Journal de l’empire des Habsbourg : pour les élites politiques et médiatiques, il n’existe pas de pire société que celle de Vladimir Poutine. On ne voudrait pas non plus avoir affaire à Donald Trump s’il ne menaçait pas d’imposer des droits de douane punitifs à l’Europe. Alors que dans les coulisses du pouvoir à Bruxelles et à Francfort, on réfléchit encore à la manière de gérer cette situation, un petit pays de l’arc des Carpates prend les devants. Robert Fico, le Premier ministre slovaque, discute tout simplement avec les deux parties. Et pourquoi pas ?
Certains le félicitent, d’autres le critiquent – dans tous les cas, il s’agit d’une rupture de tabou retentissante. Robert Fico, Premier ministre slovaque, a récemment téléphoné à Donald Trump. Il l’aurait félicité pour sa victoire écrasante et aurait exprimé sa conviction que sa personne était liée à de grandes attentes concernant le conflit de guerre en Ukraine.
Pragmatisme au service de l’État
Dans le style décontracté qu’on lui connaît, Fico n’a pas pu s’empêcher de faire remarquer que lui ou ses collègues de parti « ont été confrontés à des défis similaires, à savoir des tentatives de nous mettre en prison et de nous éliminer physiquement, ce que nos adversaires n’ont heureusement pas réussi à faire ». En mai, le chef du gouvernement, volontiers qualifié de « populiste de gauche », avait été grièvement blessé de plusieurs balles par un opposant au gouvernement.
Mais ce n’est pas tout : moins de 24 heures plus tard, Robert Fico a annoncé qu’il accepterait « avec plaisir » l’invitation officielle du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, aux célébrations du 9 mai à Moscou : Le gouvernement de la République slovaque serait attaché à l’héritage de la lutte contre le fascisme, à la vérité historique de la Seconde Guerre mondiale et au rôle de l’Armée rouge dans cette guerre. C’est pourquoi le gouvernement de la République slovaque parrainera en 2025 l’organisation d’une série d’événements qui culmineront avec les célébrations de mai de la victoire sur le fascisme :
« En ce sens, il est naturel qu’en tant que Premier ministre de la République slovaque, je sois éminemment intéressé à participer aux célébrations officielles de la victoire sur le fascisme qui auront lieu à Moscou le 9 mai 2025 ».
Le chef du gouvernement slovaque avait déjà vivement critiqué à plusieurs reprises le soutien militaire à Kiev, qui ne ferait que prolonger le conflit. Mais contrairement à la Hongrie, la Slovaquie n’a jusqu’à présent pas mis son veto à l’aide à l’Ukraine.
Les critiques acerbes dont Fico fait désormais l’objet, non seulement de la part de l’opposition politique dans son propre pays, mais aussi au niveau de l’UE, ne changeront rien à sa position de principe. Car si l’on considère la situation de la Slovaquie, celle-ci est très pragmatique :
- Il y a d’abord la situation géographique du pays, voisin immédiat de l’Ukraine :
« Une partie importante de notre conversation (avec Trump, ndlr) a été une évaluation du conflit de guerre en Ukraine, au cours de laquelle le président américain D. Trump s’est intéressé à mes opinions en tant que Premier ministre de Slovaquie, un pays voisin de l’Ukraine ».
- En outre, il ne faut pas oublier que depuis le début de la guerre, la Slovaquie a enregistré dans chaque sens ( !) 2,8 millions de passages de frontière en provenance ou à destination de l’Ukraine. Environ 158.000 Ukrainiens ont demandé une protection temporaire en Slovaquie. C’est plus qu’en Autriche par exemple, mais la Slovaquie, avec ses 5,4 millions d’habitants, est nettement plus petite que l’Autriche (9,1 millions).
- La Slovaquie, tout comme l’Autriche ou la Hongrie, s’est approvisionnée en gaz auprès de la Russie. Récemment, les Etats-Unis ont imposé de nouvelles sanctions contre la banque russe Gazprombank, qui visent également une cinquantaine d’autres banques russes et le système russe de transmission d’informations financières (SPFS). La Slovaquie, tout comme la Hongrie, critique vivement cette décision : la décision des Etats-Unis mettrait en danger la sécurité énergétique de certains pays d’Europe centrale. Elle augmenterait le risque d’une interruption prématurée des livraisons de gaz russe en Europe.
Il est donc judicieux de considérer les activités du Premier ministre slovaque Robert Fico moins sous l’angle « moral » que sous celui d’un pragmatisme au service de l’État. A cela s’ajoute une expérience tirée de l’histoire de la diplomatie : depuis des siècles, les petits pays ont fait leurs preuves en tant que médiateurs entre les grandes puissances.