Le changement climatique et la guerre en Ukraine servent de prétexte pour déclarer l'état d'urgence énergétique. L'Europe paie par l'inflation, la récession, la dépossession rampante et l'appauvrissement. Pourtant, les besoins énergétiques de la technostructure doivent être assurés afin que celle-ci puisse continuer à développer ses instruments de domination.
Sans énergie, il n’y a ni construction ni maintien d’une quelconque structure. Sans énergie, il n’y a ni croissance ni multiplication. C’est en suivant ce principe que le zoologiste et océanographe autrichien Hans Hass a développé sa théorie « Energon » (1). Cette théorie devait rassembler le système conceptuel de différentes sciences et le représenter par une structure et un système conceptuel unifiés. Sa théorie est considérée comme pseudo-scientifique et n’a donc guère été reçue. Pas tout à fait à juste titre, à mon avis. L’idée de base de Hans Hass est en effet que la survie durable de toutes les structures n’est possible que si elles peuvent constamment améliorer (ou au moins maintenir) leur solde énergétique. L’énergie est donc – au sens propre comme au sens figuré – un élément central de la domination. Et comme pour tout instrument de domination, la promesse de salut et l’oppression sont étroitement liées.
La numérisation consomme de l’énergie
Nous devons économiser l’énergie – pour sauver le climat, pour mettre la Russie à genoux et pour devenir de meilleures personnes en général. Nous savons ce que nous devons faire en hiver – mettre des pulls, baisser le chauffage et prendre des douches le moins souvent possible. Lorsque nous avons froid, nous avons moins d’odeurs corporelles.
Sans blague, le sujet est sérieux ! Le G20 est responsable de 80% de la consommation mondiale d’énergie (2), la Chine à elle seule d’un quart. En Europe, la consommation totale d’énergie – mesurée en mégatonnes d’équivalent pétrole – est restée à peu près stable depuis 1990 (1,780 ; 2021 : 1,787). Dans l’espace asiatique, la consommation d’énergie a en revanche triplé au cours de la même période.
En ce qui concerne l’électricité, la Chine est le leader incontesté avec 7,714 TWh (2021). Ce résultat est d’autant plus remarquable que la Chine souhaite assurer son autosuffisance en électricité grâce à des centrales à charbon – ce pays représente plus de la moitié de la consommation mondiale de charbon. La deuxième place en matière de consommation d’électricité est occupée par les États-Unis (3,869 TWh), qui sont eux-mêmes les plus gros consommateurs de gaz naturel et de pétrole au monde (respectivement 862 bcm et 700 bcm). L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande énergétique mondiale augmentera encore d’un quart d’ici 2045.
« We are racing forward to do our part to avert the “climate hell” that the U.N. Secretary-General so passionately warned about earlier this week » (3).
Si Joe Biden prononce ce mot d’ordre dans son discours devant la conférence mondiale sur le climat à Sharm-el-Sheik, l’UE sait qu’elle doit agir. L’agenda de la politique énergétique de l’UE (4) prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % par rapport à 1990 ; de porter à 32 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique ; d’augmenter l’efficacité énergétique de 32,5 %. Ce sont surtout les Allemands qui jouent les élèves modèles zélés, car « rien n’est plus utile au climat que l’énergie qui n’est pas consommée du tout» (5). C’est ainsi que pense l’Allemand.
L’Américain – encore Joe Biden – pense cependant ainsi: « Folks, we are proving that good climate policy is good economic policy. (Applause.) It’s a strong foundation for durable, resilient, inclusive economic growth. It’s driving progress in the private sector. It’s driving progress around the world » (6).
Revenons à l’idée de base de Hans Hass : pour réussir à survivre, il faut améliorer le solde énergétique. Les Américains essaient de le faire au détriment de l’Europe. Si Joe Biden était honnête, il dirait aux Européens : économisez pour que notre technostructure puisse consommer encore plus d’énergie ! La Grande Bouffe ne fait que commencer !
Course à la suprématie
Selon les estimations, la fabrication et le fonctionnement des appareils numériques représentent déjà 10 % de la consommation mondiale d’électricité. Rien que pour l’utilisation d’appareils numériques, la consommation devrait augmenter de 50 à 80 % d’ici 2030. Ainsi, une étude récente de la Fondation Robert Bosch (7) révèle que la consommation d’énergie d’Alphabet et de Meta a environ triplé au cours des cinq dernières années.
A cela s’ajoute l’augmentation constante des besoins en énergie pour les centres de données, l’épine dorsale de la numérisation. On estime qu’il existe actuellement près de 500 centres de données en Allemagne et plus de 260 en France (plus centralisée que l’Allemagne) (8). Selon une étude de la Commission européenne, la consommation d’énergie des centres de données est passée de 53,9 TWh/an à 76,8 TWh/an entre 2010 et 2018. Selon les estimations moyennes, la consommation d’énergie augmentera encore de 25 % d’ici 2025 pour atteindre 92,6 TWh/an (9).
Mais ce sont les ordinateurs à haute performance, également appelés superordinateurs, qui ont vraiment faim. Ceux-ci ont dépassé le stade des laboratoires de recherche et soutiennent désormais les entreprises du monde entier. Les prévisions estiment le potentiel de croissance du marché de 36,0 milliards de dollars en 2022 à 49,9 milliards de dollars en 2027, avec un taux de croissance annuel moyen de 6,7 % (10). Cette puissance a son prix : un superordinateur typique consomme en moyenne entre 1 et 10 mégawatts pour la puissance et le refroidissement, ce qui équivaut à la consommation d’électricité de près de 10.000 ménages. Le superordinateur le plus puissant à l’heure actuelle, le Fugaku japonais, consomme 30 mégawatts par jour – autant que 175.000 ordinateurs de bureau traditionnels – et nécessite d’énormes quantités d’eau pour son refroidissement (11).
La course à la machine miracle la plus rapide et la plus puissante a commencé depuis longtemps. L’énergie déployée est énorme, car on en attend un instrument de domination efficace et global. Le récent échec de la puce quantique Sycamore montre à quel point cette course est paradoxale et à quel point le gaspillage d’énergie est aberrant : en 2019, Google a célébré le fait que Sycamore avait résolu une tâche spéciale en 200 secondes, ce qui aurait pris 10.000 ans à d’autres superordinateurs. Une équipe de physiciens chinois a résolu le même problème en 15 heures avec 512 GPU (12), en utilisant une approche méthodologique différente.
L’expert russe en IA Anton Kolonin l’a bien résumé dans un commentaire récent (13) :
« Le fait est que toutes les solutions modernes basées sur des architectures informatiques classiques modernes, y compris les réseaux neuronaux artificiels implémentés sur des “unités centrales”, des systèmes multiprocesseurs multicœurs et même des cartes graphiques, présentent à la fois une consommation d’énergie extrêmement élevée et un degré de parallélisation extrêmement faible par rapport aux caractéristiques de calcul du système nerveux central des animaux. Les systèmes informatiques modernes, même ceux dont l’intelligence n’est pas encore comparable à celle des mammifères, dépassent déjà de plusieurs ordres de grandeur la consommation électrique du cerveau humain biologique. »
Instruments de domination de la technostructure
Nous savons donc que l’énergie consacrée au développement de ces superordinateurs dépasse probablement tout ce que l’on pouvait imaginer jusqu’à présent. Et nous savons aussi que l’homme est visiblement encore loin d’avoir atteint son objectif de créer une véritable « intelligence artificielle ». Yann LeCun, spécialiste IA en chef chez Meta, a récemment fait une remarque très lapidaire à ce sujet (14) :
“Vous savez, nous n’en sommes pas au point où nos machines intelligentes ont autant de bon sens qu’un chat. Alors, pourquoi ne pas commencer par là ? Qu’est-ce qui permet à un chat d’appréhender le monde qui l’entoure, de faire des choses assez intelligentes, et de planifier et de faire des choses comme ça, et des choses encore meilleures ? “
Nous avons ainsi appris que nous devons économiser l’énergie pour que la technostructure dispose de suffisamment de ressources. Nous avons compris qu’il s’agit de développer des machines dont l’utilisation et le contrôle promettent un pouvoir de domination. Nous savons, depuis la promotion inconditionnelle et sans précédent de la technologie ARNm, que les États et leurs institutions sont corruptibles. Pour améliorer le solde énergétique de Big Pharma, des millions de personnes doivent faire des concessions – elles le paient de leur santé, peut-être même de leur vie.
Il s’agit maintenant d’améliorer le solde énergétique de la technostructure. Et une fois de plus, ce sont les États et leurs institutions qui se mettent au service de la mauvaise cause. Le changement climatique et la guerre en Ukraine servent de prétexte pour priver les gens d’énergie, au sens propre du terme. Cette fois, nous le payons par l’inflation, la récession, la dépossession rampante, l’appauvrissement et la dépendance croissante vis-à-vis des tentacules numériques de la technostructure.
J’ai dit au début que dans chaque instrument de domination, la promesse de salut et l’oppression sont étroitement liées. Pour conclure cette première partie, j’aimerais vous présenter le projet Norn.ai (15), qui représente de nombreux projets. Vous devez en effet savoir quel nouveau monde merveilleux vous attend si vous vous comportez maintenant de manière appropriée ! Il s’agit d’un projet de recherche sur l’intelligence collective dont l’objectif est d’améliorer l’humanité par le biais de systèmes d’intelligence collective, de conseils politiques et de gouvernance électronique. Le cerveau principal, le transhumaniste avoué David J. Kelley (16), trouve en effet que la communication politique prend trop de temps, est sujette à des erreurs et est incomplète. Ses bases de données de graphes pourraient communiquer entre elles rapidement et sans perte, et ce 24 heures sur 24. En plus de tous les avantages pour les autorités locales et régionales, de nombreux avantages nationaux pourraient être obtenus, tels que des conseils en politique étrangère, le commerce international, l’immigration, la réforme fiscale et de nouvelles possibilités de coopération avec d’autres nations utilisant des systèmes Norn (17).
Maintenant que nous savons, grâce à Yann LeCun, que nos machines intelligentes n’ont pas encore autant de bon sens qu’un chat, nous ne devrions probablement pas laisser les bases de données graphiques de la technostructure façonner notre société. Vous lirez prochainement dans la deuxième partie de cet article où et comment notre société peut améliorer son solde énergétique et quelles suggestions nous pouvons tirer de Hans Hass.
(1) Hans Hass : Energon. Le commun caché. Fritz Molden (éditeur), 1970
(2) https://yearbook.enerdata.net/
(3) https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/11/11/remarks-by-president-biden-at-the-27th-conference-of-the-parties-to-the-framework-convention-on-climate-change-cop27-sharm-el-sheikh-egypt/
(4) https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/68/energiepolitik-allgemeine-grundsatze
(5) https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/eu-energieminister-schwaechen-energiesparziele-fuer-gebaeude-ab-18413552.html
(6) https://www.whitehouse.gov/briefing-room:speeches-remarks/2022/11/11/remarks-by-president-biden-at-the-27th-conference-of-the-parties-to-the-framework-convention-on-climate-change-cop27-sharm-el-sheikh-egypt/
(7) https://www.bosch-stiftung.de/de/publikation/digital-reset
(8) https://fr.statista.com/infographie/24147/pays-avec-le-plus-de-data-centers-centres-de-donnees/
(9) https://cloud-computing.developpez.com/actu/310748/La-consommatio-d-electricite-des-datacenters-dans-l-Union-europeenne-pourrait-atteindre-jusqu-a-98-5-TWh-d-ici-2030-selon-une-etude-menee-par-la-commission-europeenne/
(10) https://www.businessinsider.in/tech/enterprise/news/supercomputers-have-become-faster-and-more-powerful-but-making-them-energy-efficient-is-the-need-of-the-hour/articleshow/92495353.cms
(11) https://www.jumpstartmag.com/how-supercomputers-are-affecting-the-environment/
(12) graphics processing unit
(13) https://russiancouncil.ru/analytics-and-comments/analytics/v-chem-sila-silnyy-ii/
(14) https://www.zdnet.com/article/metas-ai-guru-lecun-most-of-todays-ai-approaches-will-never-lead-to-true-intelligence/
(15) https://norn.ai/eureka-moments-on-the-road-to-agi/
(16) https://iamtranshuman.org/2019/11/07/david-j-kelley/
(17) https://norn.ai/government/
Article très intéressant qui montre la fuite en avant du processus cybernétique total et l’impasse où mène ce dernier. L’expression “course à la machine miracle” fait particulièrement sens, dans la mesure où est ainsi formulée de manière implicite la nature religieuse de ce processus. Etonnant paradoxe, l’idéologie mécaniciste et matérialiste, qui sous-tend le projet cybernétique, repose sur des postulats de type religieux (notamment “la promesse de salut”).
Un petit rectificatif : “En juillet 2021, la Commission européenne a adopté le « European green deal » prévoyant la poursuite d’objectifs climatiques ambitieux : – 55% de réduction de gaz à effet de serre à horizon 2030 (« fit for 55 »), et atteinte de la neutralité carbone pour tous les acteurs économiques en 2050.
En France, ces objectifs devraient être repris dans la future Stratégie Française pour l’Energie et le Climat (SFEC), qui sera l’objet d’un projet de loi de programmation soumis au parlement au premier semestre 2023 pour une adoption en juillet” :
https://www.lecese.fr/actualites/forum-des-scenarios-au-cese
https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr
On remarquera que cette décision a été prise avant le 24 février 2022.
L’hiver 2023/2024 sera difficile disent certains infuenceurs faute de gaz pour se chauffer. Les nezs vont couler, les gorges grattées, … Comment fera t-on sans antibiotique dont la pénurie est déjà annoncée ?
Je complète en transmettant ce lien concernant la Session 4 de la COP 27 : Les actifs de l’environnement numérique, la monnaie programmable et l’avenir de la finance climatique : https://www.youtube.com/watch?v=AH3PGeeUfJk&t=462s
– Michael Sheren, ancien conseiller supérieur de la Banque d’Angleterre à la COP27 :
« Le carbone sera très similaire à une monnaie”.
« Nous commençons à réfléchir à la possibilité de fixer un prix sur l’eau, sur les arbres, sur la biodiversité …»
Mais qui a dit : “la communication est enfin parvenue à la pureté unilatérale où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise”.