Avec la mobilisation contre les retraites, le statut de la SNCF, et surtout le statut de ses personnels, deviennent une sujet central. Pour l’instant, en effet, aucune véritable limitation ne borne le droit de grève dans cette entreprise publique chargée d’une mission de service public. Mais, comme l’a souligné la députée Aurore Bergé, le droit de grève n’est pas un droit de blocage : formulation polémique qui a le mérite de mettre en relief cette anomalie où les droits syndicaux à la SNCF ne tiennent aucun compte, à la différence de ce qui existe dans les hôpitaux, des sujétions propres à la continuité du service public. Clémentine Autain, qui parlait hier dans un tweet largement moqué, de la “privatisation de la SNCF”, n’illustrait pas seulement son incompétence : elle soulignait aussi (à son issu, peut-être, mais avec raison) que le statut des personnels de la SNCF est beaucoup plus proche de celui d’une entreprise privée que d’une entreprise publique. C’est le statut global de personnels de la SNCF qui doit probablement être déclaré inconstitutionnel et revu depuis son fondement.
Train à quai depuis un bon moment, et cette voix qui annonce un retard de… 2 heures !
Depuis la privatisation #SNCF, on sait quand on part, jamais quand on arrive.
Depuis l’Angleterre de Thatcher, on sait comment ça finit : par une renationalisation.
Tout ça pour ça… pic.twitter.com/BOVzUqaVKp
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) January 15, 2023
Il faut d’abord souligner l’anomalie que constitue le statut des personnels de la SNCF au regard de la mission de service public dont, sur le papier, ils sont chargés. Cette anomalie peut se caractériser en trois points majeurs.
Une opacité inconstitutionnelle du statut
Premier point : le statut des agents de la SNCF fait l’objet d’une véritable opacité et son fort émiettement laisse perplexe sur la capacité de ce grand désordre impénétrable à répondre aux exigences d’une mission de service public. Dans la pratique, la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire n’a pas fixé le nouveau statut des agents.
L’article 1 de cette loi prévoit que la SNCF emploie “des salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État et des salariés sous le régime des conventions collectives.”. Le même article prévoit que les accords antérieurs signés dans les filiales restent d’application. Autrement dit, le statut des agents de la SNCF est un patchwork, certains relevant d’un décret, d’autres de conventions collectives héritées du passé.
On précisera ici que la convention collective du 31 mai 2016 ne précise nullement que les personnels sont chargés d’une mission de service public. L’ancien statut des agents de la SNCF ne le prévoyait pas plus. En outre, il existe aujourd’hui une véritable opacité, pour le public, sur les dispositions applicables à chaque agent, puisqu’il est impossible de savoir sous quel statut ces agents sont recrutés.
Concrètement, cette opacité rend la loi inintelligible et s’oppose à une application efficace de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui autorise chaque citoyen à contrôler utilement son administration.
Une absence évidente d’obligation de service public
Or, être chargé d’une mission de service public est forcément créateur de fortes obligations pour le personnel, tout particulièrement en matière de respect de la neutralité de l’Etat, principe général du droit fondateur. On ne peut pas être chargé d’une mission de service public et se comporter de la même façon que dans une entreprise privée.
Ce point, dans l’esprit de beaucoup, concerne forcément l’exercice du droit de grève. De fait, dans le service public hospitalier, par exemple, la jurisprudence a reconnu le droit pour un directeur d’hôpital d’apporter des restrictions pour garantir la continuité du service. Il paraît assez logique que, pour le service public ferroviaire, des sujétions particulières soient imposées… la convention collective reste muette sur le sujet.
Mais ne limitons pas la sujétion de service public au seul droit de grève. La qualité du service rendu au public, dans toutes ses composantes, y compris l’obligation de réserve, qui ne figure pas dans le statut des cheminots, est un sujet essentiel. L’abondante jurisprudence du défenseur des droits sur les abus de pouvoir des agents de la SNCF illustre bien l’insuffisant encadrement des personnels, aujourd’hui, par des obligations statutaires propres aux personnels chargés d’une mission de service public.
Dans la pratique, les agents SNCF ont tous les avantages de la mission de service public (les droits, les protections,…) sans aucune des obligations telles qu’elles furent par exemple fixées par la loi du 13 juillet 1983 sur le statut des fonctionnaires. Cette absence suffit, de mon point de vue, à conclure que les personnels de la SNCF ne sont en réalité pas chargés d’une mission de service public.
La mission de service public ne se présume pas
Sur le fond, il faut bien remarquer qu’aucun texte statutaire n’indique que le personnel de l’entreprise est chargé d’une mission de service public. Le pacte ferroviaire lui-même est ambigu sur cette question. Son article 1 indique que la SNCF est partiellement chargée d’une mission de service public, et partiellement seulement :
« La société nationale à capitaux publics SNCF et ses filiales constituent un groupe public unifié qui remplit des missions de service public dans le domaine du transport ferroviaire et de la mobilité et exerce des activités de logistique et de transport ferroviaire de marchandises, dans un objectif de développement durable, de lutte contre le réchauffement climatique, d’aménagement du territoire et d’efficacité économique et sociale. La société nationale SNCF peut également exercer, directement ou à travers ses filiales, d’autres activités prévues par ses statuts.
Article 1 de la loi du 27 juin 2018
La pratique juridique actuelle consiste à présumer que les agents de la SNCF sont, de ce fait, chargés d’une mission de service public. Ce que je conteste ici, c’est le principe même de la présomption de service public. S’il est incontestable que, jusque dans les années récentes, la jurisprudence Affortit et Vingtain (4 juin 1954) du Conseil d’Etat a permis ce type de présomption, le flou introduit par l’évolution de la notion même de service public a obligé à une rédéfinition critérisée de cette notion qui soulève un véritable problème pour les personnels de la SNCF.
La jurisprudence du Conseil d’Etat et la SNCF
Après les évolutions protéiformes du service public due au New Public Management et à ses conséquences pour l’action de l’Etat, le Conseil d’Etat a repris en main la question de la mission de service public, en adoptant une jurisprudence qui dote celle-ci de critères beaucoup plus précis. Il s’agit de l’arrêt APREI du 22 février 2007, qui indique ceci :
‘indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints
Arrêt APREI du 22 février 2007
Cette jurisprudence qualifie parfaitement la situation des agents de la SNCF. La loi est restée muette sur leurs prérogatives de service public et, dans le silence de la loi, le statut des agents s’évalue selon une série de critères, dont les “obligations (…) imposées”.
Il apparaît clairement que, faute d’obligations de service public, les agents de l’entreprise publique ne peuvent être considérés comme chargés d’une mission de service public.
Conséquences constitutionnelles de cette reconnaissance
Il existe deux conséquences majeures à cette situation de fait où l’entreprise publique SNCF n’a pas clairement chargé ses agents d’une mission de service public. L’inaction de la SNCF interdit la reconnaissance de toute prérogative propre à la charge d’une mission de service public. Toute action intentée en vertu de ces prérogatives permet donc d’exciper de leur illégalité devant le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation… Sur le choix entre les deux, il y a là encore une ambiguïté que le tribunal des conflits a maintenue dans sa décision du 14 mars 2022.
Dans la pratique, il est très probable que le contentieux sur le statut des agents de la SNCF relève du tribunal judiciaire, mais cela reste à apprécier au cas par cas.
Deuxième conséquence : par son manque d’intelligibilité, la loi du 27 juin 2018 est inconstitutionnelle. Il lui appartenait de définir clairement quels personnels de la SNCF étaient chargés d’une mission de service public, et dans quelles conditions ils l’étaient. Par son inaction, le législateur a enfreint la Constitution.
Voilà qui ouvre des perspectives que certains jugeront salutaires pour imposer les obligations de service public dont les cheminots ont besoin pour accomplir leur mission, y compris par temps de grève.
Perso — que Dieu me garde — je ne prends jamais le train. Ou alors je fraude si j’y suis forcé. Bien sûr je paye quand même pour que les petits bourgeois socialo voyagent entre Paris et leurs métropoles préférées. C’est comme ça. Par contre les socialo tueront La Poste parce qu’elle ne leur sert pas.
Recommandé aux amoureux du train la chaîne d’Adam Wadecki, Rare Classic Cars (full size only)
Dernier opus: https://youtu.be/FxgmqRpWewk
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vivement l’ouverture à la concurrence, (puis la vente à la découpe de la SNCF à ses concurrents).
A condition que la lutte contre le réchauffement climatique ne passe pas avant ” l’efficacité économique et sociale” !
le système de santé et le personnel de santé n’ont rien à voir avec la mission de service public dans les transports.
Notre mission de service public répond aux risques de la mise en danger d’autrui par rupture de la continuité des soins.
Je vous invite vivement à examiner l’état du système de santé, détruit entr’autre par ces politiques qui n’ont pas la même considération de cette mission, qui s’en dédouanent même et qui ont en face d’eux des soignants “bâillonnés” et ” ligotés” de par ce sens, à juste titre, de la non mise en danger d’autrui et de cette obligation morale, éthique de l’obligation de soins et qui rencontrerait au final la loi, (même si ce n’est pas de cette loi que nous sommes “pétris” : si quelqu’un qui va mal, on s’arrête le temps nécessaire, nos familles en savent quelle chose !….)
exactement vous avez entièrement raison. La caste dirigeante se comporte de manière autocratique et elle s’arroge elle même les libertés qu’elle veut et se soustrait largement a la justice. Dans ce contexte nos libertés d’actions chèrement acquises au lendemain de la seconde guerre mondiale sont CRUCIALES pour se défendre de tout autoritarisme!!!
Limiter le droit de grève serait une attaque supplémentaire de la caste oligarchique contre les libertés individuelles.
On ne peut pas défendre seulement les libertés qui nous arrangent et restreindre celles qui nous déplaisent. La liberté n’est pas négociable…
mon commentaire concernait juste au dessus était en rapport avec vous bhalodia dont je partage votre analyse.