Poutine est-il trop rationnel pour des Occidentaux trop hystérisés ?

Poutine est-il trop rationnel pour des Occidentaux trop hystérisés ?

Il y a 25 ans jour pour jour, Vladimir Poutine devenait Président de la Fédération de Russie. Commençait une longue histoire de désamour entre lui et la caste occidentale, qui le présente volontiers comme un Tsar fantasque ou un dirigeant totalitaire mégalomaniaque. Mais à y bien regarder, le problème n’est-il pas inverse : face à un Occident hystérisé vis-à-vis de tout ce qui n’est pas lui, Poutine ne s’est-il pas laissé piéger par notre apparence de rationalité et a-t-il sous-estimé nos débordements émotionnels et nos biais cognitifs ?

Poutine est arrivé au pouvoir il y a très précisément 25 ans. Dans ce nouveau numéro de Strategon, nous évoqons cet anniversaire, en passant en revue l’histoire complexe des relations entre le Président russe et l’Occident, au tamis de la rationalité. C’est un lieu commun en Europe de présenter Vladimir Poutine comme un être irrationnel. Mais, sur le fond, le problème de Poutine n’est-il pas qu’il a cru à la rationalité de l’Occident et qu’il n’a pas « appréhendé » sa profonde hystérisation ?

Ulrike Reisner et Edouard Husson examinent ce sujet méthodiquement, et sans passion…

Rappelons ici les grandes étapes du « règne » de Vladimir Poutine :

Le règne de Vladimir Poutine à la tête de la Russie, depuis 1999, peut être divisé en plusieurs grandes phases marquées par des événements politiques, économiques et géopolitiques majeurs. Voici une chronologie structurée des étapes clés de son pouvoir :


1. L’ascension au pouvoir (1999-2000)

  • Août 1999 : Nommé Premier ministre par Boris Eltsine, Poutine devient président par intérim après la démission surprise d’Eltsine (31 décembre 1999).
  • Seconde guerre de Tchétchénie (1999-2000) : Lance une offensive brutale contre les séparatistes, consolidant son image d’homme fort.
  • Mars 2000 : Élu président dès le premier tour (53 % des voix), promettant de « restaurer l’ordre » après les années de chaos post-soviétique.

2. Consolidation du pouvoir (2000-2008)

Réformes internes

  • Centralisation politique : Réforme du système fédéral (remplacement des gouverneurs élus par des nommés), contrôle des médias (ex. : prise de contrôle de NTV en 2001).
  • Croissance économique : Grâce à la hausse des prix du pétrole, la Russie connaît une décennie de croissance (+7 % par an en moyenne).
  • Affaires politiques :
    • Emprisonnement des oligarques contestataires (Mikhaïl Khodorkovski en 2003).
    • Loi sur les ONG (2006), restrictions aux libertés civiles.

Géopolitique

  • Discours de Munich (2007) : Dénonce l’unilatéralisme américain et l’élargissement de l’OTAN.
  • Guerre russo-géorgienne (2008) : Intervention en Ossétie du Sud, premier conflit armé contre un État post-soviétique.

3. L’ère Medvedev et le retour de Poutine (2008-2012)

  • 2008-2012 : Poutine devient Premier ministre (pour contourner la limite constitutionnelle de deux mandats), tandis que Dmitri Medvedev est président.
  • Modernisation économique (discours de 2009) mais peu de réformes structurelles.
  • 2011-2012 :
    • Manifestations massives (« Pour des élections honnêtes ») après des fraudes électorales.
    • Mars 2012 : Poutine est réélu président (63,6 %), marquant un tournant répressif (lois contre les manifestations, emprisonnement des opposants comme Alexeï Navalny).

4. Le troisième mandat (2012-2018) : Nationalisme et confrontation avec l’Occident

  • Lois conservatrices : Interdiction de la « propagande homosexuelle » (2013), promotion des « valeurs traditionnelles ».
  • Annexion de la Crimée (2014) : Suivie par des sanctions économiques occidentales.
  • Guerre du Donbass : Soutien aux séparatistes pro-russes en Ukraine orientale.
  • Intervention en Syrie (2015) : Soutien à Bachar al-Assad, élargissement de l’influence russe au Moyen-Orient.
  • Crise économique : Chute du rouble (2014-2016) due aux sanctions et à la baisse des prix du pétrole.

5. Quatrième mandat (2018-2024) : Vers un pouvoir absolu ?

  • Réforme constitutionnelle (2020) : Permet à Poutine de se représenter jusqu’en 2036 (remise à zéro des mandats).
  • Répression accrue :
    • Empoisonnement et emprisonnement d’Alexeï Navalny (2020-2021).
    • Interdiction des médias critiques (ex. : Dojd, Meduza).
  • Invasion de l’Ukraine (février 2022) : Escalade majeure, isolement international, sanctions sans précédent.
  • Mobilisation partielle (septembre 2022) : Premier recours à la conscription depuis la Seconde Guerre mondiale.

6. Cinquième mandat (2024-présent) : Poutine « tsar » d’une Russie en guerre

  • Élection de mars 2024 : Réélection avec 87 % des voix
  • Poursuite de la guerre en Ukraine : Recentrage sur le Donbass, économie militarisée.
  • Nouvelle doctrine ultra-nationaliste :
    • Répression des « agents de l’étranger » (lois élargies en 2023).
    • Alliance renforcée avec la Chine, l’Iran et les pays « anti-occidentaux ».