Ces « souverainistes » qui veulent une France qui rugit, mais sans griffes, par Murray P.

Alors que la France a une opportunité exceptionnelle pour rompre avec le dogme néo-libéral européen de la non-intervention de l’Etat dans l’économie, alors qu’elle a l’opportunité de pouvoir s’endetter pour financer sa réindustrialisation, alors que l’Europe pourrait renoncer à sa vassalisation militaire par les USA, certains souverainistes, visiblement très proches de Trump et du Pentagone (qui l’a vraisemblablement aidé à accéder au pouvoir), se comportent en vrais pacifistes d’extrême gauche. Notre chroniqueur Murray P. y voit un théâtre de l’absurde.

Dans ce théâtre de l’absurde qu’est devenue la France contemporaine, où chaque acteur politique se drape dans des oripeaux idéologiques aussi usés que les costumes d’une troupe de province, il faut bien rire – ou pleurer – devant le spectacle des souverainistes, ces nouveaux apôtres de la « grandeur nationale », qui s’élèvent contre le réarmement de la France avec ses propres armes. Par exemple, Florian Philippot, jadis chantre de la souveraineté, se retrouve à militer contre l’idée même de produire des fusils, des chars et des missiles tricolores, comme si la défense de la patrie devait se faire à coups de discours surannés et de tweets enflammés, mais surtout pas avec du matériel bien concret, bien français, bien fabriqué par des ouvriers de chez nous.
Quelle farce ! Ces souverainistes, qui passent leur temps à dénoncer la « soumission » de la France à l’OTAN, à l’Union européenne, aux Américains, aux Chinois, aux extraterrestres peut-être, refusent de soutenir une industrie d’armement qui pourtant incarne ce qu’ils prétendent chérir : l’indépendance nationale, la maîtrise technologique, le savoir-faire français. Mais non, ils préfèrent s’indigner, gesticuler, invoquer des principes aussi flous que leurs idées économiques. Pourquoi ? Parce que le réarmement, mes amis, ça sent la poudre, ça sent la guerre, et la guerre, c’est sale, c’est « impérialiste », c’est « belliciste ». Eux, les souverainistes, ils veulent une France forte, mais sans les moyens de l’être. Une France qui rugit, mais sans griffes. Une France qui parade, mais avec des fusils en carton-pâte.
C’est là tout le paradoxe de ces patriotes de pacotille, ces héritiers autoproclamés du général de Gaulle qui, s’il les voyait, leur rirait au nez avant de les renvoyer à leurs études. Car de Gaulle, lui, savait que la souveraineté, la vraie, ne se conquiert pas avec des incantations, mais avec des usines, des canons, des avions – et une bombe atomique, tant qu’à faire. Philippot et ses amis, eux, préfèrent le folklore à la réalité. Ils veulent une France « indépendante », mais sans les outils de l’indépendance. Ils veulent une industrie française, mais sans que cette industrie produise ce dont la France a besoin pour se défendre. Ils veulent la grandeur, mais sans le prix à payer. C’est la logique de l’Homo festivus, ce personnage que j’ai si souvent décrit : tout dans l’apparence, rien dans le fond. Tout dans le verbe, rien dans l’action.
Et puis, il y a ce parfum de contradiction qui flotte autour de ces souverainistes antimilitaristes. D’un côté, ils hurlent contre la « mondialisation » qui détruit nos emplois, nos usines, notre identité. De l’autre, ils refusent de soutenir une industrie de défense qui pourrait créer des milliers d’emplois, relocaliser des productions, faire tourner des usines à Toulon, à Cherbourg, à Saint-Nazaire. Pourquoi ? Parce que, dans leur esprit embrouillé, réarmer la France, même avec des armes françaises, c’est faire le jeu de « l’OTAN », de « l’impérialisme », de je ne sais quelle chimère. Comme si produire des Rafale ou des frégates à Brest, c’était trahir la patrie ! On nage en plein délire, dans cette France où l’on préfère acheter des drones turcs ou des missiles américains plutôt que de faire travailler nos propres ingénieurs – tout ça pour ne pas froisser les belles âmes qui trouvent que l’armement, c’est « pas très écolo ».
Car oui, ne l’oublions pas, nous sommes en 2025, dans une France où l’on mesure la souveraineté à l’aune des critères ESG – environnement, social, gouvernance. Philippot et ses camarades, tout souverainistes qu’ils se prétendent, ont succombé à l’air du temps : ils veulent une France forte, mais « propre », une France qui impressionne, mais sans salir les mains. Ils veulent la puissance, mais sans la responsabilité qui va avec. Ils veulent la victoire, mais sans le combat. C’est le triomphe de l’oxymore, cette figure de style qui fait les délices des modernes : une souveraineté désarmée, une grandeur désossée, une France qui n’ose plus être la France.
Alors, bien sûr, ils invoquent des arguments. La guerre, c’est mal. L’argent de l’armement pourrait être mieux dépensé ailleurs – dans les hôpitaux, dans les écoles, dans la « transition écologique ». Comme si la défense nationale était une option, un luxe, un caprice de militariste ! Comme si l’Histoire, cette vieille maîtresse impitoyable, n’avait pas cent fois prouvé que les nations qui refusent de se préparer finissent par disparaître – ou par mendier la protection d’un autre. Mais non, Philippot préfère jouer les vierges effarouchées, lui qui, hier encore, dénonçait la faiblesse de nos armées face à la menace russe. Il veut une France souveraine, mais pas trop. Une France qui impressionne, mais sans effrayer. Une France qui existe, mais sans se salir les mains. Quelle blague !
Et pendant ce temps, les autres nations, elles, ne s’embarrassent pas de ces scrupules. La Russie produit, la Chine produit, les États-Unis produisent, Israël produit, la Turquie produit. Eux savent que la souveraineté, la vraie, se mesure à l’épaisseur des blindages, à la précision des missiles, à la puissance des moteurs. Mais en France, on préfère disserter, on préfère s’indigner, on préfère rêver d’un monde où l’on pourrait être souverain sans avoir à se défendre. C’est la grande illusion de l’époque, celle que j’ai appelée l’ »après-histoire » : croire que l’on peut vivre dans un monde sans conflit, sans rapport de force, sans nécessité de se battre. Philippot et ses amis en sont les parfaits représentants : ils veulent la souveraineté, mais sans les armes ; la grandeur, mais sans le courage ; la France, mais sans ce qui fait la France.
Commentaires ()