Qui dit trêve des confiseurs dit bilan de l’année 2023. En me livrant, pour Le Courrier, à l’exercice du coup d’œil dans le rétroviseur, il saute aux yeux que la tectonique des plaques de l’Histoire, remise en route par la psycho-pandémie du Covid fin 2019, ou – si l’on veut – par les attentats du 11-Septembre, a poursuivi son emballement cette année, la bande de Gaza succédant soudainement à l’Ukraine comme nouveau rift d’une expansion des fonds océaniques qui continue d’éloigner, pour le dire vite, les désormais onze membres des BRICS+ des partenaires du « complexe techno-militaro-étatique » américano-européen, pour reprendre la formule d’un Jacques Ellul dans Le bluff technologique (1988).
Tout à la fois en élargissant la focale temporelle et en zoomant géographiquement sur notre pays, on s’aperçoit que le monde promis par Emmanuel Macron dans sa belliqueuse adresse de mars 2020 – un monde qui allait devoir cesser de « déléguer [son] alimentation, [sa] protection, [sa] capacité à soigner, [son] cadre de vie au fond à d’autres » – est précisément devenu en 2023 un monde – une France – qui a renoncé, ou est en train de renoncer, à sa pleine souveraineté dans ces mêmes domaines : ce sont aujourd’hui nos « laboureurs et pâtureurs », en colère, notamment contre la hausse des importations ne respectant pas nos normes ou contre la réglementation du pompage et du stockage de l’eau, qui retournent les panneaux, tandis que les « relocalisations industrielles » annoncées n’auront été qu’un mirage ; c’est le drame de l’insécurité qui se creuse, entre violences policières objectives dans la répression à géométrie variable des manifestants (on pensera à la réforme des retraites du printemps dernier), émeutes du début de l’été et attentats islamistes au sein même du sanctuaire de l’Ecole (Arras en octobre) ; c’est un traité international sur les pandémies qui voit le jour, certes poussivement, mais qui prévoie de transférer à l’UE et à l’OMS tout ou partie de nos compétences en matière de santé, cependant que d’autres rêvent d’accélérer le processus global de « fédéralisation » de l’UE. Mais c’est aussi, sotto voce, une zone euro qui ne pourra rester unie très longtemps, tiraillée entre une Allemagne dont les USA ont coupé les moteurs économiques car énergétiques, une Espagne tentée par le retour de l’Etat-nation, une Pologne qui refuse désormais de livrer des armes à Kiev, et une France, une France, à qui il ne reste plus, dans le feu de tourbière qui l’agite sans fin, qu’à accélérer la faillite de son « modèle social », qu’aucun autre pays développé, en réalité, ne nous envie, pour espérer renouer, plus horizontalement, avec le pacte bimillénaire qu’elle a signé avec la Liberté. Je retiens, enfin, les secousses déstabilisatrices du système monétaire international en 2023 : hausses en plateau de l’or, accords d’échange de devises entre banquiers centraux des BRICS+ qui font entrer dans le concret la dédollarisation, année faste pour Bitcoin (+120%), élection en Argentine d’un disciple – au moins au plan monétaire – d’Hayek et annonce, quelque peu précipitée, du « pivot » de la FED qui devrait raccourcir un peu la longue agonie du dollar.
Mais aucun géologue n’ignore que l’expansion des océans, dite « en tapis roulant », s’accompagne toujours d’éruptions sous-marines plus ou moins explosives mais qui contribuent toutes, à leur hauteur, au phénomène d’accrétion. Je forme le vœu qu’au Courrier, tout au long de 2024, nous continuions de vous informer en géologues avertis, c’est-à-dire plus attentifs que jamais aux forces de frottement, parfois infimes, qui font et défont le monde.