La semaine dernière, nous avons évoqué la question de l’ordre spontané (en publiant le premier chapitre de mon prochain livre sur le monde d’après). Cette semaine, je publie un extrait du même chapitre consacré aux arguments habituels assimilant l’ordre spontané à la loi de la jungle. Voici quelques éléments de réflexion pour répondre à ceux qui craignent une « dérive » barbare de notre société, dans l’hypothèse où la liberté y retrouverait ses lettres de noblesse. Mon ouvrage devrait être publié en septembre 2023. Ce livre donnera un fond théorique à mon manuel pratique sur la sécession (éditions Culture & Racines).
Ordre spontané et loi de la jungle
Une critique majeure adressée à l’ordre spontané est de légitimer la « loi de la jungle », c’est-à-dire un système barbare, contraire à l’humanité, où le plus fort dominerait sans limite le plus faible. La loi de la civilisation obligerait au contraire à mettre en place une protection, confiée à l’Etat, destinée à permettre à chacun de vivre sans être menacé par son prochain.
Cette critique repose probablement sur la plus grande des incompréhensions, largement due à la pensée binaire qui s’est répandue dans de trop nombreuses franges de la société. Dans cette vision simpliste, il faudrait opter entre un ordre spontané « pur », dépourvu de lois et d’Etat, ou un ordre totalement vertical, livrant une guerre constante contre toute forme de spontanéité. Comme je l’ai écrit au début de ce chapitre, il ne s’agit bien entendu pas de choisir entre l’une ou l’autre forme « pure » d’ordre, et très peu d’adeptes de l’ordre spontané revendiquent aujourd’hui une destruction totale de l’Etat. Si cette faction existe aux Etats-Unis, elle est groupusculaire et n’incarne certainement pas la pensée de l’ordre spontané.
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La seule spontanéité que je vois dans une société (on parle d’hommes, pas de fourmis ou d’abeilles), c’est d’établir une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve un chef. C’est dans nos gènes.
Si ce n’est pas institué, cette société écoutera « spontanément » des avis de personnes charismatiques (il s’en trouve forcément), et majoritairement de les suivre, surtout si les premières interventions elles aussi « spontanées » de ces personnes, se sont avérées positives pour la communauté.
Cela fait longtemps que la loi de la jungle a été exclue des sociétés de mammifères sociaux par l’impératif d’une hiérarchie, réduisant à peu de choses toute spontanéité de la base.
Les pouvoirs immenses donnés à un seul homme par la cinquième République reste le principal écueil à la restauration d’une démocratie apaisée. Nous acceptons légalement de lier notre destin sur sa seule compétence. Chacun semble s’en accommoder.
J’invite Le courrier des stratèges à établir le dialogue avec Dany-Robert Dufour, qui travaille précisément sur ces questions depuis un certain temps, et dont l’expertise permettra de formuler une critique constructive au travail d’Éric Verhaeghe, voir sa biographie sur la page ci-dessous :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dany-Robert_Dufour
Merci M. Cerise,
Je reprends un passage très révélateur de la fiche wikipédia que vous transmettez dans votre post :
« Nous vivons dans un univers qui a fait de l’égoïsme, de l’intérêt personnel, du self-love son principe premier.
Ce principe commande désormais tous les comportements, ceux de l’« hyperbourgeoisie » ou des bandes de jeunes délinquants comme ceux des classes intermédiaires.
Il nous conduit à vivre dans une Cité perverse.
Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre : notre monde est devenu Sadien.
Il célèbre désormais l’alliance d’Adam Smith et du marquis de Sade.
À l’ancien ordre moral qui commandait à chacun de réprimer ses pulsions et ses désirs, Dufour tente de montrer que s’est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber, quelles qu’en soient les conséquences.
Sade avait tellement bien donné à voir ce que serait un monde soumis au principe de l’égoïsme absolu qu’il avait fallu l’emprisonner 27 ans de sa vie et l’enfermer pendant deux siècles dans l’enfer des bibliothèques.
Dany-Robert Dufour explore en détail le retour de Sade, d’abord masqué, puis à découvert au XXe siècle, et le monde qui en résulte. »
C’est exactement l’individualisme forcené que nous subissons !
Voilà pourquoi E.Verharghe s’insurge contre Béatrice Bourges quand elle ose y voir une des causes de la division et du bazar actuel dans son échange à propos de L.M..P.T …
L’utopie de la liberté pour tous, quel qu’en soit le prix, est indéfendable dans le maelström actuel !
Ce n’est qu’une THEORIE dont l’application s’avère désastreuse pour les plus faibles qui n’ont pas voix au chapitre.
Le rôle que joue l’Etat en matière de verticalité dépend du type d’Etat en cause. Il faut dire qu’en France, pays historiquement construit par la volonté étatique, la nature de l’Etat constitue souvent (de manière paradoxale ?) une fausse évidence, à la différence de pays comme l’Italie ou l’Allemagne. Si l’Etat est une structure qui donne sa forme à la société (selon les conceptions dominantes de Hobbes à Hauriou, ce dernier ayant beaucoup influencé la jurisprudence du Conseil d’Etat depuis la IIIe République), la verticalité aura tendance à être excessive. Si, au contraire, il n’est que l’instrument que se donne une société produisant elle-même sa forme, c’est-à-dire aussi bien le vertical que l’horizontal, la verticalité de l’Etat aura tendance à procéder seulement de celle que la société recèle spontanément. Dans la seconde hypothèse, l’Etat n’est plus le Leviathan qui étouffe les libertés, il n’est plus « l’institution des institutions » et la société s’appuie d’abord sur la dynamique instituante des relations internes cohérentes qui la structurent.
Aussi à partir de 1938 se sont développées les recherches sur la dynamique de groupe et la psychologie sociale et comportementale. L’experimentation de la dynamique de groupe commence à l’école et se développe en principe avec force dans les entreprises. Les « business school » sont les principaux promoteurs de l’usage de cette dynamique, ce qui fait leur succès. L’école française d’administration est tristement célèbre pour son organisation hiérarchique stricte, la séparation des rôles de conception, exploitation et d’exécution, comme dans les chemins de fer.
Dans un groupe, l’individualisme passe au second plan, l’essentiel consiste a y créer une dynamique, des normes comportementales, des objectifs et des décisions d’action pour les accomplir au mieux afin de donner à chaque membre une satisfaction d’accomplissement personnel.
Pratiquement, un groupe n’est pas naturellement totalitaire. Il y émerge des idées et opinions diverses qui s’organisent en majoritaires et minoritaires. Il se forme des sous-groupes de compétence dont l’émergence est facilitée par des leaders.
Aucun individu ne peut s’épanouir sans appartenir et interagir avec de nombreux groupes et de nombreuses diciplines.
La société ne se limite pas aux élites et autres gueux. Ces gens là n’est ce pas?