Même au sein d’un Occident affaibli, c’est surtout la France qui semble être devenue un bantoustan auxiliaire de l’Empire – à en juger, du moins par le ton sur lequel la presse (en l’occurrence : l’Express) y parle même au public relativement cultivé qui conserve une pratique de la lecture.
Il suffit de comparer deux textes, publié à 24h de distance sur le même sujet (la politique extérieure de la Chine Populaire) par la prestigieuse publication américaine Foreign Affairs et par l’Express.
Dans Foreign Affairs – qui respecte ses lecteurs –, sans chercher une seconde à cacher les ambitions hégémoniques US en Asie, ni un préjugé culturel hostile au régime de Pékin, l’auteur s’appuie sur une vaste littérature universitaire (principalement (sino-)américaine) pour étayer sa conclusion : l’invasion de Taïwan n’est pas à l’ordre du jour, sauf si la paranoïa des Occidentaux devait finir par en faire une prophétie auto-réalisatrice. Voilà comment on parle aux citoyens d’un pays libre.
L’Express et Foreign Affairs : deux salles, deux ambiances
L’Express n’a pas ce genre de pudeurs : l’auteur s’y appuie sur les conclusions d’un « groupe de réflexion ukrainien ». Quoi qu’on pense de l’aptitude des Ukrainiens à la réflexion, le moins qu’on puisse dire est que recourir à l’opinion de citoyens d’un pays belligérant sur les intentions du régime d’un pays dont le dirigeant (Xi Jinping) se trouve justement en visite dans la capitale ennemie est un procédé intellectuellement douteux.
Du coup, dans l’Express, l’invasion imminente de Taïwan est, au contraire, posée comme une prémisse incontestable, qui permet « d’expliquer » d’autres phénomènes, selon le paradoxe habituel de la propagande de guerre, qui doit présenter l’ennemi comme à la fois redoutable/déterminé et comme exsangue/lâche : après avoir posé en principe que la Chine se prépare activement à déclencher la 3e Guerre mondiale, on nous explique qu’elle hésite à livrer du matériel létal à la Russie. Probablement par crainte de l’Occident – puisque c’est cette même crainte qui est censée « expliquer » son soutien diplomatique à la Russie, de peur qu’une « défaite de la Russie [ne] mène au remplacement de Poutine par des dirigeants pro-occidentaux » (Par qui au juste ? A. Navalny ?).
Voilà comment on parle à des tirailleurs sénégalais avant de les envoyer se faire hacher menu à l’autre bout du monde, pour les intérêts de Bwana. Voilà comment l’Express nous parle.
Le Foreign affairs qui paraît une revue sérieuse, reste un outil de propagande avec un discours plus élaboré mais qui ne trahira jamais sa patrie. Donc, nous y retrouvons les présupposés classiques dans des vêtements présentables et presque acceptables avec de grands noms pour signer les articles.
la démocratie américaine et donc l’hégémonie, doit s’imposer, doit gagner par le mensonge (Irak!) (Vietnam) la violation du droit international (Serbie) le soft power (dans le meilleur des cas) la trahison (espionnage de ses alliés européens réseau Echelon).
Les revues françaises de grande diffusion ne sont que des caisses de résonnance grossières ne donnant jamais l’expression, dans le cas du conflit ukrainien, à des avis non bellicistes, encore moins à l’autre partie du conflit. Il s’agit toujours d’une propagande de guerre, dont l’Europe et ces habitants feront les frais terribles.
En plus d’être de propagande, la presse française nous prend pour des imbéciles…
Attention, je n’ai jamais dit qu’il fallait prendre Foreign Affairs pour parole d’évangile!
Simplement, c’est une publication qui part du principe que ses lecteurs se situent du bon côté des mensonges de base (sur la Destinée Manifeste, etc.), qui ne sont donc pas remis en cause. Ensuite, l’analyse factuelle est, sinon vraiment honnête, du moins respectueuse de leur intelligence. Ils sont (en tant que patriciens du système-monde US) traités en parties prenantes de la manipulation, pas en chair à canon, comme les Ukrainiens… ou comme nous.
C’est bien beau d’ajouter un ennemi à la liste de nos ennemis, mais avons-nous les moyens de nos ambitions ?
En attendant, ennemie ou pas, la Chine continue de fournir les batteries pour les véhicules électriques des bobos éco-responsables, dont les journalistes de l’Express font partie.