On reproche beaucoup au gouvernement d’Emmanuel Macron son manque de clarté dans le projet de réforme des retraites, ses atermoiements, et en même temps, bien sûr, l’affichage de sa détermination, fût-ce contre la rue.
Il semble que le problème n’est pas vraiment là : d’une part les rassemblements, la grogne, les soulèvements obéissent à bien d’autres motifs que ceux énoncés par les vieux affidés des syndicats d’une fidélité au modèle dit du CNR (en fait issu des mouvements mutualistes du 19e siècle) et d’autre part, nombre de principes affichés par le président pour justifier sa réforme ne sont que des effets de communication qui ne convainquent personne, ni l’opinion ni même les techniciens des systèmes de retraite.
Des règles mathématiques et un jargon abscons
Peu de gens peuvent comprendre la différence entre une retraite à taux plein et une retraite pleine (entière) ; que les régimes spéciaux obéissent à des règles différentes de celles du régime dit général, mais que certains régimes qui ne sont pas dits spéciaux ont aussi des règles spécifiques ; qu’un système dit à points puisse être un système de capitalisation ou un système de calcul des droits à retraite en fonction des cotisations versées dans un système de répartition. Ou encore, le régime dit des fonctionnaires qui est tout simplement une fiction de caisse de retraite, l’État payant au bout du compte, avec nos impôts, les salaires et les retraites des fonctionnaires et anciens fonctionnaires. Il y a aussi les régimes autonomes et puis encore et j’en passe et des meilleures, les péréquations et compensations démographiques entre régimes.
Au bout du compte, il y a beaucoup de calculs et de transferts, beaucoup de financeurs différents : l’Etat, les collectivités locales, les établissements hospitaliers, c’est à dire la sécurité sociale, mais aussi les caisses de retraite alimentées par des cotisations obligatoires pour part salariée, pour part employeurs. Tout cela étant in fine de l’argent tiré des prélèvements obligatoires quel que soit le nom qu’on lui donne.
Égalité, simplicité, stabilité, une équation impossible
C’est face à cette complexité que Emmanuel Macron a repris dans son programme cette idée vendue par un expert : un euro cotisé, un euro versé, un régime universel, un régime que tout le monde comprendra.
Mais justement, l’égalité, la simplicité, la fluidité, le pragmatisme ne s’obtiennent pas par des règles de calcul.
Quelle égalité ?
Le slogan de campagne était apparemment lumineux : à chaque euro cotisé, la même part de retraite versée.
On avantage donc les hauts salaires, ce qui ne laisse pas d’inquiéter les bas salaires, dès lors que leur retraite serait calculée sur la base de toutes leurs cotisations, donc de tous leurs salaires ; mais surtout est-ce que toucher une retraite proportionnelle aux cotisations versées est une garantie d’égalité du système ? Ne faudrait-il pas prendre en compte l’espérance de vie à l’âge de la retraite ? un principe qui sous-tendait les premiers systèmes de retraite, mis en place pour les marins, les mineurs, les cheminots, toutes professions dont le travail amputait l’espérance de vie. Rappelons-nous l’adage : « femme de mineur, femme de seigneur », les mineurs et donc leurs veuves touchaient tous la même retraite « achetée » par les accidents, maladies et usures de ce métier. Sans parler de la pénibilité des annuités travaillées, des différences de reste à vivre après paiement des charges qui explique bien sûr les réactions différentes par rapport aux augmentations de cotisations. Il n’y a bien sûr pas d’égalité autre que comptable.
Un système « juste » n’est jamais simple
Dès lors que l’on se situe dans une économie de marché dans laquelle la rémunération du travail est pour large part dépendante du marché du travail, la notion de justice des transferts sociaux basés sur ces rémunérations n’est pas évidente. Si l’on prend en compte seulement les cotisations versées, on en revient à l’égalité mécanique citée ci-dessus. On a vu qu’elle était tout, sauf juste. Faudrait-il prendre en compte le temps travaillé, le temps travaillé corrigé d’un facteur pénibilité (et que faire de l’ennui, de l’absence de sens de nombreux travaux sédentaires réputés non pénibles ?) ? On voit bien la complexité qu’engendrerait un objectif de justice dans la redistribution. Car celle-ci n’est que le reflet de la situation occupée par les personnes dans leur période active et peut donc difficilement corriger les inégalités de celle-ci. Ceci dit, on peut énoncer dans un langage courant des critères de justice, et réserver le jargon technique aux ingénieurs programmeurs. Après tout, aucun de nous ne sait quel est le programme établi pour faire courir puis marcher un personnage de jeu vidéo. Mais les concepteurs ont su ce qu’ils voulaient lui faire faire et les joueurs comprennent ce que fait leur personnage. L’ingénieur programmeur lui a fait discrètement ses équations, parfois ludiquement d’ailleurs ! Les technocrates ne doivent pas à la fois appliquer et créer les règles !
Stabilité et fluidité
Tout discours sur les retraites s’accompagne d’un couplet grandiloquent sur nos devoirs face aux générations futures. Affirmation paradoxale de la part de ceux qui sont payés par ces générations ! On comprend bien que dès lors que ni le marché de l’emploi, ni la typologie des emplois ne sont pérennes, on a tendance à privilégier soit des systèmes individuels (retraite par capitalisation) soit étatiques : l’Etat apparaissant comme la seule institution pérenne. Une cotisation apparentée à l’impôt (une sorte de CSG) et une retraite calculée pour tous selon les mêmes règles. Nous ne ferions qu’augmenter un peu plus (et c’est ce qui se dessine actuellement) la propension à refuser la cotisation. Personne n’a plus envie d’alimenter une grande caisse noire !
Pourquoi ne pas réformer pas à pas les régimes spéciaux
Restaurer une forme de confiance en organisant des régimes spéciaux pour tous
C’était la grande force des « régimes dits spéciaux », ceux d’une entreprise publique, d’une branche, voire des fonctions publiques : la stabilité d’emploi garantissait la stabilité des règles de redistribution entre actifs et retraités ; et le corporatisme (le sentiment d’appartenir à une même communauté de travail et pour part de vie) donnait sens à ces transferts des jeunes vers les vieux.
Ces régimes ont perdu à la fois leur solidité économique et leur légitimité symbolique. La dite ouverture à la concurrence ajoute au sentiment de déréliction qui touche ces communautés de travail et de vie qu’étaient la SNCF, la RATP, les Houillères, mais aussi la Poste, le monde enseignant etc. Le corporatisme a des relents un peu rances, totalement incompatibles avec les conditions actuelles de travail : moins pénibles dans certains cas, mais combien plus pénibles dans d’autres, on pense là aux enseignants du primaire et du secondaire, général et professionnel, mais sans doute à certains personnels soignants et travailleurs sociaux, à certains personnels de police etc. Toutes professions d’ailleurs qui affichent déjà des pénuries de main d’œuvre et qui s’accrocheraient désespérément, dès leur entrée dans la profession, à des avantages comparatifs qu’ils escompteraient dans quarante ans ! Quelle tristesse !
Pas à pas
La France n’est pas réformable dit-on. On pourrait dire aussi que l’obsession des gouvernants, celle qu’ils ont acquise dans leurs dissertations de Sciences-Pô et de l’ENA c’est LA REFORME. Celle à laquelle ils pourront donner leur nom, celle qui marquera une césure, un avant et un après.
Emmanuel Macron a même osé appeler un livre programmatique « Révolution », au sens d’une tabula rasa sans doute.
Ce qui est un autre oxymore à porter à son crédit : la révolution ne se fait sûrement pas pas à pas, elle se fait à la course, au saut plutôt qu’en marchant !
Certes la fin d’un monde n’est pas la fin du monde et la défense des droits acquis est souvent une manière de refuser tout changement. Il n’empêche, il y a dans un certain nombre de formes, de contenants un côté rassurant, un vecteur de confiance, dans son avenir et celui de ses enfants.
Bien sûr les cheminots savent qu’ils ne sont plus qu’un actif pour deux retraités au-lieu que quatre pour un, le régime des mineurs a disparu et les quelques retraités et veuves ont été assimilés au régime général. Les jeunes avocats, souvent exploités dans des cabinets qui les forcent à travailler comme professions libérales alors qu’ils sont de fait soumis à un lien de subordination comme des salariés, soutiennent malgré tout le dernier signe de noblesse qui leur reste avec la robe. Une caisse de retraite, un régime ce ne sont pas seulement des règles de calcul, ni même de grands principes, c’est aussi une histoire, une forme contenante. Et une manière d’exercer la solidarité des actifs envers les retraités qui a du sens, qui fait sens et communauté. C’est cela aussi le corporatisme.
Alors au-lieu de faire une grande dissertation, avec pour conclusion la nécessité de construire un régime universaliste, un régime égalitaire, un régime simple, tous slogans éculés, ne pourrait-on pas revoir les règles qui s’appliquent aux différents régimes dans un esprit de solidarité et d’équité ?
On réfléchit aux objectifs d’abord, à la technique ensuite !
Car si l’on se purge de la technique, les problèmes sont plutôt simples : combien sommes-nous prêts à verser, chaque mois pour assurer un revenu à ceux qui ont travaillé avant nous ? Ou si l’on refuse ce système de répartition : combien faut-il cotiser aujourd’hui pour se garantir une retraite demain. Comme le disait Philippe Seguin, le seul inconvénient c’est qu’on ne sait pas comment assurer la transition, donc restons à la répartition !
Mais quid alors du régime général et surtout de tous ceux qui y ont été assimilés artificiellement, professions intermittentes, professions occasionnelles, chômeurs etc.
La simplification radicale, de laquelle on ne parle pas, parce qu’en France on n’a pas du tout envie d’abandonner nos multiples catégories de pauvres, n’est-ce pas le revenu universel ? Dont le versement, égal au moins au revenu minimum vieillesse, ne s’arrêterait pas à l’âge de la retraite bien sûr et serait versé à tous, qui payeraient un impôt uniquement sur le revenu assuré au-delà de ce revenu universel par une retraite versée par leur ou leurs régimes spéciaux.
Hélène Strohl, inspectrice générale des affaires sociales honoraire[1]
[1] A publié L’État social ne fonctionne plus, Albin Michel, 2008 et avec Michel Maffesoli, Être postmoderne, postface, Emmanuel Macron, icône ou fake de la postmodernité, Le Cerf, 2018
votre analyse et vos propositions sont hélas basées sur la conception juridique des retraites par répartition : nous avons droit à une pension financée par nos cadets parce que nous avons cotisé pour nos anciens. Cette norme juridique est en porte-à-faux par rapport à la réalité, que Sauvy a synthétisée en une phrase : “nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants”. Tant que le législateur affirme que le soleil tourne autour de la terre, que voulez-vous faire ? Les retraites ont besoin d’une révolution copernicienne, le reste est un gentil bla-bla, plein de ces bonnes intentions dont l’enfer est pavé.
Le premier des mots à bannir est « réforme », les français, qui comprennent très bien malgré vos soupçons sur leurs capacités, ont le cuir épaissi par les pseudos réformes qui se sont empilées depuis des lustres et qui, in fine, ont abouti à une augmentation des prélèvements ou une baisse de leurs remboursements, et souvent les deux à la fois… de la pure comptabilité, de bas étage qui plus est.
Et oui, la solution est simple mais réclame du courage, exactement ce qui manque au personnel politique. La situation est quant à elle complexe car justement, en lieu et place d’un système universel, l’Etat a progressivement cédé sous la pression des syndicats et différentes corporations, ce qui de nos jours débouche sur une jungle inextricable.
Ce n’est pas l’idée de pseudo universalité qui foire mais la socialisation de la retraite qui se prend à croire que distinguer des catégories de travailleurs soit possible, inventant des termes tels que “pénibilité” et autres pour justifier le tout.
Une retraite n’a pas à tenir compte qu’un travail soit plus pénible qu’un autre, pas plus qu’une veuve (assez rigolo comme concept en 2019…) le soit assez jeune du fait de la dangerosité du métier de son époux. Si un métier est dangereux ou pénible, ce risque doit être compensé par l’aménagement du poste de travail ou l’assurance, la retraite n’ayant aucun rapport avec tout ça.
La retraite est le révélateur de ce qui ne fonctionne pas dans nos sociétés, dont la part majoritairement imputable en revient à l’Etat qui, partout et sur tous les sujets, s’autorise à arbitrer là ou il devrait être particulièrement taisant.
En 2019, la retraite et l’assurance doivent être une affaire personnelle, chacun étant libre de s’organiser au mieux de ses intérêts, toute autre considération aboutissant de facto à un désastre.
Pour la solidarité, il existe un truc, que les français connaissent bien et qui a pour nom impôt.
Accessoirement, avez vous, une fois dans votre carrière, eu à rédiger un bulletin de salaire ? Si tel était le cas vous auriez une idée du carcan administratif qui étreint les français et l’impossibilité qui en découle de s’extraire d’icelui.