Le fait que la justice américaine applique actuellement à FTX certaines des procédures (« clawback lawsuits ») qui avaient jadis servi à l’indemnisation des victimes de Bernard Madoff pourrait laisser penser que le cas Bankman-Fried n’est qu’un numéro de plus de la longue série d’arnaques qui portent le nom de l’auguste fondateur du genre : Ponzi.
Une telle déduction ne serait pas absolument fausse, mais ne rendrait pas justice au génie de Sam Bankman-Fried et de son petit groupe d’ex, copains, copines et colocataires (sur le modèle de la série Friends) : ces représentants de la jeunesse dorée de l’Amérique littorale, dont aucun n’avait 30 ans au moment des faits, ont réellement renouvelé le genre – par ce qu’on pourrait appeler une révolution brechtienne. Introduisant son concept de « distanciation » (Entfernung), le dramaturge et metteur en scène Berthold Brecht, en rupture diamétrale avec les principes de Stanislavski, s’était mis à demander aux acteurs d’exhiber aux yeux du spectateur leur nature d’acteurs jouant un rôle, prétendant incarner une personne qu’ils ne sont pas.
Avec FTX, Bankman-Fried fait entrer l’arnaque dans son âge réflexif
C’est le principe qu’a appliqué – peut-être à son insu – l’équipe FTX.
D’abord, par le choix du « produit » : la crypto, qui reproduit dans un cadre privé l’apesanteur de la valeur typique de l’émission fiduciaire des banques centrales : l’argent sort du néant – mais sans même présupposer l’existence d’un Etat à endetter ad aeternam en contrepartie. Le pigeon était littéralement prévenu qu’il achète le plus polluant des équivalents du vent : des lignes de programmation.
Ensuite et surtout : en mettant au point un marketing spécifique, largement basé sur la philanthropie. Qu’il s’agisse de sauver l’humanité de la grippe (par exemple à travers l’ONG Guarding Against Pandemics, gérée par le cadet de Bankman) ou les Ukrainiens de la « barbarie russe », les friends de FTX, dans leur chasse au pigeon, ont surfé sur toutes les vagues de bonne conscience médiatique de l’époque. Au point d’en tirer une sorte de doctrine politique (celle du mouvement dit effective altruism), qui, pour citer le New-York Times, propose aux gens de « se dessaisir de leur patrimoine d’une façon efficace et logique ». Voilà un programme qui, dans le cas des « investisseurs » de FTX, aura été respecté à la lettre.
https://storage.courtlistener.com/recap/gov.uscourts.deb.188450/gov.uscourts.deb.188450.574.0.pdf
La liste des créanciers de FTX…. Beaucoup d’établissements publics américains…