Les cabinets ministériels continuent-ils à être l’angle mort de la démocratie française? Après de nombreuses affaires laissant planer le soupçon d’utilisation délictueuse des “enveloppes” en liquide sortie des coffres-forts des ministres (jusqu’à l’affaire Guéant, dans les années 2000), le pouvoir exécutif a dû adopter de nombreuses mesures de “transparence”. Mais, les zones d’ombre persistent. C’était l’objet d’un colloque organisé par Acteurs Publics, dont les images méritent d’être regardées en filigrane, tant elles indiquent que la pratique des “clandestins” continue à poser problème.
Beaucoup de mesures ont été prises depuis le début des années 2000 pour rendre le fonctionnement des cabinets ministériels transparent. En particulier, les primes de cabinet ont cessé d’être payées en liquide et sont en principe programmées en loi de finances. En principe? Tout le problème est ici… car les cabinets ministériels continuent d’employer des “clandestins”, c’est-à-dire des personnalités extérieures à l’enveloppe officielle des cabinets.
Ces clandestins ne le sont souvent qu’à moitié. L’exemple le plus récent et le plus célèbre est celui de Philippe Grangeon, communiquant proche de la CFDT qu’Emmanuel Macron a utilisé au mois de février comme conseiller. Officiellement, Grangeon n’a pas été recruté par l’Élysée, et ne fait pas partie des effectifs du cabinet. Et pourtant, il a activement collaboré à la vie de l’Élysée.
Mais le cas le plus fréquent est celui des fonctionnaires “prêtés” par leur direction d’origine au cabinet d’un ministre. Ces fonctionnaires demeurent facialement dans les effectifs de leur direction, ils continuent à peser sur le budget de leur direction, et c’est à celle-ci d’ajuster (ou non) les primes des intéressés pour tenir compte de leur promotion. Ce phénomène des clandestins est nourri par la limitation, imposée par Emmanuel Macron, des effectifs des cabinets ministériels. Compte tenu du fort volant de missions exigées par l’Élysée, les ministres ne peuvent se satisfaire de six conseillers. La tentation de demander aux directions de mettre discrètement à disposition des techniciens est donc forte.
Cette situation est la pire. Elle politise en profondeur la fonction publique. Et elle crée des cabinets bis qui échappent complètement au contrôle du Parlement.
Cette pratique de mise à disposition “officieuse” de fonctionnaires pour les cabinets est très problématique. Ainsi quand François Hollande vint au gouvernement, plus d’une vingtaine de membres de l’inspection générale des affaires sociales ont été mis à disposition des cabinets. Il a fallu que le ministère crée une dizaine de postes de contractuels pour que l’IGAS continue à fonctionner.
Le problème de ces échanges de bons procédés est qu’ils se passent surtout avec les corps de contrôle et les juridictions (cour des comptes, conseil d’Etat, inspection des finances, IGAS, IGA) car ce sont des services dans lesquels on peut facilement rentrer, sortir.
Mais du coup, l’indépendance des membres de ces services est fortement obérée. Car comme le dit l’adage anglais, “La justice ne doit pas seulement être indépendante, elle doit avoir les apparences de l’indépendance”.