non pas sur des principes historiques (histoire commune), mais sur des principes économiques et juridiques. L’expert considère que « La Russie passe d’une composante émotionnelle, dans l’interaction avec ses anciens voisins de l’URSS, à une composante rationnelle et constructive dans le domaine juridique, économique et financier, ainsi qu’à l’harmonisation et à la convergence des positions. Et une attention particulière sera accordée aux questions de sécurité nationale communes à tous, car il s’agit d’un point de vulnérabilité grave pour tout le monde ».
Pour la politologue Natalya Yemelyanova – Vice-recteur pour la Politique Stratégique de Communication et d’Information du GAUGN – la Russie tentera d’utiliser sa présidence au sein de l’UEE pour approfondir autant que possible l’intégration eurasienne et réinitialiser les activités de l’union afin de « former un programme eurasien indépendant en tant qu’élément essentiel du développement mondial. Même avant les défis auxquels la Russie a été confrontée l’année dernière, on parlait beaucoup de la nécessité d’amener l’UEE à un nouveau niveau d’interaction. Dans la situation actuelle, le redémarrage des activités existantes devrait également être déterminé par une expansion significative des liens sociaux et humanitaires, car cela permettra aux membres de l’UEE de passer de la pragmatique situationnelle à la formation de leur propre agenda d’importance internationale ».
Andrey Kortunov – directeur général du Conseil russe des affaires internationales (RIAC) – est convaincu que durant sa présidence au sein de l’UEE, la Russie fera tout pour minimiser l’impact de la situation géopolitique et géo-économique sur la coopération des pays de l’union : « Certains pays de l’UEE sont en fait contraints de suivre les sanctions occidentales contre la Fédération de Russie, ils prennent des mesures restrictives afin de ne pas devenir eux-mêmes l’objet de sanctions et de ne pas devenir l’objet de sanctions secondaires ». Kortunov estime également que « la Russie proposera aux partenaires de trouver des algorithmes qui leur permettraient, sans sacrifier leurs intérêts, non seulement de maintenir, mais aussi d’accroître la coopération avec Moscou ».
Artur Suleymanov – analyste expert au Berlek-Unity Center for Geopolitical Studies, et chef adjoint du département des relations internationales Relations, histoire et études orientales de l’USPTU – les États des « cinq eurasiens » développent une compréhension commune selon laquelle une intégration plus étroite réduira considérablement la dépendance à l’égard de la situation politique extérieure : «Cela s’exprime non seulement dans l’adoption par les pays de l’UEE de mesures anti-crise pour minimiser les conséquences des sanctions, mais aussi dans la recherche des avantages d’un parcours d’intégration dans le contexte de relations internationales turbulentes. En termes économiques, une nouvelle réalité émerge progressivement, dans laquelle la pression des sanctions externes ne fait que pousser à des mesures plus actives au sein de l’Union. Il s’agit de la pratique des règlements en monnaies nationales, de la création d’institutions financières eurasiennes et outils, coopération industrielle, investissement, commerce ».