A quoi pourrait ressembler une conférence de paix pour l’Ukraine

Hier nous vous expliquions que le Chancelier Scholz commençait à peser en faveur d'une conférence de paix pour l'Ukraine. Et nous vous expliquions qu'il était encore très loin de ce que prévoit la Russie. Pour avoir plus de détails sur les exigences de cette dernière, il faut se reporter au discours qu'a tenu Vladimir Poutine lors du 9ème forum économique d'Extrême-Orient. Comme le Chancelier allemand Bismarck en son temps, Vladimir Poutine annonce toujours ses intentions.

epa10167200 A handout photo made available by the TASS Host Photo Agency shows Russian President Vladimir Putin gestures on the sidelines of the 2022 Eastern Economic Forum (EEF) in Vladivostok, Russia, 07 September 2022. EPA-EFE/VALERY SHARIFULIN/TASS Host Photo Agency HANDOUT HANDOUT EDITORIAL USE ONLY/NO SALES

Systématiquement, depuis le début de la Guerre d'Ukraine, les chancelleries et les médias occidentaux refusent d'écouter ce que déclare Vladimir Poutine. Pourtant, s'ils le faisaient, ils pourraient bien mieux ajuster leur propre stratégie.

Commençons donc par citer les extraits concernant une possible négociation de paix en Ukraine, lors de l'intervention de Vladimir Poutine au 9ème forum économique de Vladivostok.

Ce qu'a déclaré Poutine concernant des négociations de paix

Alexandra Suvorova : Vous avez dit que Kiev pourrait accepter de discuter avec la Russie après l'échec de sa provocation dans la région de Koursk. Il s'avère donc qu'il y avait, après tout, quelques perspectives de solution pacifique avant cela ? Vladimir Poutine : Nous en avons parlé à maintes reprises. Nous avons coordonné pratiquement tous les paramètres d'un éventuel accord de paix avec les représentants du gouvernement de Kiev. Qui plus est, le chef de la délégation de Kiev aux pourparlers - il dirige toujours la faction du parti au pouvoir au parlement, la Verkhovna Rada - a paraphé ces accords. Bien sûr, il a fallu préciser certains points, mais dans l'ensemble, il s'agissait d'un document officiel signé. [ N.B. Vladimir Poutine fait allusion aux négociations d'Istanbul en mars 2022] Ensuite, M. Johnson est arrivé à Kiev - c'est un fait connu, et les autorités britanniques le confirment -, il est venu et a ordonné aux Ukrainiens de se battre jusqu'au dernier Ukrainien, ce qui est le cas aujourd'hui, afin d'infliger une défaite stratégique à la Russie. Mais c'est un échec. Les autorités ukrainiennes officielles ont déclaré publiquement que si elles avaient fait ce que nous avions convenu avec elles au lieu d'obéir à leurs maîtres d'autres pays, la guerre aurait pris fin il y a longtemps. Mais elles ont choisi une autre voie, et vous pouvez en voir le résultat. Sommes-nous prêts à négocier avec eux ? Nous ne l'avons jamais refusé. Cependant, ce n'est pas sur la base de quelques demandes éphémères, mais sur la base des documents qui ont été convenus et initialisés à Istanbul. Alexandra Suvorova : Avez-vous une idée de quel pays pourrait être le médiateur cette fois-ci, si les pourparlers se poursuivent ? Vladimir Poutine : Nous respectons nos amis et nos partenaires, que je considère comme sincèrement intéressés par la résolution de toutes les questions liées à ce conflit. Il s'agit principalement de la République populaire de Chine, du Brésil et de l'Inde. Je suis en contact permanent avec nos collègues sur cette question. Je ne doute pas que les dirigeants de ces pays - avec lesquels nous entretenons des relations de confiance - soient réellement désireux d'aider à régler tous les détails de ce processus compliqué, qui, bien sûr, je tiens à le rappeler, a commencé avec le coup d'État en Ukraine en 2014. Après tout, c'est là que tout a commencé ! (...) Alexandra Suvorova : Monsieur le Président, nous comprenons tous parfaitement qu'en général, et vous venez de le mentionner, les négociations sont possibles non pas directement avec Kiev, mais avec ses manipulateurs occidentaux. Mais dans le cas des négociations, pensez-vous que l'on puisse encore leur faire confiance ? Après tout, si nous examinons les faits historiques, nous pouvons dire que la Russie a été trompée plus d'une fois. C'est le cas de l'expansion de l'OTAN vers l'Est et des accords de Minsk. Ce n'est pas nous qui les avons violés. Avons-nous tiré des conclusions ? Vladimir Poutine : Voyez-vous, y a-t-il un autre moyen ? Oui, nous comprenons à qui nous avons affaire. Ce sont des gens qui n'apprécient pas et traitent sans aucun respect les intérêts des autres pays et nations. Malheureusement, de telles personnes existent. Elles rompent facilement tous les engagements qu'elles ont pris, même les documents qu'elles ont signés. Alors, que faire ? Nous devons simplement rechercher des formes et des garanties qui pourraient fonctionner d'une manière ou d'une autre ou dans une certaine mesure. Toutefois, la principale garantie de sécurité est la croissance de l'économie et du potentiel militaire de la Fédération de Russie elle-même, ainsi que des relations fiables et durables avec nos partenaires et alliés. (...) Vous avez dit que nous n'étions pas parvenus à un accord à Istanbul lors des négociations menées sous la médiation du président Erdogan. Mais nous avons réussi à nous mettre d'accord - c'est là toute l'astuce ! - comme en témoigne la signature du chef de la délégation ukrainienne qui a paraphé ce document, ce qui signifie que la partie ukrainienne était globalement satisfaite des accords conclus. Le document n'est pas entré en vigueur uniquement parce que les Ukrainiens ont reçu l'ordre de ne pas le faire. Les élites des États-Unis et de certains pays européens ont ressenti le désir de rechercher la défaite stratégique de la Russie. (...) J'ai parfois l'impression que les personnes à la tête de l'Ukraine sont des sortes d'étrangers. En fait, ils ne réfléchissent pas correctement - je suis sérieux - compte tenu des pertes énormes qu'ils ont subies. Je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire d'autre. Ils devront à nouveau abaisser l'âge de la conscription pour enrôler des enfants, comme l'Allemagne nazie l'a fait avec les Jeunesses hitlériennes. Mais cela ne résoudra rien, vous voyez. Alexandra Suvorova : Il s'agit d'une mobilisation totale, qui va balayer tout le monde. Vladimir Poutine : Leur mobilisation est déjà totale, mais la prochaine étape consistera à appeler les étudiants et ainsi de suite, pour saigner complètement le pays. Je le répète : ils donnent l'impression que les Ukrainiens ne sont pas leur propre peuple. D'une certaine manière, c'est logique : les familles de l'élite dirigeante vivent généralement en dehors de l'Ukraine. Elles peuvent simplement sauter dans un avion et partir. Elles ne pensent pas trop à ce qu'il adviendra de leur pays. Tout ce qu'ils ont fait, c'est tromper les gens avec des slogans nationalistes. Mais permettez-moi de le répéter. Nous n'avons jamais refusé de discuter, mais seulement sur la base des accords qui ont été conclus et paraphés à Istanbul. (...)

Le cadre des négociations à venir se dessine

On peut retenir quatre points très simples des déclarations de Vladimir Poutine:

+ Le président russe souhaite négocier avec un gouvernement qui défende les intérêts du peuple ukrainien et non ceux des Etats-Unis

++ Il faudra bien passer par une entente avec les Etats-Unis; mais elle résultera d'un rapport de forces favorable avec la Russie. C'est donc cette dernière qui choisira le moment des négociations, lorsqu'elle jugera que les garanties qu'elle attend (neutralisation de l'Ukraine, démilitarisation du pays, purge des éléments fascisants) pourront être garantis et les Etats-Unis seront obligés de respecter ce qu'ils auront signé.

+++ Trois pays sont considérés par Vladimir Poutine comme dignes de confiance et donc des médiateurs possibles: le Brésil, la Chine et l'Inde. Comme nous l'indiquions hier à propos du Chancelier Scholz, aucun pays de l'UE ne sera convié ni ne servira de garant.

++++ Le projet d'accord non signé d'Istanbul servira de référence de départ dans la négociation.

Précisions sur les négociations d'Istanbul

On trouve une analyse très précise des négociations d'Istanbul par BNE Intellignews :

Après l'échec d'un premier cycle de négociations au cours du premier mois de la guerre en Biélorussie, le cycle d'Istanbul a débuté le 10 mars, lorsque le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a rencontré son homologue russe, Sergey Lavrov, à Antalya, en Turquie, et a parlé d'une « solution systématique et durable » pour l'Ukraine, ajoutant que les Ukrainiens étaient « prêts à discuter » des garanties qu'ils espéraient recevoir des États membres de l'OTAN et de la Russie. Lors des pourparlers au Belarus, l' Ukraine avait déjà renoncé à ses ambitions vis-à-vis de l'OTAN , inscrites dans la Constitution depuis 2014, et était revenue à sa position de neutralité, qui était auparavant inscrite dans la Constitution. La relation de l'Ukraine avec l'OTAN a joué un rôle clé dans les pourparlers. Kiev a exigé, si elle renonçait à ses ambitions vis-à-vis de l'OTAN, des garanties de sécurité fermes de la part de l'OTAN et de la Russie pour assurer sa sécurité, ce que ses partenaires occidentaux n'étaient pas disposés à accepter. L'OTAN n'avait pas l'intention d'admettre l'Ukraine avant la guerre, alors pourquoi l'accepterait-elle après la guerre? « Les négociateurs ukrainiens ont élaboré une réponse à cette question, mais celle-ci n'a finalement pas convaincu leurs collègues occidentaux, peu enclins à prendre des risques. La position de Kiev était que, comme l'impliquait le concept de garanties émergentes, la Russie serait également un garant, ce qui signifiait que Moscou acceptait essentiellement que les autres garants soient obligés d'intervenir si elle attaquait à nouveau. En d'autres termes, si Moscou acceptait que toute nouvelle agression contre l'Ukraine entraînerait une guerre entre la Russie et les États-Unis, elle ne serait pas plus encline à attaquer à nouveau l'Ukraine qu'elle ne le serait à attaquer un allié de l'OTAN », ont déclaré les auteurs, qui ont obtenu une copie du texte intégral du projet de communiqué, intitulé “Principales dispositions du traité sur les garanties de sécurité de l'Ukraine”. Le 29 mars, les pourparlers ont abouti à une percée. « Le traité envisagé dans le communiqué proclamerait l'Ukraine comme un État neutre permanent et non nucléaire. L'Ukraine renoncerait à toute intention d'adhérer à des alliances militaires ou d'autoriser la présence de bases militaires ou de troupes étrangères sur son sol. Le communiqué cite comme garants possibles les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (y compris la Russie) ainsi que le Canada, l'Allemagne, Israël, l'Italie, la Pologne et la Turquie. Le communiqué précise également que si l'Ukraine est attaquée et demande de l'aide, tous les États garants seront tenus, après consultation avec l'Ukraine et entre eux, de fournir de l'aide à l'Ukraine pour rétablir sa sécurité. « Il est remarquable que ces obligations aient été énoncées avec beaucoup plus de précision que l'article 5 de l'OTAN : imposer une zone d'exclusion aérienne, fournir des armes ou intervenir directement avec la propre force militaire de l'État garant », ont déclaré les auteurs, citant le texte du communiqué. La question de l'adhésion de l'Ukraine à l'UE a été laissée en suspens, mais la Russie n'a pas d'objection de principe à cette adhésion. Le communiqué contient également une autre concession « étonnante » : il appelle les deux parties à chercher à « résoudre pacifiquement leur différend sur la Crimée » dans les dix à quinze prochaines années. La Russie refuse catégoriquement de parler du statut de la Crimée depuis son annexion en 2014. (...) L'échec de l'accord Dans les remarques qu'il a faites le 29 mars, immédiatement après la conclusion des pourparlers, Vladimir Medinsky, le chef de la délégation russe, s'est montré résolument optimiste, déclarant que les pourparlers étaient entrés dans une « phase décisive ». Le lendemain, il a déclaré aux journalistes : « Hier, la partie ukrainienne a, pour la première fois, fixé par écrit sa volonté de mettre en œuvre une série de conditions essentielles à l'établissement de futures relations normales et de bon voisinage avec la Russie ». Ces commentaires sont intervenus alors que la Russie retirait ses troupes de Kiev et mettait fin à l'assaut. M. Medinsky a ajouté : « Ils nous ont remis les principes d'un futur règlement potentiel, fixés par écrit ». (...) Dans son interview de février 2023, l'ancien Premier ministre israélien Nafital Bennett, qui a participé aux pourparlers, a déclaré avoir vu 17 ou 18 projets d'accord au cours de la première semaine d'avril ; le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, a également déclaré en avoir vu au moins un. « Nous avons examiné de près deux de ces projets, l'un daté du 12 avril et l'autre du 15 avril, dont les participants aux pourparlers nous ont dit qu'il s'agissait du dernier projet échangé entre les parties. Ils sont largement similaires mais contiennent des différences importantes, et tous deux montrent que le communiqué n'a pas résolu certaines questions clés », ont déclaré les auteurs. L'une d'entre elles concerne la formulation des obligations des États garants de venir en aide à Kiev en cas de nouvelle attaque contre l'Ukraine. Le Kremlin a insisté sur le fait qu'une telle action ne pourrait avoir lieu que « sur la base d'une décision approuvée par tous les États garants », donnant ainsi un droit de veto à l'envahisseur probable, la Russie, puisqu'elle devait être l'un des garants. L'Ukraine a insisté sur la formule initiale, selon laquelle tous les garants avaient l'obligation individuelle d'agir et ne devaient pas parvenir à un consensus avant de le faire. La Russie a également ajouté plusieurs points que l'Ukraine a refusé de discuter, notamment une demande d'interdiction du « fascisme, du nazisme, du néo-nazisme et du nationalisme agressif » et, à cette fin, l'abrogation de six lois ukrainiennes (en tout ou en partie) qui traitent, de manière générale, d'aspects litigieux de l'histoire de l'ère soviétique, en particulier du rôle des nationalistes ukrainiens pendant la Seconde Guerre mondiale. « Les Russes savaient que ces dispositions rendraient plus difficile l'acceptation du reste du traité par les Ukrainiens. Elles pourraient donc être considérées comme des pilules empoisonnées », affirment les auteurs. Par la suite, Arakhamia a minimisé l'importance de ces dispositions, laissant entendre qu'elles ne constituaient pas une rupture de l'accord. La taille et la structure de l'armée ukrainienne ont également fait l'objet d'intenses négociations, la Russie souhaitant démilitariser l'Ukraine dans une certaine mesure. « Au 15 avril, les deux parties restaient très éloignées sur cette question. Les Ukrainiens voulaient une armée de temps de paix de 250 000 personnes ; les Russes insistaient sur un maximum de 85 000 personnes, ce qui est nettement inférieur à l'armée permanente dont disposait l'Ukraine avant l'invasion de 2022. Les Ukrainiens voulaient 800 chars, les Russes n'en voulaient que 342. La différence entre la portée des missiles était encore plus marquée : 280 kilomètres, soit environ 174 miles, (position ukrainienne), et seulement 40 kilomètres, soit environ 25 miles, (position russe) », écrivent les auteurs, citant la version finale de la proposition de traité. Les pourparlers ont délibérément évité la question des frontières et des territoires, et l'épineuse question de la souveraineté sur la Crimée et les régions occupées du Donbas devait être laissée à des négociations directes lors d'un sommet envisagé entre Poutine et Zelenskiy à une date ultérieure. « Malgré ces désaccords importants, le projet du 15 avril suggère que le traité serait signé dans les deux semaines. Il est vrai que cette date a pu changer, mais cela montre que les deux équipes avaient l'intention d'aller vite », écrivent les auteurs. « À la mi-avril 2022, nous étions très près de mettre fin à la guerre par un accord de paix », a raconté l'un des négociateurs ukrainiens, Oleksandr Chalyi, lors d'une apparition publique en décembre 2023. « Une semaine après le début de l'agression, Poutine a conclu qu'il avait commis une grave erreur et a essayé de faire tout ce qui était en son pouvoir pour conclure un accord avec l'Ukraine. Mais l'accord a été rejeté, car les puissances occidentales sont intervenues par l'intermédiaire du britannique Johnson parce qu'elles étaient plus intéressées par l'affaiblissement de la Russie que par la fin de la guerre, affirme M. Poutine. L'Occident est resté sceptique quant à l'accord, car le communiqué a éludé la question du territoire et des frontières, et les parties sont restées très éloignées sur d'autres questions cruciales. « De plus, un ancien fonctionnaire américain qui travaillait sur la politique ukrainienne à l'époque nous a dit que les Ukrainiens n'ont consulté Washington qu'après la publication du communiqué, même si le traité qu'il décrivait aurait créé de nouveaux engagements juridiques pour les États-Unis, y compris l'obligation d'entrer en guerre avec la Russie si elle envahissait à nouveau l'Ukraine », écrivent les auteurs. « Cette seule stipulation aurait rendu le traité inapplicable pour Washington.

On comprend mieux ce que Poutine a en tête

Reprenons les principaux points soulevés par la négociation d'Istanbul pour éclairer les propos tenus il y a quelques jours par Vladimir Poutine:

+ Les Etats-Unis ne voulaient pas entendre parler de garanties pour une Ukraine neutre et démilitarisée. Conclusion: les Etats-Unis devront accepter les conditions russes. Et le statut de neutralité de l'Ukraine sera garanti par le rapport de forces militaires.

+ L'Ukraine devra accepter une réduction drastique de son armée.

+ La négociation sur les frontières n'avait pas encore commencé. Deux ans plus tard, elle sera menée, donc, à partir du rapport de forces militaires sur le terrain.

+ L'Ukraine devra accepter l'abrogation des lois interdisant l'usage de la langue russe. Les éléments fascisants du régime de Kiev devront être présentés à la justice russe.

Tels sont les points fondamentaux qu'implique la référence de Vladimir Poutine aux accords d'Istanbul.

https://www.youtube.com/watch?v=vffuv6fK3zs&t=113s

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