La classe politique française est en train de tourner un remake de "Titanic". Elle est dans un déni complet de la réalité. Durant la soirée électorale du second tour des élections régionales, on a eu droit à "On a gagné" (LR), "Ce n'était pas notre élection" (LREM) et "la démocratie est en crise" (RN). Mais jamais: nous devons écouter le terrible désaveu que nous infligent les Français. Une classe politique de plus en plus sourde aux messages des Français fait comme ce déni de réalité pouvait durer indéfiniment. Le réveil sera dur et il pourrait bien survenir dès l'élection présidentielle.
A quelques détails près, la soirée électorale des élections régionales aurait pu se tenir en 2015, 2010 ou 2004. Qui aurait pu deviner, arrivant de l’extérieur et entendant, par exemple, Brice Hortefeux, fidèle de Nicolas Sarkozy, faire la leçon à Philippe Ballard du Rassemblement National, que les présidents de conseils régionaux LR (ou apparentés) sortants et réélus ont atteint leur objectif avec à peine plus de 15% des électeurs inscrits et l’abstention de deux électeurs sur trois? Qui aurait pu se douter que nous avions affaire aux membres d’un gouvernement qui a porté la dette publique du pays à 120% du PIB lorsque nous entendions des ministres, sur les plateaux, deviser aimablement sur leur découverte de la vie politique de terrain et le fait que LREM soit un parti encore jeune, “pas encore enraciné”? Qui se douterait que le Rassemblement National est plongé dans une crise terrible lorsqu’on entendait ses représentants disserter sur la crise de la démocratie comme s’ils en étaient spectateurs?
Deux Français sur trois, ça vous rappelle quelque chose?
Au commencement, il y avait le rêve giscardien de rassembler “deux Français sur trois” dans une “démocratie apaisée”. Malgré sa défaite à l’élection présidentielle de 1981, l’ancien président en fit même la théorie dans un livre paru en 1984. Le monde était à cette époque en train de basculer dans la “révolution libérale” des années 1980. Ni Giscard, confronté aux chocs pétroliers, ni ses deux successeurs, François Mitterrand (1981-1995) et Jacques Chirac (1995-2007) ne comprirent dans quelle mutation le monde était plongé. Tous les trois prétendirent faire adhérer la France à une Europe plus intégrée et l’ouvrir au monde sans encourager une révolution entrepreneuriale à l’intérieur ni investir massivement dans l’éducation. Au contraire, ils cassèrent avec obstination, à partir de la réforme Haby, le système français d’enseignement secondaire. Ils choisirent, plutôt que l’investissement massif dans l’informatique et la robotique, la solution de facilité de l’immigration de masse ou les délocalisations d’usines. Et le pays commença à se défaire.
Pendant longtemps la montée du Front (aujourd’hui Rassemblement) National fut le thermomètre de la crise toujours plus profonde du pays. En 2002 eut lieu un terrible choc pour la classe politique: Jean-Marie Le Pen était passé devant le candidat socialiste. Jacques Chirac en ayant profité pour être triomphalement réélu, le déni de réalité reprit; un temps troublé, il est vrai, par l’énergie de Nicolas Sarkozy, qui eut des velléités de changer les choses. Mais le successeur de Jacques Chirac n’eut pas le courage de braver l’impopularité médiatique et il abandonna ses objectifs ambitieux de contrôle de l’immigration. Ce qui suivit, nous le connaissons bien: nouvelle montée en puissance du Front/Rassemblement National sous l’impulsion de Marine Le Pen, l’héritière. Réédition burlesque et brève, avec François Hollande, du mitterrandisme; puis chant du cygne du giscardisme réincarné en Emmanuel Macron, “libéral, centriste et européen”.
Entretemps, le tissu social est de plus en plus déchiré. La part de l’industrie dans la population active française est tombée à 10% (la moitié de l’Allemagne). Emmanuel Macron a bien réalisé le rêve giscardien d’être “élu au centre” par “deux Français sur trois”; sauf qu’il y eut au second tour de l’élection présidentielle de 2017, un Français sur trois à ne pas voter. Et que l’actuel président a en fait été élu par un Français sur trois. Son quinquennat a été si chaotique qu’à moins d’un an de son éventuelle campagne pour une réélection, le président Macron doit constater que c’est maintenant toute la classe politique qui se partage les suffrages d’un tiers des votants, son propre parti n’attirant, à ce scrutin régional, que 3% des inscrits.
L'erreur capitale de Marine Le Pen a fait glisser du vote protestataire à l'abstention
Pendant longtemps, le Front/Rassemblement National était traité par le reste de la classe politique comme un bouc émissaire mais il assumait bien son rôle de rassembleur du vote protestataire. Marine Le Pen, constatant que son père n’avait jamais dépassé 20% des suffrages, a jugé utile de proposer au système politico-médiatique une “dédiabolisation” de son parti. C’est une erreur capitale: l’establishment continue à utiliser le Rassemblement National comme un repoussoir. Toute l’énergie que la présidente du parti met à adopter les codes d’une tribu qui la déteste, elle ne la passe pas à travailler pour la France qui crée de la richesse et qui est accablée de règlements et d’impôts. Et elle n’est plus le porte-voix des petits, des laissés-pour-compte, de cette France populaire qui n’est plus protégée depuis quatre décennies. Elle perd donc sur tous les tableaux et confirme qu’il est improbable qu’elle puisse un jour gouverner. Ce faisant, Marine Le Pen a contribué, elle aussi, à l’abstention. On est même dans une situation absurde où des gens qui se disent de droite, comme Xavier Bertrand ou Renaud Muselier sont prêts à s’allier au pire gauchisme pourvu qu’ils puissent être reconduits dans leurs fonctions. Et pour autant, le Rassemblement National perd des électeurs ou ne les mobilise plus.
La démocratie ne peut fonctionner qu’avec une “droite” et une “gauche” qui ne soient pas de simples étiquettes. Avec des hommes politiques qui fassent ce qu’ils disent et qui disent ce qu’ils font. Avec un pouvoir protecteur des petits et des humbles et sans complaisance pour les puissants qui cherchent à le confisquer à leur profit. Mais il semble bien que la classe politique française de 2021 ait passé le stade de se réformer elle-même.
Le Titanic continue sa course vers l’iceberg de la réalité.
Effectivement Husson , belle mascarade, nous avons atteint des sommets dans le déni.
Assez marrant que la presse comptabilise les quelques voies de Pécresse et Bertrand comme étant à droite ou mieux encore LR, ils ne sont plus encartés LR !
À gauche, c’est pire encore, un amalgame douteux d’autoproclamés socialistes, tous élus grâce à un assemblage hétéroclite d’écolo, de LFI, de communistes, d’animalistes, de wokistes.
Ceci dit, aucune surprise, d’où l’abstention qui en découle, ces gens sont des imposteurs et ce depuis leurs couches culottes.
Le RN ? une erreur, une anomalie dans le tableau, une rente familiale, des incapables mais pas plus que les autres. Marine Le Pen a le chic pour tomber à côté de la plaque, ce que personne ne dit, et qui a le plus plombé le RN, c’est sa position sur Covid. Ils sont dans le clan des enfermistes, ils sont alignés millimétriquement sur la position du gouvernement et, pire que tout, parlent d’écologie. Tout ceci ne parle pas à l’électorat RN.
Considérez aussi que les jeunes (18/30 voire 35 ans) ne votent pas et n’ont jamais voté pour 90% d’entre eux, et ne voteront probablement jamais. D’ici 10 ans, que croyez vous qu’il se passera ?
Vous faites un diagnostic juste. Merci de votre attention à mon article.
Je suis malheureusement d’accord avec votre analyse …
“La démocratie ne peut fonctionner qu’avec une « droite » et une « gauche » qui ne soient pas de simples étiquettes.”
Pour commencer, ce pays n’a _jamais_ été une démocratie qui, tout comme le libéralisme, nécessite que tout le monde soit égal devant la même loi et non-pas qui devant un code civil et qui devant un code administratif – ensuite, le fait que pause-caca ait voulu casser le clivage droite-gauche est une excellente chose, puisque les gens s’en sont emparés, mais pas dans le sens où l’impétrant l’aurait voulu, ils en ont (enfin) profité pour comprendre qu’ils se faisaient balader depuis +50 ans avec un soi-disant clivage qui ne servait que les intérêts des poliotiques eux-mêmes.
En conséquence, “le système” est déjà mort et ne tardera pas à être enterré – il est donc temps de finir de le détruire du sol au plafond et de creuser de nouvelles fondations, mais pas sur de la boue cette fois-ci – et ça commence par une constitution citoyenne bien pensée pour ne pas changer tous les quatre matins au gré des représentants du peuple qui ne représentent que leurs propres petits intérêts cupides et porcins.
“La démocratie ne peut fonctionner qu’avec une « droite » et une « gauche » qui ne soient pas de simples étiquettes.”
Tout simplement parce que l’équilibre démocratique ne s’obtient que par la tension entre un parti dominant au pouvoir et un parti opposant minoritaire. C’est une règle universelle des démocraties.
S’il n’y a qu’un parti, c’est une dictature.
Quand il n’y a plus de journalistes i de contradicteurs autres que les “Voix de son Maître” mais une doxa professionnelle de la pensée unique, c’est une dictature.
Quand la critique de la pensée unique est interdite, même si la pensée unique dit une bêtise grosse comme elle, c’est une dictature.
Quand la vérité des faits est contredite par la pensée unique majoritaire même si la vérité des faits est constatée par tous, c’est une dictature.
Quand les fast-checkers discréditent tout fait, opinion, vérité scientifique contraires à la doxa, c’est une dictature.
En conclusion, nous sommes en dictature.
Le seul détail qui manque pour compléter le tableau, c’est la mort, parce que la peur, elle est déjà là.
Mais la vaccination de masse qui crée de multiples variants plus dangereux que l’original, qu’est-ce ?
De la philanthropie ?
« L’URSS est le pays du mensonge intégral. Staline et ses sujets mentent toujours, à tout instant, en toutes circonstances, et à force de mentir ne savent même plus s’ils mentent. Ils baignent dans une atmosphère saturée de mensonge. Et quand chacun ment, personne ne ment plus en mentant. Là où tout ment, rien ne ment (…) Unique réalité : la terreur qui décompose les esprits et empoisonne les consciences. »
en 1938 in La vie Intellectuelle
Boris Souvarine (1895-1984), militant politique, journaliste, historien et essayiste russe naturalisé français
Très bon analyse cet article… la seule info à considérer très sérieusement : 2/3 d’abstentions….. et nos politicards qui se congratulent et ne voient rien venir..,.., ça va saigner de désespoir aux présidentielles si aucun nouveau programme crédible de droite n’émerge, avec en même temps toujours encore plus de fumée de gauche écolo bolivarienne archaïque. Il faut s’attendre à des mouvements de rue encore stériles que la classe politique va bien sûr anesthésier avec quelques aumônes…Pays non réformable tant que personne ne sera capable de réduire de moitié la sphère publique ( élus, fonctionnaires, rentiers des marchés protégés, etc….) Au boulot ce pays trop gâté !
« Ce que l’Etat encourage dépérit, ce qu’il protège meurt. »
Paul-Louis Courier (1773-1825), pamphlétaire français
Je préfère la version moderne par Ronald Reagan : “Les États ont une vision très sommaire de l’économie. Si ça bouge, taxe la. Si ça bouge encore, régule la. Si ça cesse de bouger, subventionne la”.
Marine a choisi le déshonneur et elle a eu la guerre? Je l’ai écrit dans BVoltaire il y a cinq ans. Mais il ne faut pas croire au soulèvement. Et si on pariait plutôt sur un radeau de la méduse pour le futur français ?
Belle et consternante analyse.
Donc, avec tous ces éditorialistes, commentateurs, pas de solution pérenne. Attendons. Mais attendons quoi ? Il ne peut en sortir , mais à quel moment , qu’un désordre s’amplifiant quand la manne pécuniaire distribuée par l’état au peuple cessera, ce qui ne saurait tarder. Et le peuple, quand il ne peut plus croûter, se révolte. Et chez nous, ce sera l’anarchie. Qu’en sortira t’il, bien malin qui pourrait le prédire. Attendons donc, disais-je.