Pendant longtemps, le monde dirigeant français n’avait d’yeux que pour le “modèle allemand”. Aussi, l’étonnement est grand de voir aujourd’hui notre voisin, locomotive économique de l’Union Européenne, se mettre en grève. En réalité, cela aurait pu être anticipé – à condition de comprendre que le fameux “modèle allemand” n’était pas seulement économique et social. Retour sur quelques dates qui ont marqué une rupture dans l’équilibre complexe du “modèle allemand”. Jusqu’à le défaire complètement.
C’est un vieux cliché en France. L’Allemagne aurait la culture du consensus, à la différence de la France. Et elle serait intrinsèquement efficace économiquement, capable à la fois d’être une grande puissance exportatrice et de pratiquer une redistribution efficace.
Dans un livre paru en 2005, j’ai montré que c’était une vue superficielle des choses. Le “modèle allemand” avait aussi une composante politique, à la fois extérieure et intérieure: le renoncement de l’Allemagne à l’arme nucléaire, la priorité donnée à l’entente franco-allemande, le retour à de bonnes relations avec la Russie, le rejet des idéologies, le souci de l’homogénéité sociale, afin que la démocratie ait toujours une solide classe moyenne pour la protéger.
Or, dans les trente ans qui ont suivi la réunification de 1990, ce modèle s’est défait.
Les dates qui jalonnent la crise du modèle allemand
3 octobre 1990: L’Allemagne se réunifie mais reste dans l’OTAN
Mikhaïl Gorbatchev avait demandé à François Mitterrand de l’aider à obtenir que l’Allemagne réunifiée ne soit pas dans l’OTAN. Mais, au fond de lui, Mitterrand avait toujours été atlantiste; et il avait peur d’une Allemagne redevenue puissante. Il laissa donc Helmut Kohl négocier avec les Américains l’intégration de l’ancienne RDA dans l’OTAN. Ce fut une décision dramatique car,jusqu’à aujourd’hui,de facto, l’Allemagne n’est pas redevenue pleinement souveraine. Elle ne compte pas moins de 26 bases militaires américaines sur son territoire. Plusieurs dizaines de têtes nucléaires y sont stockées. Même quand l’Allemagne manifeste une certaine autonomie stratégique, comme en 2002-2003, lorsque Gerhard Schröder s’opposa à la guerre d’Irak, ce n’est pas la tendance dominante; Angela Merkel n’a eu de cesse de rendre l’Allemagne plus atlantiste. Et Olaf Scholz obtient le prix d’excellence de la “carpette américaine” en ayant accepté sans broncher que les Américains sabotent le gazoduc Nordstream. Au grand détriment de l’économie allemande, qui a perdu sa source d’énergie bon marché.
7 février 1992 -L’Allemagne signe le traité de Maastricht. et sacrifie le deutschemark, condensé de sa reconstruction réussie.
Là encore, il s’agit d’un choix fait avec la France. François Mitterrand, paniqué par la réunification, pensait contrôler la nouvelle puissance économique allemande en l’obligeant à “partager” sa monnaie. Helmut Kohl, qui ne comprenait guère mieux que François Mitterrand les réalités économiques accepta pour un ensemble de raisons complexes: garder une bonne relation avec la France malgré la réunification; financer plus facilement cette dernière car à une politique de taux d’intérêts uniformisée en Europe; discipliner les Etats endettés.En pratique,l’Allemagne a perdu son repère le plus important. Elle n’a pas assumé la vérité des dépenses publiques pendant la réunification; elle n’a pas imposé son modèle de bonne gestion aux partenaires européens (endettement de la France à l’abri des taux d’intérêts allemands; catastrophe de la dette grecque); et l’Allemagne a été mise en minorité au conseil des gouverneurs de la BCE,obligée d’accepter un endettement européen (rachat de bons du trésor par la BCE; plan de relance de 2021)
15 janvier 1992, l’Allemagne provoque l’éclatement de la Yougoslavie
En l’occurrence, François Mitterrand s’y opposait.Il voulait que la Croatie reconnaisse les droits de la minorité serbe sur sonterritoire avant que les pays de la Communauté (Union) européenne reconnaissent l’indépendance de ce pays. Mais Helmut Kohl ne voulut rien entendre. Il força le passage, déclenchant par un effet boomerang les guerres de Yougoslavie. Ce fut catastrophique, non seulement du fait des crimes de guerre et nettoyages ethniques commis.Mais aussi parce que l’Union Européenne révéla son impuissance. Elle se montra incapable de mettre fin au conflit sans recours aux Etats-Unis et à l’OTAN lors de la guerre du Kosovo – en 1999, lorsque la RFA perdit une part de son âme d'”après-guerre en envoyant des bombardiers allemands sur Belgrade,comme en 1981. .
6 juillet 2000: Gerhard Schröder fait basculer l’Allemagne du “capitalisme rhénan” vers le “capitalisme anglo-américain”
C’est une des mesures les moins connues mais la plus importante de la période (1998-2005) où Gerhard Schröder a été chancelier. Par la loi réformant la fiscalité, promulguée le 6 juillet 2000,les plus-values réalisées sur les cessions d’actif étaient taxées à…0%!. Jusque-là, le taux,dissuasif, avait permis le maintien des participations croisées entre banques et entreprises industrielles. C’était une des forces du fameux “capitalisme rhénan”: les entreprises n’allaient pas en bourse, ni les banques, car elles trouvaient toujours un financement sur leurs projets; le “capitalisme rhénan” se protégeait des prises de participation hostiles,il misait sur le long terme et la qualité des produits industriels. A partir du moment où le “taux zéro” fut instauré, entreprises allemandes et banques basculèrent vers le capitalisme anglo-saxon: les actifs croisés, qui n’avaient jamais été réévalués depuis les années 1950 dans les livres de compte prirent soudain une toute autre valeur., qui facilita l’entrée en bourse, en particulier aux USA. La cohésion des classes moyennes fut dynamitée; les entreprises allemandes misèrent moins sur la recherche et plus sur les apports de capitaux.
22 novembre 2004: l’Allemagne commence à déstabiliser l’Ukraine par la “révolution orange”
On parle souvent du rôle des Etats-Unis dans la première déstabilisation de l’Ukraine, celle de la fin 2004,lorsque l’Occident décida qu’il fallait inverser le résultat de l’élection présidentielle ukrainienne et imposer le perdant, IIouchenko, candidat de l’ouest ukrainien, contre le gagnant, Ianoukovitch, candidat de la partie orientale du pays. Mais les fondations allemandes et des personnalités, telles l’ancien président de la République Fédérale,Richard von Weizsäcker, furent très actifs aux côté des Américains pour financer la première “révolution de couleur”. L’Allemagne mettait le doigt dans l’engrenage qui l’entraînait vers Maïdan puis la guerre de 2022.
13 décembre 2007: Angela Merkel verrouille la forfaiture du traité de Lisbonne
Alors que Nicolas Sarkozy était candidat à la présidence de la République, Angela Merkel l’avait fait contacter et l’avait convaincu de préparer un traité qui remplacerait la Constitution Européenne rejetée par le peuple français en mai 2005. Nicolas Sarkozy se prêta au jeu. Sert mois après l’élection du successeur de Jacques Chirac, Angela Merkel cette femme à la mentalité d’apparatchik est-allemand, était satisfaite. Sans que le peuple français s’en aperçoive, l’Union Européenne avait une constitution qui ne disait pas son nom. Ce que le Chancelier allemand del ‘époque ne comprit pas, c’est l’indignation causée dans l’opinion britannique par la manoeuvre. Un puissant courant d’opinion naissait, qui devait mener au Brexit. Au grand dam d’Angela Merkel!
6 juin 2011: Angela Merkel fait sortir l’Allemagne du nucléaire civil
Il y avait l’accident de Fukushima au Japon quelques semaines plus tôt. Mais il y avait un accord politique et industriel remontant au début des années 2000,de sortie progressive du nucléaire avant la fin des années 2030. Par une décision brusque et émotionnelle dont seuls les apparatchiks sans contrôle sont capables, Madame Merkel décida que la sortie du nucléaire aurait été menée à bien dès le début des années 2020. Même si à l’époque tout le monde croyait fermement dans l’essor des “énergies renouvelables”, la décision d’Angela Merkel s’est révélée profondément imprudente. Non seulement l’Allemagne a dû réintroduire charbon et lignite dans le panachage industriel allemand; mais lorsqu’il s’est agi de rompre avec la fourniture de gaz russe bon marché, l’Allemagne a perdu l’un des principaux atouts de son appareil industriel.
4 septembre 2015: Angela Merkel ouvre totalement la frontière bavaroise aux migrants
Le samedi 4 septembre 2015, le Chancelier allemand était injoignable.Angela Merkel circulait en voiture entre des réunions publiques où elle allait soutenir des candidats de son parti, la CDU. Mais, dans sa voiture,elle n’utilisait pas son téléphone et ne prenait aucun appel. Le soir, sans avoir consulté son gouvernement ni le Ministre-Président de Bavière, elle annonçait que la frontière était totalement ouverte aux réfugiés des conflits libyen et syrien. 1,5 million de personnes venues du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et des Balkans profitèrent del’appel d’air. Même si un tiers d’entre eux sont repartis entre temps, faute d’avoir trouvé un emploi, Angela Merkel a provoqué un séisme politique.La vieille sagesse politique voulait qu’il n’y eût aucun parti à la droite des chrétiens-démocrates et des chrétiens-sociaux bavarois. Aujourd’hui, il y a l’Alternative für Deutschland (AfD), parti fourre-tout où l’on trouve aussi bien des conservateurs compétents que des néo-nazis. Et l’AfD est à 24% dans les sondages!
on peut ajouter une natalité qui a toujours été très faible…
Merci pour cet utile rappel: les évolutions majeures ne sont pas fortuites, elles résultent de décisions politiques.
Et, comme le disait Roosevelt, dans ce domaine, le hasard n’existe pas.
C’est surtout l’idéologie climatique qui aura coulé l’Allemagne. Tout cela était prévisible depuis la sortie du nucléaire. On ne fait pas fonctionner un pays industriel avec des éoliennes, cela était évident. Qu’en plus la guerre contre la Russie via l’Ukraine ait été entreprise , contrairement aux intérêts fondamentaux de l’Allemagne, démontre que ce pays n’est plus dirigé par des Allemands. Mais ce n’est pas qu’en Allemagne, malheureusement.
Merci, Monsieur.
Oui, bien sûr, le modèle allemand était si complaisamment vanté que nous avions, nous Français, l’impression d’être des fainéants préférant la grève au travail pour le bien du Pays.
Et cette grève aujourd’hui, confirme que l’Allemagne va très mal.
Par contre, si je savais que les USA avaient fomenté Maïdan, je ne savais pas que l’Allemagne y était mêlée.
Finalement, toujours dans l’ombre, cette Allemagne haïe (de moi) a régné sur l’Europe et surtout sur la France. Ce que Hitler n’a pu terminé, les suivants l’ont fait économiquement et ont continué de diriger politiquement la France.
Toujours les mêmes qui agissent en coulisse depuis des lustres en mutant comme des virus. L’efficacité du capitalisme anglo-saxon financiarisé qui est plus efficace que la meilleure des armées du monde avec l’aide du vecteur dollar et de la corruption, infiltration et subversion politique tout en suscitant dans l’ignorance, pagaille, division diverse et variée et poudre aux yeux diverse et variée également. Et je crains que le nouveau paramètre de la technologie exponentielle et science dissimulée n’arrange pas les choses. L’Europe est tombée semble t-il. L’Afrique et pays émergeants resteront peut-être immergés, Inde et d’autres pays se rangeront peut-être du coté du plus fort et les BRICS une fausse sortie. Et qu’en est-il de la Chine et la Russie ? Ce n’est pas les merdias mainstream subventionnés qui nous feront connaitre le fond de la vérité avec leurs informations et polémiques futiles pour gamins attardés. On ne croit voir que guerres économiques et idéologiques et pour les plus débiles guerres religieuses, mais on ne sait voir pas l’épicentre de ce qui pousse comme une maladie et obsession mentale à cette instauration de leur gouvernance mondiale.
PS : BRICS fausse sortie ou mutation de plus.
Merci beaucoup, pour cet article j’ai appris plein de choses.