En 2003, les armateurs français (au nombre de 57 aujourd’hui) ont bénéficié d’une mesure fiscale leur permettant d’assurer leur compétitivité par rapport à leurs concurrents défiscalisés (Panama, dont le sarmateurs grecs raffolent) ou subventionnés (les Chinois, en particulier). Ils ont eu le droit de choisir entre une taxation sur les bénéfices et une taxation au tonnage des bateaux. Au fil du temps, cette invention bien française (la bonne doctrine de l’incitation fiscale et ses effets pervers !) a produit les résultats habituels : elle a renforcé le capitalisme de connivence et donné lieu aux pires arrangements. De façon incohérente, le Rassemblement National en propose la suppression aujourd’hui.
La suppression de la niche fiscale des armateurs est devenue une sorte de litanie dans le programme du Rassemblement National. C’est en soi un signal important : un parti désormais de gouvernement met en tête de gondole au moment des élections un sujet hautement technique qui n’est pas fait pour rassembler les foules. La crise des finances publiques commence, et on voit de quelle manière névrotiquement obsessionnelle elle sera abordée par les mauvais coucheurs : par des détails, des petits trous de lorgnette où l’on jette tel ou tel citoyen en pâture (en l’espèce Rodolphe Saadé, patron de CGM, numéro 3 mondial de l’armement et relation d’Emmanuel Macron).
Pour bien comprendre les enjeux, les mythes et les réalités de ce dossier scabreux, je fais aujourd’hui en focus en mode libertarien sur la question.
L’insanité de la niche fiscale en tant qu’objet politique
Il faut d’abord redire, et même rabâcher, tout le mal qu’il faut penser des niches fiscales, quelles qu’elles soient.
Une niche fiscale consiste à accorder des dérogations ou des changements de règles pour tel ou tel acteur économique. La notion de niche est indissociable de la notion d’incitation fiscale, concept très français qui repose sur plusieurs non-dits :
- la doctrine de l’incitation fiscale est un mode d’intervention de l’Etat dans l’économie : elle consiste à favoriser fiscalement tel ou tel acteur pour l’aider à développer son activité ou ses profits
- insidieusement, la niche fiscale valide donc l’idée que l’impôt ne sert pas seulement à financer les dépenses publiques (vieille théorie de l’impôt de 1761 défendue par le marquis de Mirabeau), mais qu’il sert à de nombreuses autres choses : à redistribuer les richesses (l’obsession de la pensée socialisante), par exemple, à favoriser l’aménagement du territoire ou à relancer la croissance. D’un point de vue libertarien, cette idée que l’impôt serve à autre chose qu’à financer les dépenses publiques est une hérésie pure et simple
- incidemment, et dans le cas des armateurs c’est particulièrement vrai, en accordant une niche fiscale à telle ou telle catégorie, l’Etat reconnait que l’impôt est trop élevé, qu’il n’est pas soutenable économiquement, et qu’il faut donc accorder des rabais pour le rendre soutenable. Le CICE en donne un autre exemple.
Bref, le principe même de la niche fiscale est en soi un problème : elle prouve que l’Etat sort de son lit naturel (qui est de financer le gouvernement) pour s’occuper d’économie, alors qu’il n’en a ni les moyens, ni la légitimité, ni la compétence.
L’enjeu de la niche fiscale des armateurs
S’agissant des armateurs, la niche fiscale accordée recouvre des enjeux qui ne sont pas mineurs.
Les armateurs assurent le transport de marchandises par bateaux. Dans un monde essentiellement organisé autour de l’importation de marchandises chinoises, devenue la manufacture universelle, disposer d’une flotte solide de transport est un élément de souveraineté. On s’étonnera que le Rassemblement National, qui préconise le protectionnisme, veuille s’en débarrasser.
Le marché de l’armement est en effet très mondialisé. Il est dominé par les Chinois et les Grecs (souvent sous pavillon panaméen). Accorder un régime fiscal intelligent aux armateurs français pour faire face à cette concurrence n’est donc pas absurde. Et en plus, ça marche, puisque la Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime (CMA CGM), installée à Marseille, est la numéro 3 mondiale…
La filière “bateaux” ne fonctionne pas seule, par ailleurs. Elle s’appuie sur des ports maritimes, qui sont une filière en soi, à l’origine de nombreux transports routiers (ou fluviaux) jusqu’aux points de livraison. Là encore, on peut s’étonner que le Rassemblement National ne prenne pas en compte les faiblesses françaises en la matière. D’un point de vue maritime, la France est l’un des pays les mieux exposés au monde (avec Marseille non loin du canal de Suez, et Dunkerque, en aval du rail portuaire qui s’chève à Rotterdam). Mais la vision “terrestre” des élites françaises (on comprend ici qu’un Jean-Philippe Tanguy, l’économiste du RN sorti de Sciences-Po, y appartient de plein pied) ne comprend rien aux enjeux du maritime et contribue au croupissement de nos ports.
Des années bonnes et d’autres non
Au demeurant, la niche fiscale pour les armateurs a longtemps stagné autour de quelques insiginifiantes dizaines de millions € par an. Grâce au COVID, la niche a pris une tournure politique : le renchérissement du transport maritime a permis aux armateurs de gagner plusieurs éphémères milliards grâce à ce dispositif ancien. Mais la situation devrait se normaliser, et la suppression de la niche :
- ne rapportera que des sommes de plus en plus dérisoires dans les années à venir
- recréera un différentiel de compétitivité pour nos armateurs…
Petits arrangements entre amis
Selon un scénario très français, la niche fiscale n’a pas tardé à se mélanger au capitalisme de connivence.
Parmi les armateurs, on notera par exemple la personnalité du magnat de CGM, Rodolphe Saadé, installé à Marseille, et en cour aurpès d’Emmanuel Macron. Porté par ses profits mirifiques, Saadé est devenu un magnat de la presse :
- il a racheté, en 2022, la Provence, jusque-là propriété de Bernard Tapie. En 2024, Saadé s’est illustré pour avoir mis à pied le directeur de la rédaction du journal après une “une” qui ne plaisait pas à Emmanuel Macron
- en 2023, Saadé rachète La Tribune, dans laquelle il réinjecte 7 millions € en début d’année pour relancer le titre. La Tribune tente de rééquilibrer la presse, notamment du week-end, désormais “bollorisée” après la cession du Journal du Dimanche, de fait, au milliardaire breton
On voit que Saadé est une carte côté presse pour Macron. De là à penser que la timidité du pouvoir vis-à-vis de la niche fiscale des armateurs est une contrepartie offerte aux articles favorables des titres détenus par Saadé… il n’y a qu’un pas.
Activer les dépenses fiscales
Au lieu de supprimer la niche fiscale comme le propose le Rassemblement National, la solution pourrait être plus astucieuse :
- conserver la niche fiscale, mais avec une condition
- le réinvestissement des profits dans le “verdissement” de la flotte, dont on sait qu’elle est source de pollution
- de cette façon, la flotte française conserverait un avantage de compétitivité
Parmi les armateurs mondiaux, il faut aussi citer Maersk qui est danois et MSC qui est italien et dont le secrétaire général de l Élysée est un héritier. Est ce que MSC bénéficie de la niche fiscale aussi ??
Bonjour ” le réinvestissement des profits dans le “verdissement” de la flotte, dont on sait qu’elle est source de pollution ” … pourquoi pas mais avec la construction des navires en France par exemple