L'Union européenne est soudainement entrée en conflit avec le Qatar, le pays même dont le gaz devrait remplacer le carburant russe pour l'Europe. Quel est le contexte de ce scandale, quelles actions le Qatar peut-il entreprendre contre l'Europe et comment cela peut-il aider la Russie ?
Cet article est paru sur https://vz.ru/world/2022/12/21/1191939.htm le 21 décembre 2022. Les points de vue développés n’engagent pas la rédaction du Courrier des Stratèges.
Les politiciens européens devraient regarder plus souvent de vieux films sur les règles de base de la diplomatie. Par exemple, le tableau légendaire « Le Parrain », où Don Corleone vilipende le croque-mort qui est venu lui demander de l’aide à une heure de grand besoin. « Je ne me souviens pas de la dernière fois où vous m’avez invité chez vous pour prendre une tasse de café, bien que ma femme soit la marraine de votre enfant unique. Soyons honnêtes maintenant : vous n’avez jamais cherché mon amitié et vous avez peur d’être redevable ». Et il prononce alors une phrase qui s’est ensuite propagée dans de nombreux mèmes[1] : « Vous le demandez, mais vous le demandez sans respect, sans offrir votre amitié ». Peut-être que si les politiciens européens avaient même vu ces mènes, ils auraient conçu leur communication avec le Qatar différemment. Et ils n’organiseraient aucun « Qatargate ».
Le scandale du « Qatargate » frappe les institutions européennes
Ce mot est désormais qualifié de « grandiose scandale » au Parlement européen. Il a commencé le 9 décembre avec des perquisitions massives du bâtiment du Parlement européen et l’arrestation subséquente de six députés, dont la vice-présidente socialiste, Eva Kylie. Des valises d’argent, que ces protagonistes avaient reçu en pots-de-vin de pays tiers » leur ont été littéralement confisquées ainsi qu’à leurs proches. Et dans la liste de ces pays, le Qatar est nommé en premier lieu. Ce pays aurait payé Kylie pour faire la louange de l’émirat depuis la tribune du Parlement européen à la veille de la Coupe du monde, en particulier pour sa « transformation historique » et « la protection des droits du travail des travailleurs étrangers ». Or, il existait alors des rumeurs sur les conditions inhumaines dans lesquelles ces travailleurs migrants avaient travaillé pendant la construction des installations du championnat.
Le Qatar en mal de reconnaissance
Elena Suponina, experte RIAC, politologue, a expliqué au journal VZGLYAD que « Les autorités qataries sont jalouses de la réputation de leur pays. Lorsque, à la veille de la Coupe du monde, des articles ont paru selon lesquels des travailleurs étrangers, employés dans la construction d’installations sportives, décédaient dans l’émirat à cause de la chaleur et des mauvaises conditions, les autorités du pays ont immédiatement commencé à rechercher les failles du système et à les éliminer. J’étais au Qatar à ce moment-là et j’ai vu avec quel sérieux cela était fait. Les lacunes ont en effet été corrigées, de nouveaux bâtiments résidentiels pour les ouvriers et les constructeurs ont été construits, les systèmes de climatisation ont été améliorés et, surtout, il a été interdit de travailler pendant la journée, de la fin du printemps au début de l’automne car il fait très chaud en Qatar, et il est tout simplement impossible de travailler dans des espaces ouverts ».
Cependant, tout le monde a compris que peu de gens s’intéressaient à la situation particulière des travailleurs invités par les « Qataris ». Aussi, le scandale n’a-t-il été promu que pour des raisons politiques : l’Europe a tenté de faire pression sur l’émirat, essayant de négocier des conditions favorables pour le commerce du gaz. En fait, la pression continue même encore aujourd’hui … Par exemple, dans le domaine de l’écologie. Ainsi, un long article est paru dans le très britannique The Guardian, qui raconte les énormes dommages causés à l’environnement par l’augmentation de la production de gaz qatari. Apparemment, parce que ce gaz va dans les « mauvais pays non démocratiques » d’Asie. Aussi, selon certains experts, les autorités de l’émirat ont-elles décidé d’investir dans le lobbying.
Ne lâche pas
Il ne sera pas possible d’étouffer le scandale du « Qatargate » et les dirigeants européens eux-mêmes ne s’y intéressent pas. Parmi ceux-ci, domine l’opinion que l’Europe devrait lutter avec force contre la corruption dans les rangs des députés, afin de « restaurer la confiance dans les institutions européennes » et empêcher ainsi la victoire aux élections de 2024 des forces qui s’opposent au courant dominant européen. Le porte-parole de ces « forces », c’est le Premier ministre hongrois Viktor Orban qui a écrit que « tout le monde savait que Bruxelles était atteinte de corruption, mais, maintenant, l’heure est venue de faire intervenir la police et d’assécher le marais bruxellois ».
Donc, pour faire simple, le Qatar sera « fouetté » avec force. En fait, les représentants du Qatar ont déjà reçu le « fouet » : ils ont été interdits officiellement d’entrer dans le bâtiment du Parlement européen. La bureaucratie bruxelloise place ses propres intérêts au-dessus des intérêts nationaux des États membres de l’UE. Elle punira donc le Qatar même si l’Europe a besoin de bonnes relations avec l’émirat.
Ce scandale survient à un moment des plus inopportuns pour les pays européens pauvres en gaz, l’Allemagne en particulier, écrit Politico. Ayant abandonné les hydrocarbures russes (ou essayant de le faire), l’Europe cherche désespérément des fournisseurs alternatifs de carburant bleu. Et la seule alternative aujourd’hui est l’approvisionnement coûteux en gaz naturel liquéfié (GNL), dont l’un des principaux fournisseurs est le Qatar. Politico indique que « « selon la Commission européenne, le Qatar ne représentait que 5 % des importations européennes de gaz cette année. Cependant, l’importance du Qatar dans la sécurité énergétique européenne augmentera en raison de la méga-expansion des capacités de production de GNL de l’émirat. En 2026 et 2027, il réalisera deux projets majeurs dans ce domaine ».
C’est d’ailleurs à partir de l’un de ces projets, notamment, que devraient débuter les exportations de gaz vers l’Allemagne. Rappelons que début décembre, les Allemands (ou plutôt les Américains de Conoco Phillips, agissant dans l’intérêt de l’Allemagne) ont fièrement signé un contrat à long terme (15 ans) de fourniture de gaz avec le Qatar. On ne parle toutefois que de 2 millions de tonnes de GNL, soit, si on recalcule en mètres cubes après regazéification, 2,7 milliards de mètres cubes. Cela ne représente que 3 % de la demande annuelle totale de gaz en Allemagne. Cependant, il n’y a toujours pas d’autres alternatives. Les Allemands s’accrochent à cette source d’approvisionnement, et ne vont pas y renoncer malgré le scandale de la corruption. Le ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck a déclaré que « le commerce avec d’autres pays doit toujours tenir compte de l’aspect moral de la relation que vous entretenez. En même temps, il faut assurer la sécurité des approvisionnements en gaz, et actuellement, l’Europe ou l’Allemagne sont intéressées à remplacer les volumes que nous recevons de Russie ».
Mais comment le Qatar va-t-il se comporter maintenant ?
Pour répondre à cette interrogation, il faut comprendre les spécificités de l’Est. L’émir du Qatar, Tamim al-Thani – comme son père Hamad – tient à sa propre réputation. Les tentatives d’autres dirigeants d’offenser d’une manière ou d’une autre l’émir du Qatar ont entraîné des conséquences graves, parfois même fatales pour ces personnalités. L’on peut citer l’ex-dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, qui avait un jour comparé l’émir Hamad diabétique à un tonneau ; ou encore l’ex-président égyptien, Hosni Moubarak, qui avait dit que toute la population du Qatar trouverait sa place dans l’hôtel Hilton du Caire …
Les priorités en termes de relation entre l’UE et le Qatar demeureront
En ce qui concerne les pays d’Europe, bien sûr, personne ne peut organiser de coups d’État. Cependant, à Doha, ils ont clairement indiqué que la grossièreté européenne pourrait affecter la coopération énergétique. Le ministère qatari des Affaires étrangères a ainsi déclaré que « la décision d’introduire une telle restriction discriminatoire – c’est-à-dire l’interdiction aux représentants qatariens de visiter le bâtiment du Parlement européen, ce qui limite le dialogue et la coopération concernant le Qatar jusqu’à la fin du procès – affectera négativement la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que les discussions en cours sur la pauvreté et la sécurité énergétiques mondiales ».
La question est de savoir dans quelle mesure le Qatar veut et peut vraiment punir l’Union européenne avec du gaz, et ira-t-il au-delà des menaces ? Les experts s’interrogent. Elena Suponina, déjà cité, considère que « le scandale actuel avec les Européens dans le milieu politique, universitaire et journalistique est perçu comme des intrigues d’ennemis. Ils disent que le Qatar n’a pas cédé à un certain nombre de demandes liées aux minorités sexuelles et à la consommation d’alcool. D’où la réaction « malveillante » qui est intervenue. Cependant, l’Europe a besoin de préserver ses relations avec le Qatar et, par conséquent tout cela est abordé assez calmement. Le Qatar va donc entretenir et développer des relations avec l’UE et il espère que les Européens en feront de même ».
Répondant au journal VZGLYAD, Igor Yushkov – maître de conférences à l’Université financière, expert au Fonds national de sécurité énergétique, partage ce point de vue : « Le Qatar ne risque pas d’aggraver la situation et ne refusera pas de vendre du gaz à l’Europe. La direction de l’émirat, déjà après le début de la Coupe du monde, avait déclaré que le pays vendrait du gaz à n’importe qui, quelles que soient les opinions politiques des acheteurs. La direction de l’Emirat ne mélange pas la politique et les affaires. A moins que l’Europe ne fustige davantage le Qatar ». Selon Iouchkov, il y a aussi des difficultés techniques à punir l’UE : « Il est difficile pour le Qatar de manipuler les volumes de gaz, car les actionnaires des projets gaziers de l’émirat sont des sociétés internationales qui, en fait, sont engagées dans l’exportation. Doha ne peut interdire les exportations de gaz vers l’UE qu’au niveau des États, mais une telle mesure se heurterait à de graves problèmes économiques pour l’émirat ».
De toute façon, le Qatar ne sera toujours pas en mesure de remplacer le gaz russe en Europe
Cependant, il n’est pas nécessaire de punir par l’action : il suffit de punir par l’inaction. Par exemple, en réorientant la vente de gaz à des pays de l’Est, fiables et solvables au lieu d’aller vers l’Europe, sans recourir pour autant à une mesure discourtoise de plafonnement des prix du gaz aux pays de l’Ouest. « J’ai parlé avec des représentants de haut rang de l’industrie pétrolière et gazière qatarie et je peux dire que le Qatar ne sera toujours pas en mesure de remplacer le gaz russe en Europe, du moins dans les volumes sur lesquels les Européens comptent. L’émirat a signé des accords gaziers à long terme avec des pays asiatiques, et il ne sera pas possible de rediriger ces flux vers l’Europe. Donc pour le Qatar, la priorité n’est pas l’Europe, mais l’Asie, et principalement la Chine », explique Elena Suponina. L’Europe fait maintenant tout son possible pour préserver ses relations d’approvisionnement avec le Qatar, en lui demandant, sans respect néanmoins, qu’il change ses priorités.
Moscou, dans cette situation, n’a qu’à applaudir les bureaucrates européens et à poursuivre sa politique actuelle : continuer de parler respectueusement aux Arabes, agiter « des carottes » à gaz devant les Européens, et d’attendre que l’Europe elle-même comprenne que sans le gaz russe, le Vieux Monde est voué à la désindustrialisation.
Mais pour obtenir cette carotte, l’Europe devra le demander très respectueusement à la Russie …
[1] Concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné, sur internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite et fait le buzz.
Seul et unique intérêt de l’article est que l’on apprend que Khadafi se moquait du Prince, ajoutant le mobil de la vengeance à la décision de le dégager par la force, corroborant complètement l’histoire de Denis Robert avec Blast, la justice française ayant déboutée Sarkozy et BHL, dc, s’il y avait une justice en France, elle devrait le mettre en examen, m’enfin notre justice…
Le Qatargate est juste un contre-feu pour les dizaines milliards détournés par Ursula et Bourla.
En effet…
Le sage montre la lune, le crétin regarde le doigt.
Il est clair que l’Europe continue à s’enfoncer et enfoncer ses peuples !
A quel moment les citoyens Français, Allemands Italiens, espagnols …. vont ils se rendre compte qu’ils sont gouvernés par au mieux des incompétents, au pire des gangsters !!!
Quand on voit les magouilles qui portent sur des Milliards d’euro avec Pfizer et consort. Quand on voit les magouilles de von der layen, de son mari et de toute sa clique. … Quand on voit les gesticulations et les élucubrations de notre Macron.
Quand on voit que l’on soutient aveuglément l’Ukraine d’un Zelenski archi corrompu et des commandos AZOV qui sont des pro nazis !
Chaque nouvelle annonce de l’Europe est une démonstration de leur connerie !
Tout ça est à pleurer !
à l abbatoire les vaches se rendent bien compte où elles vont mais elles n ont pas le moyen d y échapper
L’enquête du juge Claisse aurait débuté suite à une surveillance de la Sûreté belge. Celle-ci aurait été tuyautée par les Américains. Le résultat est qu’on se fâche avec le Qatar, et que l’on risque de dépendre encore plus du gaz US dont les prix vont encore plus exploser….
Gaz US dont les quantités sont aussi insuffisantes… mais l’UE vaut bien que les Américains fassent le maximum, n’est-ce pas?
Il est clair que la révélation de cette affaire à la justice belge n’a pas été initiée par les “politiciens européens” comme le prétend l’article, mais plus vraisemblablement par une agence de renseignement états-unienne. Et il est heureux qu’une justice nationale puisse encore investiguer dans une relative indépendance du politique.
La responsabilité des politiques européens – et des chefs d’état complices – est de nous avoir engagé dans cette impasse énergétique, pour des raisons faussement morales, en dépit de tout pragmatisme.