Sauver la planète tout en ratifiant le CETA, qui devrait intensifier les échanges de marchandise à travers l’Atlantique? C’est l’amusant paradoxe de la bien-pensance dominante, qui le même jour accueille Greta Thunberg à l’Assemblée Nationale et de façon schizophrénique valide un traité à rebours des déclarations de bonnes intentions. Plus le temps passe, plus la religion de l’écologie ressemble au catholicisme de la Renaissance: on peut être croyant, sans être pratiquant…
Sauver la planète est devenu l’ambition à la mode, qu’il faut professer la main sur le cœur à chaque coin de rue et à chaque fin de phrase. Canicule record aidant, plus personne ne peut échapper au nouveau dogme imposé par la bien-pensance officielle: il faut lutter contre le réchauffement climatique, d’origine forcément humaine, aux conséquences désastreuses à très court terme. Nous ironisions dans notre dernière édition sur l’inlassable éloge des locavores qu’on entend désormais dans les beaux quartiers parisiens comme une antienne jaculatoire supposée protéger des mauvais esprits.
Sauver la planète ? oui, mais pas trop…
Bref, il est de mauvais goût, désormais, de consommer en hiver des raisins venus par avion du fin fond de l’Afrique du Sud, ou des fruits tropicaux dont la livraison sur nos marchés opulents provoque la fonte des neiges.
Les mêmes qui nous assènent ces leçons de culpabilité trouvent toutefois de bonnes raisons pour amorcer inlassablement la pompe du libre-échange, qui, par sa nature même, favorise la circulation planétaire des marchandises. C’est ainsi que les députés qui recevaient Greta Thunberg le matin à l’Assemblée Nationale pour l’entendre déclarer:
Au lieu de nous encenser, essayer d’agir…
se précipitaient l’après-midi dans l’hémicycle pour adopter le CETA, le traité de libre-change avec le Canada qui devrait favoriser l’importation en Europe de dizaines de milliers de tonnes de viande d’outre-Atlantique. Curieuse façon de lutter contre les gaz à effets de serre.
Même au sein de LaRem la mascarade fait ricaner
La contradiction entre la foi et les actes est devenue si flagrante que les députés marcheurs, pourtant godillots parmi les godillots, ont peiné à jouer la comédie. 52 d’entre eux ont fait défection au moment du vote. Du coup, le CETA n’a été adopté qu’à une courte majorité: 266 pour et 213 contre.
Péniblement réélu cette semaine à la présidence de son groupe parlementaire, Gilles Le Gendre s’est fendu d’un beau discours d’instituteur pour critiquer ce lâchage en règle:
Un vote contre sur un texte porté par le gouvernement et surtout sur lequel la majorité a énormément travaillé depuis deux ans, c’est une contrariété. Ces peurs liées au risque écologique, climatique, sanitaire […] agitent nos concitoyens avec une intensité telle qu’il est extrêmement difficile de s’y opposer par les seuls arguments de la raison.
La citation vaut son pesant de cacahuètes venant d’une institution qui avait invité le matin une enfant pour évoquer le sujet.
Petits mensonges entre amis qui veulent sauver la planète
La semaine du vote a donné l’occasion d’une belle polémique sur la possibilité désormais ouverte d’importer du bœuf nourri aux farines animales, dont on sait qu’il causa en son temps l’épidémie de « vache folle ». Alors que le ministère de l’Agriculture soutenait que la viande canadienne ne comportait aucun risque sur ce point, la presse a fini par démonter l’erreur…. ou le petit mensonge entre amis.
Dans la pratique, l’Europe s’apprête donc à importer chaque année 65.000 tonnes de bœuf canadien (pour une consommation annuelle de 400.000 tonnes sur le continent, soit environ 15% de son marché) possiblement toxique, tout cela au nom du sauvetage de la planète, bien entendu. Les éleveurs français, déjà éprouvés par la concurrence européenne, s’apprêtent au pire sur le marché de l’aloyau, où les Canadiens produisent moins cher grâce à une industrialisation outrancière.
Il faut être aussi rationnel que Gilles Le Gendre pour comprendre comment le discours écologique d’Emmanuel Macron se concilie avec cette démultiplication des échanges commerciaux forcément productrice de gaz à effets de serre. Encore cela n’est-il rien comparé aux enjeux du traité avec l’Amérique du Sud, où le Brésil déforeste massivement son territoire pour cultiver du fourrage pour ses fermes monstres.
L’infantilisation de l’opinion comme solution
Après la Crise des Gilets Jaunes, on comprend que l’infantilisation de l’opinion avec la mise en avant d’icônes comme Greta Thunberg, elle-même enfant parlant aux adultes comme à des enfants, est devenue une méthode de gouvernement qu’Emmanuel Macron imagine être commode. D’un côté, les bonnes âmes ramenées au rang d’une forme de crétinisme choisi à qui l’on sert des bons sentiments en guise de pensée politique. De l’autre, les élites qui concoctent dans leur coin des politiques qui sont autant d’injonctions paradoxales justifiées à coups de « mais soyez rationnels et obéissez ».
Avec le CETA et Greta Thunberg, on a poussé plus loin que jamais la farce politique. Ceux qui appellent à la raison sont ceux qui en ont le moins, mais sont aussi ceux qui stigmatisent le plus la rationalité chez les autres. Il est évident que les 52 parlementaires marcheurs qui ont voté contre un texte à rebours de la nouvelle religion officielle avaient raison du point de vue de la cohérence intellectuelle. On ne peut être à la fois pour le sauvetage de la planète et pour la multiplication des échanges polluants.
Il faut se demander pourquoi les prétendus zélateurs de la « raison » s’opposent tant à son application. Peut-être tout simplement parce que la raison est la chose du monde la moins partagée par nos élites pédantes.